Enquête. Voyage au cœur de la diplomatie marocaine

Pour la première fois depuis 27 ans, un politique est nommé à la tête du ministère des Affaires étrangères. Zoom sur une administration pas comme les autres, longtemps considérée comme le domaine réservé des rois du Maroc.

Il court, il court, Saâd-Eddine El Othmani ! En moins de cinq semaines, le nouveau chef de la diplomatie marocaine a déjà parcouru 70 000 kilomètres, rencontré une dizaine de chefs d’Etat etreçu une flopée d’officiels étrangers et d’ambassadeurs accrédités à Rabat. Comment expliquer une telle hyperactivité ? “La machine diplomatique ne doit pas s’arrêter. Il y a une cause à défendre et des relations à entretenir”, explique sobrement un haut cadre du ministère.

En réalité, le numéro 2 du PJD a un sérieux défi à relever : occuper pleinement son nouveau poste et faire oublier son prédécesseur, Taïeb Fassi Fihri, devenu conseiller royal. Tout un programme ! Pendant près de 30 ans, le département des Affaires étrangères (AE) a en effet été considéré comme un ministère de souveraineté, dirigé par des technocrates directement rattachés au Palais. Leurs mandats, d’une durée moyenne de dix ans, résistaient aux remaniements ministériels et échappaient presque totalement à la tutelle de la primature. Une anomalie démocratique, et pas n’importe laquelle.

Lors de ses tout premiers contacts avec Mohammed VI, le Chef de gouvernement islamiste, Abdelilah Benkriane, a obtenu le feu vert royal pour proposer des politiques à la tête des départements de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Mais à une condition : accepter de les faire seconder par des “hommes de métier”, que ce soit au cabinet royal ou au sein même de leurs ministères. C’est ainsi que Charki Draiss et Youssef Amrani ont respectivement été nommés ministres délégués à l’Intérieur et aux Affaires étrangères. Ce qui ne manque pas de créer (déjà) quelques frictions sur le terrain.

Un fauteuil pour trois

Cela s’est d’ailleurs vérifié lors de la récente visite de Hillary Clinton au Maroc. La secrétaire d’Etat américaine a d’abord été reçue par Taïeb Fassi Fihri avant de déjeuner à la table de Saad Eddine El Othmani et Youssef Amrani. Diplomatie à trois têtes ? La question fait sourire ce vieux routier des Affaires étrangères. “C’est plus une question d’agenda et de logistique, explique-t-il. Les attributions de chaque intervenant sont clairement établies. Au final, c’est l’intérêt du pays qui est en jeu. S’il est servi par autant d’expertises, nous ne pouvons que nous en féliciter”.

La réponse est assez diplomatique, mais dans les couloirs de l’imposante bâtisse du ministère à Rabat, El Othmani dégage plutôt une bonne impression. “C’est difficile de le comparer à Fassi Fihri, qui a fait toute sa carrière dans la diplomatie, avoue ce haut fonctionnaire. Mais c’est une tête bien faite, il apprend vite et bien”.

En fait, le nouveau chef de la diplomatie marocaine n’a pas de grandes marges de manœuvres. Les orientations stratégiques du pays ne changent pas, ses alliances à l’international non plus. Tout au plus, El Othmani imprimera un nouveau style à la fonction de ministre des Affaires étrangères. Pour le reste, il se laissera guider (au moins pendant les premiers mois) par une machine complexe, assez bien rodée et de plus en plus efficace.

En tout, les AE emploient 2779 personnes, dont 1155 au niveau de l’administration centrale, réparties sur de grandes directions géographiques, thématiques et logistiques. Depuis quelques années, c’est également une machine qui, malgré quelques bourdes, a enregistré certains succès. Accord de libre-échange avec les USA, statut avancé avec l’Europe, Accord agricole… Sans oublier l’élection du Maroc au Conseil de sécurité des Nations Unies (voir encadré). A l’annonce des résultats du vote, des membres de la délégation marocaine avaient fondu en larmes. D’autres ont carrément sauté de joie. “C’est un évènement qui ne se produit pas deux fois dans la vie d’un diplomate. Ce vote est le résultat de trois ans de travail diplomatique intense et de tractations difficiles avec des pays pas toujours acquis à notre cause”, indique un membre de la délégation qui s’est déplacé à New York.

 “Notre cause”, en voici une expression et un concept qui reviennent souvent dans les rayons de la diplomatie marocaine. Ils renvoient évidemment à la question du Sahara qui conditionne, depuis plus de 30 ans, notre relation au reste du monde. “Le Maroc a une cause à défendre, c’est ce qui permet à sa diplomatie de rester active et militante”, indique ce diplomate qui a déjà servi au sein de la représentation marocaine à l’ONU. Selon lui, la présentation par le Maroc du plan d’autonomie pour le Sahara en 2003 a agi comme un catalyseur pour la machine diplomatique nationale. Pour la première fois depuis le déclenchement du conflit, en effet, le Maroc ne se contentait plus de rejeter le référendum d’autodétermination. Il passait désormais à l’offensive, proposant une solution concrète, jugée “réaliste et constructive” par les principales puissances mondiales. “à côté de cela, le Maroc est un produit de moins en moins difficile à vendre à l’international”, ironise à peine notre haut cadre aux Affaires étrangères.

Il était une fois…

La diplomatie marocaine revient, pour ainsi dire, de loin. Récapitulons. Le ministère des Affaires étrangères voit le jour en avril 1956, quelques mois à peine après l’indépendance du royaume. Mohammed V y coopte alors les rares cadres marocains que comptait la toute jeune administration du pays.

“Je voulais poursuivre une carrière de médecin mais Mohammed V m’a dit ceci : pour me soigner, je peux toujours faire appel à des médecins français ou espagnols. Mais je ne peux pas me faire représenter par des étrangers à l’international”, raconte Moulay Ahmed Laraki, ministre des Affaires étrangères en 1967 puis en 1977. Le département compte alors une poignée de fonctionnaires, des nationalistes pour la plupart, regroupés dans une modeste villa du quartier Agdal à Rabat. Le recrutement se fait par cooptation, dans les grandes familles rbaties et slaouies. Le Maroc ouvre ses premières ambassades vers la fin des années 50. “Le royaume a une longue tradition diplomatique. Des émissaires des sultans ont déjà sillonné le monde mais les débuts de la diplomatie dite moderne ont été timides et très difficiles”, reconnaît ce cadre à la retraite. à cette époque, le portefeuille des AE change souvent de main mais reste un domaine réservé du monarque. “Hassan II était tourné vers l’international. Il avait cette hantise de donner au royaume une place dans le monde. Et pour cela, il n’hésitait pas à donner de sa propre personne”, explique Laraki. Au milieu des années 80, Abdellatif Filali est nommé à la tête du ministère des Affaires étrangères. Il entame un travail de modernisation et d’organisation d’un département aux missions et aux attributions encore assez floues. Durant cette période, les AE se dotent donc d’un nouvel organigramme et entament une vaste opération de recrutement. A l’issue de concours nationaux, des centaines de jeunes licenciés intègrent le département. Parmi eux, un certain Taïeb Fassi Fihri, proche du prince héritier et promu à un bel avenir. Le rythme d’ouverture des ambassades du Maroc à l’étranger s’accélère également. Mais les ambassadeurs “de Sa Majesté” sont souvent cooptés au sein des partis politiques, ou font partie des grands commis de l’Etat. Nous sommes à la fin des années 80, et malgré cet effort de modernisation, la réputation du royaume dans le monde n’est pas des plus flatteuses. Droits de l’homme, répression, bagnes secrets… Hassan II doit user de tout son charisme et son réseau à l’international pour colmater les brèches et préserver un minimum de crédibilité et d’attrait pour son royaume. A cette époque, la tentation sécuritaire est à son comble également. Au lieu de les servir, les consulats surveillent les Marocains résidant à l’étranger, et traquent les opposants de Sa Majesté. Et le Sahara dans tout cela ? “C’est le ministère de l’Intérieur qui gérait cette affaire, et ce, malgré les efforts inlassables de Filali pour rapatrier le dossier aux Affaires étrangères”, confie un diplomate.

Le style change, les mentalités aussi ?

L’avènement de Mohammed VI marque un autre tournant dans l’histoire de la diplomatie marocaine. Contrairement à son père, le nouveau monarque est peu porté sur les sommets et les réunions à l’international. Ses préoccupations sont plutôt d’ordre social et économique. Il ne s’investit donc pas personnellement dans la promotion de l’image du Maroc à l’étranger, mais pousse vers une professionnalisation en douce de l’appareil diplomatique marocain. Une lettre, adressée en 2000 à l’occasion d’un colloque organisé à Rabat, révèle sa vision de la politique étrangère. Il affirme que les outils de la diplomatie traditionnelle ont atteint leurs limites, et lie pour la première fois diplomatie, investissements et intérêts économiques. “La confrontation entre les Etats ne revêt plus un caractère sanglant, mais se fait désormais sur le terrain de la compétitivité pour la conquête des marchés extérieurs grâce au développement de la productivité nationale. Partant, la diplomatie n’est plus l’instrument de la politique extérieure seulement mais aussi l’un des moyens de réaliser les objectifs de la politique générale de l’Etat”, affirme Mohammed VI. Le souverain fixe de nouvelles missions pour ses ambassadeurs autour du monde : attirer les investissements et soutenir les réformes lancées dans le pays. Le monarque plaide également en faveur d’une diplomatie pragmatique à travers “l’élargissement du cercle de nos relations économiques et commerciales au-delà de l’espace euro-méditerranéen, en direction des Amériques et de l’Asie afin de diversifier nos liens, d’atténuer notre dépendance et d’élargir le champ de notre coopération”.

Durant ses premières années de règne, Mohammed VI se rend souvent en Afrique également. En plus de réconcilier le royaume avec le Continent noir, le monarque permet à de grandes entreprises marocaines (privées ou publiques) de prendre pied dans plusieurs pays d’Afrique de l’ouest à travers des filiales souvent très rentables. Le Maroc n’hésite pas non plus à dépêcher des aides humanitaires ou du personnel médical aux pays en difficulté. Le pays finit même par inventer un label : la coopération Sud-Sud. Ce qu’y gagne le Maroc ? Il y a d’abord les bénéfices engrangés par les entreprises implantées à l’étranger. Puis il y a le Sahara, restée la “cause nationale” numéro 1 de la diplomatie marocaine. Grâce à cette coopération Sud-Sud, le Maroc élargit le cercle de ses alliés à l’international. Souvent, également, il fragilise le Polisario en obtenant de précieux retraits de reconnaissance de la RASD. A partir de 2000, plusieurs pays, comme le Malawi, le Kenya, la Zambie ou le Cap Vert, ont ainsi rompu leurs relations avec le front indépendantiste dirigé par Mohamed Abdelaziz.

Le Maroc n’hésite pas à exporter ses méthodes jusqu’aux… Caraïbes. En 2010, le ministère des Affaires étrangères se félicitait que quatre Etats de cette région du monde retiraient leur reconnaissance de la “République sahraouie”. Depuis, d’autres leur ont emboité le pas. Le secret ? Des projets de développement à la pelle et des perspectives de coopération bilatérale. “Le Maroc ne donne pas, ou plus, de valises remplies de dollars. Nous aidons au développement de ces pays en construisant des routes ou des écoles. Nous procédons à un transfert du savoir-faire marocain dans plusieurs domaines”, explique, sans détour, un ancien diplomate. Dans le cas des Caraïbes par exemple, le royaume participe, à travers l’OCP, à la fertilisation des terres agricoles dévastées par les cyclones. Le Maroc accorde également plusieurs bourses d’études à des jeunes originaires de ces pays, et les accueille dans les meilleures universités et école supérieures du pays. “Les représentants de ces Etats refusaient jusqu’à nous serrer la main. Mais nous n’avons pas lâché l’affaire. D’abord en déplaçant notre ambassade de Caracas vers les Caraïbes, puis en multipliant les contacts, en exposant nos arguments et en présentant les pistes de partenariat possibles. Résultat : les 15 pays de la région ont voté en notre faveur lors de l’élection au Conseil de sécurité”, confie ce haut fonctionnaire aux Affaires étrangères.

“Touche pas à mes intérêts”

Aujourd’hui, les faucons du ministère, partisans d’une diplomatie plus fermée, ne se cachent plus pour défendre leurs méthodes. A leurs yeux, le Maroc se doit d’être hostile envers tout Etat qui reconnaît la RASD ou qui porte atteinte aux “intérêts suprêmes” du pays.

Depuis 2000, le royaume a déjà rappelé, au moins une fois, ses ambassadeurs accrédités à Madrid, à Dakar ou au Vatican. Le pays a également rompu ses relations diplomatiques avec deux puissances régionales : le Venezuela et l’Iran. Pour chacune de ces décisions, tout à fait contestables, les observateurs ont critiqué la précipitation des officiels marocains et dénoncé ce qu’ils ont fini par appeler “une diplomatie coup de sang”. Bien entendu, les officiels s’en défendent. “Si nous normalisons nos relations avec des pays qui portent atteinte à nos intérêts, nous servirons la cause de nos adversaires. Ils n’auront plus qu’à faire le tour du monde et dire que la reconnaissance de la RASD n’empêche pas le Maroc d’être votre ami”, explique ce directeur central au ministère des Affaires étrangères. Il donne pour exemple la crise survenue avec le Sénégal en 2007. A la surprise générale, le Maroc décide alors de rappeler son ambassadeur à Dakar pour protester contre des déclarations faites à Tifariti par un leader du Parti socialiste sénégalais (opposition), et que le Maroc a jugées hostiles à son intégrité territoriale. Problème : les propos du responsable partisan n’engageaient pas l’Etat sénégalais, dirigé par un ami personnel de Mohammed VI, Abdoulaye Wade. “C’est quand même le parti d’Abdou Diouf, explique cet ambassadeur. Nous connaissons bien l’Afrique. Ces déclarations n’étaient pas anodines, et le Maroc se devait de taper fort. Depuis, aucun parti, pas même d’opposition, n’a plus osé soutenir les thèses indépendantistes”, conclut-il.

La même attitude vaut également pour nos relations récentes avec l’Espagne. Durant ces dernières années, le Maroc n’hésite plus à hausser le ton vis-à-vis de son voisin du nord. Même les amis socialistes du royaume en font désormais les frais. “Nous ne faisons plus de différence entre parti de gauche ou de droite. Nous traitons d’Etat à Etat sur la seule base de nos intérêts communs”, explique, sur un ton ferme, un diplomate marocain en poste à Madrid. Se pose alors une question : qui prend ce genre de décisions stratégiques ? La réponse est sans détours : seul le roi peut décider du rappel d’un ambassadeur ou de la rupture des relations avec un autre Etat. “Il ne faut pas oublier que les Affaires étrangères ne représentent que la voie officielle de la diplomatie. C’est la partie visible de la politique étrangère d’un pays, dans laquelle interviennent d’autres acteurs plus ou moins discrets. Il y a des décisions qui échappent totalement au contrôle du ministère”, confie une source autorisée.

Au fil des années, les relations du département des Affaires étrangères avec d’autres services comme le ministère de l’Intérieur ou les agences de renseignements sont devenues moins suspectes. La présence de Mohamed Yassine Mansouri, patron de la DGED, aux séances de briefing sur le Sahara n’étonne plus personne par exemple. L’homme fait même partie du groupe de négociateurs officiellement accrédité auprès de l’ONU. “La diplomatie couvre désormais un champ très large de compétences. Cela va des relations économiques, à la lutte contre le terrorisme ou le trafic de drogue, en passant par les questions liées au genre ou à la protection de l’environnement. Il est impossible d’avoir le leadership sur tous ces dossiers. Ce qui nous intéresse, c’est le résultat final”, explique ce diplomate.

Les représentations diplomatiques du royaume à l’étranger font-elles du renseignement économique ou militaire par exemple ? Les mines deviennent plus crispées à l’annonce de cette question. “Un diplomate ne fait pas de renseignement. Il travaille en toute légalité selon les termes de la convention de Vienne qui réglemente l’action diplomatique”, nous répond-t-on. Mais des sources concordantes confirment l’existence d’agents de la DGED au sein des grandes ambassades du royaume. “S’il est en poste au Pakistan, l’agent de la DGED gardera un œil sur certains combattants marocains ou des groupes jihadistes qui visent le Maroc. à Pékin, il s’intéressera peut-être aux contrats d’armements passés avec des pays voisins. En Europe, c’est peut-être le volet économique qui prime”, explique l’une de nos sources.

Diplomatie fauchée ?

Toutefois, l’hyperactivité de la diplomatie marocaine durant ces dernières années cache mal une réalité peu amène : le département des Affaires étrangères manque terriblement de moyens. Le budget réservé au ministère désormais piloté par Saâd-Eddine El Othmani est dérisoire, comparé à d’autres départements comme l’Intérieur, la Justice ou la Santé. Au total, le Maroc dispose d’à peine 90 ambassades dans le monde contre près de 150 pour l’Algérie par exemple. Et encore, plus de la moitié de nos représentations diplomatiques fonctionnent avec un personnel réduit (cinq personnes en moyenne). 70% du budget qui leur est alloué va à la couverture des charges salariales, 20% aux frais de fonctionnement et seuls 10% sont réservés aux activités de communication ou d’influence. “On ne peut pas se permettre d’être partout. Nous sommes une petite machine qui mise beaucoup sur la polyvalence et la professionnalisation de nos méthodes”, indique un ambassadeur.

Deux cents détenteurs de masters ont ainsi été recrutés entre 2010 et 2012. Le département d’El Othmani pousse de plus en plus également vers la nomination d’ambassadeurs professionnels. Quelques semaines seulement avant son départ du ministère, Taïeb Fassi Fihri avait d’ailleurs défrayé la chronique à cause de la nomination, par le roi et sans concertation avec son nouveau Chef du gouvernement désigné, de 28 nouveaux ambassadeurs sur trois continents. Objectif avoué par quelques cadres au ministère des Affaires étrangères : couper la route devant des ministres non reconduits à leurs postes ou devant des responsables partisans mécontents de ne pas avoir été retenus au gouvernement. “Ambassadeur est un métier à part entière. Il ne saurait être un cadeau ou une consolation. Nous n’en avons pas les moyens en tout cas”, conclut cet ancien ambassadeur. Quelques postes, et pas des moindres, restent pourtant à pourvoir.

Les ambassades du Maroc à Paris et à Ryad attendent toujours la nomination de leurs patrons respectifs. Abdelilah Benkirane a théoriquement le droit de proposer des noms au souverain. Le fera-t-il pour autant ? 

 

Organigramme. Qui fait quoi ?

Depuis le 19 septembre 2011, le ministère des Affaires étrangères dispose d’un nouvel organigramme. Il consacre l’émergence de quatre grandes directions. La première est géographique. Elle chapeaute les relations du Maroc avec des pays appartenant à des ensembles régionaux et économiques comme le Maghreb, les pays arabes, l’Union Européenne, l’Afrique, les Amériques, etc. La deuxième direction est thématique. Elle planche sur des dossiers prioritaires et transversaux de la diplomatie marocaine, comme la gestion de la relation du Maroc avec les différents organismes onusiens. De plus en plus, le Maroc accorde une grande importance également à la diplomatie publique et au développement des relations économiques et culturelles bilatérales. Dernière direction et pas des moindres : celle des affaires sociales et consulaires, chargée des trois millions de Marocains qui vivent à l’étranger.

Au niveau des ambassades du royaume, l’organisation est moins complexe. Les grandes ambassades emploient entre 20 et 40 personnes. Les petites (qui constituent la grande majorité) comptent un effectif plus réduit. L’ambassadeur y est secondé par un conseiller en charge des affaires politiques en plus de deux diplomates en charge des volets économiques, culturels et consulaires. Pour les grandes représentations, l’ambassadeur peut déléguer la gestion des affaires courantes au numéro 2 de la représentation. Pour le reste, il dispose d’une flopée de conseillers en communication, en affaires politiques, culturelles, etc. Sans oublier les attachés militaires et le personnel administratif de l’ambassade.

Le lien entre l’administration centrale et les ambassades du Maroc autour du monde est quasi permanent. Les ambassadeurs reçoivent régulièrement des briefs sur les positions marocaines concernant les principales questions d’actualité. “Eux sont évalués sur la base des résultats annuels qui leur sont demandés, en plus de l’intensité de leurs relations avec les responsables du pays hôte”, explique un cadre à la direction des affaires européennes.

 

Conseil de sécurité. Les coulisses d’une élection

Le Maroc a dû batailler dur pour décrocher son siège de membre non permanent. Entre influence et petits marchandages, retour sur un épisode haletant.

La campagne pour l’élection du Maroc au Conseil de sécurité a commencé en 2008, trois ans avant l’admission effective du royaume, en octobre 2011, au sein de l’organe le plus important des Nations Unies. “C’est une compétition entre les Etats. Il faut  jouer sur les alliances et les intérêts communs pour s’adjuger le plus grand nombre de voix”, explique un diplomate marocain. Mais dans sa course à l’élection, le Maroc avait de sérieux concurrents. Le Togo et la Mauritanie se portaient également candidats au nom de l’Afrique. “C’est très délicat parce que la tradition veut que le continent soit toujours représenté par un pays arabe et un pays d’Afrique noire et que l’Union Africaine soutenait l’élection de la Mauritanie et du Togo”, explique notre diplomate. Pour ne rien arranger, le Polisario a lui aussi entamé une campagne hostile au Maroc. Selon les responsables du Front, “l’élection du royaume au Conseil de sécurité est contraire au principe d’autodétermination du peuple sahraoui”.

L’affaire était donc assez mal engagée. “Nous avons commencé par établir une liste des votants. A certains, nous avons promis un soutien pour leur propre élection au Conseil s’ils votaient pour le Maroc”, confie un haut fonctionnaire. Dans un courrier officiel (auquel nous avons eu accès), le Maroc assure par exemple Bahreïn de son soutien pour l’élection du petit pays du Golfe au Conseil de sécurité en… 2026 ! Au final, la délégation marocaine s’envole pour New York avec un total de 136 promesses de votes positifs. Une dernière bataille restait donc à livrer sur place. Mardi 18 octobre, Taïeb Fassi Fihri offre un dîner en l’honneur du groupe africain. Le lendemain, il prend le petit-déjeuner avec les représentants de 20 pays lusophones et convie tous les pays votants à une grande réception, en début de soirée. Jeudi, la délégation marocaine enchaîne 70 rencontres bilatérales. Le pays engrange les promesses positives mais n’arrive pas à obtenir d’engagements écrits.

L’élection se joue, en fait, en deux tours. Le premier scénario voulait que les pays africains fassent bloc derrière le Togo pour le faire passer au premier tour. Ils trancheraient ensuite entre les deux arabes restés en course : le Maroc et la Mauritanie. Trop risqué pour le royaume , qui tente une dernière esquive : il propose aux Africains de voter massivement pour le Maroc au premier tour. Le Togo passerait alors presque automatiquement au deuxième. Pour appuyer sa thèse, le pays met en avant les promesses de vote qu’il a déjà reçues de la part de plusieurs votants non africains, et qui pourraient le faire passer au premier tour en compagnie de la Mauritanie. L’argument fait mouche, sans plus !

Le jour du vote, l’Union Africaine, l’Afrique du Sud et la Mauritanie déposent une note devant l’ensemble des votants, stipulant que le Togo était le candidat unique de l’Afrique noire. Le Maroc répond en diffusant une deuxième note. L’UA réplique. Au final, les deux parties arrivent à un total de six notes distribuées aux 190 votants de l’Assemblée générale. Comme tous les autres pays candidats, le Maroc distribue des outils promotionnels aux votants. Miel, pâtisseries marocaines, bloc-notes, porte-documents en cuir… les Marocains se rendent compte qu’ils n’ont pas suffisamment de gadgets à offrir si le pays passe au deuxième tour. D’autres pays jouent sur la finesse. La Hongrie offre, par exemple, un casse-tête avec cette indication : “En prévision d’une très longue journée”. Au final, le Maroc récolte 151 voix. Un record pour une candidature serrée à trois. Finalement, le pays n’a laissé échapper que 42 voix. La délégation marocaine est aux anges.

Mais, en fait, qu’y gagne le royaume ? “Pendant deux ans, le Maroc sera courtisé par tous ceux qui ont des affaires en cours devant les Nations Unies, c’est très important pour renforcer la place du Maroc dans le monde”, répond l’une de nos sources. Qu’en est-il du Sahara ? Paradoxalement, le pays risque de perdre quelques points sur ce registre. “D’habitude, la France et les USA se mouillent pour nous à l’occasion du vote de toute résolution concernant le Sahara. Maintenant que nous sommes présents au sein du Conseil, ils nous laisseront peut-être compter un peu plus sur nous-mêmes”, soutient ce militant sahraoui. Le royaume risque également de se fâcher avec certains membres permanents du Conseil de sécurité. Dernier exemple en date : l’hostilité du Maroc envers le régime syrien n’a pas dû être du goût de la Russie et de la Chine, qui pourraient nous rendre la monnaie sur le dossier du Sahara. Le Maroc ne peut alors compter que sur le veto de ses deux alliés : la France et les USA.

 

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