Gouvernance. Rien à déclarer !

Alors que certains membres du gouvernement n’ont aucun complexe à rendre publiques leurs fortunes personnelles, la plupart se contentent de se conformer à la loi et transmettent leurs déclarations de patrimoine à la Cour des comptes. Mais ne faudrait-il pas alors réformer cette législation ?

Avec la nomination du nouveau gouvernement, plusieurs ministres fraîchement portés au pouvoir ont révélé à la presse des éléments de leurs fortunes. Une initiative à saluer, vu que le credo de la nouvelle équipe de l’Exécutif est justement “la transparence et la moralisation de la gestion publique”. Cette démarche, avec d’autres décisions (comme le fait de renoncer à sa voiture defonction), a été saluée. Certains parlent même d’une “révolution en matière de gouvernance”. En réalité, il n’en est rien. Il ne s’agit que d’un effet d’annonce, un simple coup de com’. La fortune de nos hauts dirigeants reste malheureusement un tabou. TelQuel a tenté d’ailleurs de pousser l’exercice jusqu’à ses limites. Tous les ministres ont été contactés pour les inviter à livrer à l’opinion publique, une idée ne serait-ce que sommaire de leur patrimoine : habitation, voiture personnelle, compte bancaire. Résultat, seule une dizaine de membres de l’équipe Benkirane a joué le jeu. Certains des ministres intouchables, qui ne traitent presque jamais avec la presse, n’ont pas daigné donner suite à notre demande. D’autres ont répondu qu’ils n’ont pas à étaler leur patrimoine sur la place publique. Dans cette catégorie, nous avons eu droit à des réactions contrastées. Florilège : “C’est une logique qui n’a rien de positif. On ne va pas commencer à différencier les ministres sur cette base de pseudo-transparence. Il faut faire attention à ce genre de dérives”, nous prévient Nizar Baraka, ministre des Finances. “J’ai du respect pour ma vie privée”, se braque Abdelouahed Souhail, à la tête du département de l’Emploi. Abdelâdim El Guerrouj, en charge de la Fonction publique, s’abrite, lui, derrière la procédure. “La déclaration de patrimoine est une obligation pour tous les membres du gouvernement en vertu du Dahir n° 1.08.72 du 20 octobre 2008. Je me conformerai aux textes en vigueur et je ferai ma déclaration de patrimoine dans les délais impartis”.

En attendant la charte des ministres…

En gros, la majorité des ministres nous expliquent que la déclaration de patrimoine est une affaire qui concerne la Cour des comptes, la seule institution habilitée à connaître le patrimoine des ministres. En effet, depuis 2010, des lois traitant de la déclaration de patrimoine sont en vigueur : ministres, élus, hauts fonctionnaires, membres du Conseil constitutionnel, magistrats… sont tous tenus de transmettre à la Cour dirigée par Ahmed Midaoui un formulaire détaillant leurs biens immobiliers et mobiliers. Néanmoins, rien n’empêche tout ce beau monde de rendre publique cette déclaration. Certains de nos ministres ne sont d’ailleurs pas contre, à condition que la décision soit collégiale. “Il nous faut une décision commune au sein du secrétariat général du parti”, explique Bassima Hakkaoui, ministre pjdiste de la Solidarité. “Cela doit être décidé au niveau du gouvernement en concertation avec tous ses membres. D’ailleurs, nous sommes en train d’élaborer une ‘charte des ministres’ qui doit, entre autres, arrêter une formule pour la déclaration de patrimoine”, surenchérit Najib Boulif, ministre délégué en charge des Affaires générales.La balle est donc dans le camp du Chef de gouvernement. C’est à lui de convaincre son équipe de se soumettre à cette règle de transparence. D’autant que la démarche ne peut être que positive. Surtout dans un pays où la prise de pouvoir a toujours été synonyme, dans l’imaginaire populaire, de moyen d’enrichissement personnel. “Dès qu’un responsable arrive au pouvoir, il oublie toutes ses promesses et ne pense qu’à s’en mettre plein les poches”, entend-on souvent réagir l’homme de la rue, quand il voit un responsable rouler en grosse berline ou tirer sur un cigare. Certains de nos ministres ont d’ailleurs compris qu’il vaut mieux éviter ce genre d’amalgame. “Personnellement, je n’ai aucune envie d’entendre les gens dire que je me suis enrichi lors de mon mandat de ministre”, nous confie Lahcen Haddad, le nouveau patron du département du Tourisme, qui a bien voulu nous livrer le solde de son compte d’épargne. “Cette transparence contribue à réconcilier les responsables avec les citoyens”, affirme Mustapha El Khalfi, le ministre de la Communication, qui a lui aussi répondu à notre questionnaire.

Une réforme globale

Rendre publiques les déclarations de patrimoine des hauts fonctionnaires ne devrait plus se limiter aux initiatives personnelles. Un tel acte devrait être généralisé, voire devenir une obligation. La Fondation Abderrahim Bouabid a d’ailleurs proposé, au lendemain de la nomination de Abdelilah Benkirane, la création d’un site Web (www. chafafiya.gov.ma) pour rendre publiques, en ligne, les déclarations des responsables. “C’est une mesure réalisable dans l’immédiat et qui peut témoigner de la détermination du gouvernement à tenir ses promesses”, nous expliquait Omar Balafrej, président de la Fondation. Cette nouvelle démarche de transparence devrait même rentrer dans le cadre d’une réforme globale de tout le dispositif réglementaire.

L’arsenal juridique aujourd’hui en vigueur contient différentes failles visibles à l’œil nu. Primo, la déclaration ne concerne que les biens du responsable lui-même et ceux de ses enfants mineurs. Ses enfants majeurs ainsi que son conjoint ne sont pas concernés par cette contrainte légale. Pourtant, dans certains pays, l’obligation de déclarer ses biens s’étend parfois aux parents du deuxième degré. Secundo, la valeur des biens mobiliers à déclarer, dans la loi actuelle, doit dépasser la valeur de 300 000 dirhams. En d’autres termes, un ministre ou un élu peut, par exemple, détenir autant de biens qu’il veut d’une valeur inférieure à ce montant sans avoir l’obligation de les signaler à la Cour des comptes. Last but not least, les conseillers royaux sont hors champ d’application de ce dispositif réglementaire. Or, il s’agit de responsables payés par le contribuable et qui sont très influents de par leur proximité avec le roi. D’ailleurs, dans les véritables démocraties, même le chef d’Etat est tenu de rendre public son patrimoine. A cet égard, un groupe Facebook réunissant jusque-là près d’un millier de personnes a été récemment créé avec ce titre choc : “Tous pour la déclaration de patrimoine de Mohammed VI”…

 

Lahcen Haddad.

“J’ai 500 000 DH sur mon compte”

Derrière le professeur universitaire se cache un homme fortuné.Le ministre du Tourisme est propriétaire d’une villa de 400 m2 dans la banlieue de Rabat, d’une résidence secondaire à Cabo Négro en plus d’un terrain agricole de 10 hectares. Il roule en BMW payée 600 000 dirhams. Haddad détient également 17% d’actions dans la société éditrice du quotidien Akhbar Al Youm qu’il a acquises pour 200 000 dirhams. Côté liquidité, son portefeuille actions à la Bourse de Casablanca est estimé à 140 000 dirhams et son compte bancaire est créditeur de plus de 500 000 dirhams.

 

Mohamed Amine Sbihi.

“Je suis fils de notable”

Le ministre de la Culture appartient à une famille de riches propriétaires terriens. Avec ses 10 frères et sœurs, il partage une ferme de 200 hectares. Il roule en Mercedes et possède une villa de 300 m2 à Bouznika, ainsi que trois lots de terrain, de 200 m2 chacun, à Salé. Il détient également 50% dans une usine de Salé et ses deux comptes bancaires sont assez garnis : ­50 000 dirhams chacun.

 

Abdelaziz Rebbah­­.

“Je loge chez ma femme”

Le ministre des Transports, qui a défrayé la chronique en se déplaçant au palais à bord d’un véhicule utilitaire du parti, possède une Kia Cerato qu’il s’est payée à crédit. L’ancien maire de Kénitra n’est pas fortuné. Il habite dans un appartement dont sa femme a hérité.

 

Mohammed Ouzzine.

“Je suis toujours débiteur”

Le ministre de la Jeunesse n’a presque rien à déclarer. Il n’a même pas de voiture et se contente d’utiliser la voiture de fonction. Son compte bancaire est généralement débiteur de quelque 20 000 dirhams. Enfin, il vit dans un appartement à Hay Ryad, acquis en copropriété avec son épouse.

 

Abdellatif Maâzouz.

“Je vis selon mes moyens”

En bon père de famille, le ministre des MRE roule en Volkswagen familiale. Son seul bien est un appartement au quartier Racine, à Casablanca, acheté en copropriété avec sa femme.

 

Lahcen Daoudi.

“Je suis locataire”

Enseignant universitaire, le ministre de l’Enseignement supérieure est locataire d’un appartement assez confortable au quartier Hay Ryad à Rabat. Il a hérité d’un terrain agricole dans la région de Beni Mellal, mais il a dû en vendre une bonne partie pour financer les études de ses enfants. Il possède par ailleurs deux voitures, dont une acquise à crédit auprès d’un organisme spécialisé… dans les financements alternatifs, bien évidemment.

 

Abdessamad Qaiouh.

“Je roule en 4×4”

Pur produit du secteur privé, le ministre de l’Artisanat est un homme d’affaires assez prospère. Il détient des intérêts dans des entreprises opérant dans les secteurs de la pêche, de l’immobilier et de l’agriculture. Il n’en dira pas plus : “Ce n’est pas bon pour les affaires”. Seule confidence à tirer de lui : “Je me déplace avec mon propre 4 x 4. Quand je fais le déplacement à Rabat, je prends le train. C’est plus reposant”.

 

Mustapha El Khalfi.

“Je possède un bain maure”

Le benjamin de l’équipe Benkirane a hérité de plusieurs biens familiaux. Ceux-ci comprennent des appartements, des garages mais aussi un bain maure. Le ministre de la Communication détient des intérêts dans un lot de 6 ha dans la région de Doukkala. Son compte bancaire est créditeur de quelque 70 000 dirhams. Et sa Toyata, d’une valeur de 190 000 dirhams, il l’a achetée par un “crédit halal”.

 

Nabil Benabdellah.

“J’ai 15 ans de traites à payer”

Il a été directeur de journal, ministre (de la Communication), ambassadeur, traducteur assermenté. Mais il n’est pas le plus riche du lot. Le ministre de l’Habitat a acquis une villa pour 4 millions de dirhams, pour laquelle il a encore 15 ans de crédit à payer. Montant de la mensualité : environ 30 000 dirhams, soit l’intégralité de sa retraite d’ancien dignitaire de l’Etat. Question : comment paie-t-il le plein de sa Honda achetée en leasing ?

 

Mustapha Ramid.

“J’ai une villa et deux appartements”

L’ancien avocat ne connaît pas les fins de mois difficiles. Outre les quelque 400 000 dirhams d’économies qu’il a sur son compte bancaire, il est propriétaire d’une villa de 922 m2 à Aïn Chock, en plus de deux appartements dans le quartier 2 Mars. Le ministre de la Justice – qui roule en Hyundai – détient également 10 % des actions d’un établissement scolaire privé et possède, avec d’autres membres de sa famille, deux terrains agricoles à Sidi Bennour.

 

 

 

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