Leaders islamistes. Quand ils étaient jeunes et rebelles...

Les caciques du PJD ont parcouru un long chemin avant de devenir fréquentables. Retour sur la jeunesse des stars de la mouvance islamiste.

Abdelilah Benkirane, aujourd’hui Chef du gouvernement, s’est fait à la cravate, accessoire indispensable pour asseoir sa respectabilité. Ses ministres, de Abdellah Baha à Saâd-Eddine El Othmani en passant par Mustafa Ramid, ne dénotent pas dans le décor d’une élite islamiste, parfaitement intégrée à l’establishment politique. Leur foyer originel, le PJD, s’est lui-même bien assagi, peuplé de cadres sages comme des images, à l’instar du député Abdelmalek Zaâzaâ ou El Amine Boukhoubza. L’effet de l’âge sans doute, le poids des années qui a frappé cette  génération de pionniers qui ont porté sur les fonts baptismaux la formation islamiste en 1998. Et pourtant, il fut un temps où tous ces caciques du PJD ont goûté à l’illégalité, membres d’organisations clandestines ou tolérées dans le meilleur des cas. Ils ont frôlé la correctionnelle pour certains, tandis que d’autres n’hésitaient pas à aller à l’affrontement avec leurs opposants politiques. C’était dans une autre vie, dans un autre siècle et un autre millénaire. Les années 1970…

Les futurs leaders du PJD, encore jeunes lycéens ou étudiants, sont tous passés par une matrice : la Chabiba Islamiya de Abdelkrim Moutiî. Précurseur de l’islam marocain à finalité politique, ce dernier leur a ouvert les portes de son organisation dès sa création en 1971. Ils y sont entrés sans se faire prier. Benkirane, Ramid, Baha, El Othmani et beaucoup d’autres chefs de file islamistes ont fait leurs premières armes au sein de la Chabiba. Et leur premier combat au sein de cette organisation a été de lutter contre la présence de la gauche marxiste et laïque qui peuplait, dans les années 1970,  les lycées et les universités marocains. Chacun à sa manière, ils ont mis la main à la pâte, encadrés par une Chabiba Islamiya qui avait reçu l’aval de Hassan II pour contrer les sensibilités d’extrême gauche dominant la jeunesse marocaine “éclairée”.

La chasse au rouge

Selon le principe que les ennemis de mes ennemis sont mes amis, Moutiî file un coup de main à Hassan II. Désirant prendre le mal à la racine, à savoir contrer les idées marxisantes et laïques auprès des jeunes esprits en formation, il fonde en 1972 une organisation secrète : Harakat Achabab Al Mouslim (Le mouvement des jeunes musulmans). Composée d’élèves des établissements scolaires du secondaire, l’organisation mène des grèves à répétition en 1973 pour réclamer des programmes d’enseignement conformes aux préceptes de l’islam et de la Charia. Pour Moutiî, tous les coups sont permis pour embrigader de plus en plus de jeunes. Il ordonne ainsi à des membres de la Chabiba de brûler un tapis dans une mosquée casablancaise, avant d’en imputer la responsabilité aux étudiants de gauche. L’astuce marche du feu de dieu, des jeunes choqués par ce sacrilège rallient la Chabiba pour lutter contre les “mécréants marxistes”. Dès le lycée, des cadres de la Chabiba prennent en main leurs disciples, les astreignant à des réunions hebdomadaires avec des enseignants qui leur professent des cours de morale. C’est ainsi que, formés adolescents à la guerre idéologique, certains futurs cadres du PJD combattent sur les instructions de la Chabiba les idées de gauche qui profilèrent dans les esprits adolescents. Abdellah Baha, à l’instar de Saâd-Eddine El Othmani et Mohamed Yatim, se sont ainsi opposés aux grèves des lycéens qui avaient débouché sur une année blanche en 1972.

Pour beaucoup, la bataille des lycées s’est poursuivie sur le terrain universitaire tout naturellement. Le cas de Abdellah Baha en est le meilleur exemple. Ayant intégré l’Institut agronomique et vétérinaire (IAV) au début des années 1970, il était profondément choqué quand il a découvert que des jeunes étudiants ne faisaient pas le ramadan au vu et au su de tous, fumant en plein jour ou pique-niquant sous un arbre. Baha prend son bâton de pèlerin avec la volonté de ramener les ouailles égarées dans le droit chemin. Il lutte contre la vente d’alcool sur le campus et réclame la fin de la mixité dans la cité universitaire. Dans la foulée, il aménage une mosquée dans un vieux local désaffecté de l’Institut. Cette découverte d’un autre Maroc, n’ayant cure de l’islam, Saâd-Eddine El Othmani y a aussi été confronté. Issu d’un milieu dont la religion constituait les fondements, il a été consterné, en arrivant à Rabat pour ses études de médecine, par l’indifférence de ses condisciples à l’égard de l’islam. Homme de réflexion plutôt que d’action, il n’est pas parti à l’affrontement physique, mais s’est évertué à lutter par le verbe contre l’athéisme des étudiants de gauche.

Le naturel revient au galop

Alors que le combat pour contrôler les campus par tous les moyens possibles bat son plein, survient l’évènement le plus troublant dans l’histoire de la Chabiba. L’assassinat du leader de l’USFP, Omar Benjelloun, assassiné en 1975 par des membres de l’organisation islamiste. Moutiî, niant être impliqué, part en exil, laissant ses ouailles dans l’expectative. Faut-il le suivre dans ses velléités de lutte armée ? Ou couper les ponts avec lui et  choisir la légalité ? Cette dernière option l’emporte. Mais l’héritage anti-gauchiste de la Chabiba perdure tout de même. Près d’une décennie plus tard, dans les années 1980, le combat des islamistes pour éradiquer les marxistes des universités et halaliser les mœurs estudiantines n’a pas faibli d’un iota. Abdelmalek Zaâzaâ, futur cacique du PJD, en est un bon exemple. Aujourd’hui spécialiste des droits de l’homme au sein du parti islamiste, il n’a pas toujours respecté les libertés individuelles les plus élémentaires. A l’orée des années 1980, aidé de compères de la Chabiba, Zaâzaâ investit manu militari la chambre d’un étudiant qui recevait sa copine. L’étudiant, effrayé par cette intrusion violente, dissimule son amie dans l’armoire. Zaâzaâ et ses acolytes cassent les portes de l’armoire pour en extirper la jeune fille en pleurs. Ces raids anti-gauchistes sont l’occasion de tester la motivation des recrues. Ceux qui font leurs preuves sont promus encadrants, gardiens de la ligne de conduite stricte de la Chabiba. Quitte à frôler le crime de lèse-majesté comme El Amine Boukhoubza, aujourd’hui homme clé du PJD au Nord. Etudiant boursier en Egypte, il a boycotté en 1984 une cérémonie organisée à l’occasion de la fête du trône à l’ambassade du Maroc. La raison ? On y servait de l’alcool. A son retour au pays, Boukhoubza est intercepté à l’aéroport de Casablanca et interrogé sur le motif de son absence aux festivités. Droit dans ses bottes, et malgré plusieurs heures d’interrogatoire, Boukhoubza n’en démord pas : sa seule présence à une cérémonie où l’on sert de l’alcool aurait mis à mal toutes ses convictions. Aujourd’hui, tout comme ses frères des années 1970, il n’est pas près d’abandonner le combat de sa jeunesse. Mais tout comme Benkirane et consorts, il s’est juste assagi. 

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