Mohamed Guessous. La sociologie est en deuil

Le père spirituel de la sociologie marocaine est décédé à Rabat, à l’âge de 76 ans. Retour sur le parcours d’un homme qui a su allier politique, militantisme et sciences humaines.

Dans les rues de Rabat, on ne croisera plus l’homme et son vieux cartable bourré de livres, qui semblait continuellement le tirer vers le sol. Il manquera aussi aux socialistes, privés d’un inestimable orateur, qui avait pour habitude de ne jamais entamer une réunion sans aligner plusieurs stylos afin de différencier ses notes. Mohamed Guessous est parti, le 7 février, des suites d’une longue maladie. Il a été inhumé à Rabat, le 10 février, avec les hommages dus au grand homme qu’il était : le sociologue, mais aussi l’homme politique et le syndicaliste chevronné. Ce Fassi, issu du petit peuple, est arrivé à Rabat à l’aube de l’indépendance, pour passer son baccalauréat avant de s’envoler au Canada. Aujourd’hui, la capitale lui doit beaucoup. Le Maroc aussi.

Prof ad vitam æternam

« Il était la parfaite incarnation de cette gauche culturelle qui a fait rêver des générations entières au Maroc », dit de lui Hassan Tarik. Le jeune député de l’USFP se souvient surtout d’un homme qui avait une extraordinaire liberté de ton au sein d’un parti où il était devenu très difficile de se faire entendre. « Enseigner était pour lui une mission sacrée. Et quand il ne le faisait pas dans un amphi, c’était autour d’un thé chez lui », ajoute Hassan Tarik. En 2004, Mohamed Guessous atteint la limite d’âge pour enseigner. Ne voulant pas le priver de sa passion, Mohammed VI le nomme alors, par dahir, professeur ad vitam æternam à l’université de Rabat. Cette même université où il était revenu après avoir décroché un doctorat à Princeton, pour constater que Hassan II avait banni la philosophie et la sociologie, le contraignant à enseigner l’anglais à contrecœur.

A Rabat, où il a été conseiller municipal entre 1976 et 1992, c’est à lui qu’on doit la planification de la circulation. Et, surtout, le réaménagement, in situ, du bidonville de Douar Doum. « Il avait cette faculté d’adapter le langage scientifique au petit peuple », affirme Hassan Serghini, un ancien élu de Rabat qui a été son compagnon de route et « ami du jeudi ». Le groupe des « amis du jeudi » était constitué d’élus et anciens élus de Rabat, qui se réunissaient une fois par semaine pour jouer aux cartes. « Les cartes étaient un prétexte pour parler de politique et de sociologie », évoque Hassan Serghini.

Science et conscience 

« C’était un pionnier de la science et de la conscience. Il a toujours manié les deux au service de son pays », décrit Abdelhamid Jmahri, membre dirigeant de l’USFP, qui se souvient d’un homme au « pessimisme élégant et à l’optimisme contagieux ». Et surtout, d’un homme désintéressé de tout pouvoir. Il a apporté sa touche à la création de l’USFP et de la CDT, mais il n’a jamais fait des pieds et des mains, comme la majorité des siens, pour se hisser à un poste. Au moment où d’autres sommités choisissaient le confort des universités européennes et américaines, Guessous a voulu faire profiter les étudiants marocains de son savoir. Homme de terrain, il aimait sillonner le Maroc pour animer les campagnes électorales de l’USFP. Y compris dans des fiefs où il valait mieux ne pas parler aux gens de politique et d’élections. « C’est quelqu’un qui ne s’est jamais proclamé Monsieur-je-sais-tout. Il savait parler à tout le monde, et surtout écouter tout le monde », souligne Hassan Serghini. Seulement, l’écriture et les textes académiques n’ont jamais intéressé Mohamed Guessous. Sa pensée est dispersée entre les discours, les interviews et les cours qu’il a donnés. Compiler le tout serait la meilleure manière de lui rendre hommage. 

Repères

1938 : Voit le jour à Fès.

1957 : Décroche son bac et s’envole pour le Canada.

1968 : Obtient son doctorat en sociologie à Princeton et rentre au Maroc.

1989 : Fait son entrée au bureau politique de l’USFP.

2014 : Décède à Rabat.  

 

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