Criminalité. Les vrais chiffres

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Vols, viols, agressions, homicides… Statistiques, analyses : tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’insécurité.

A première vue, le plus beau pays du monde est aussi un des plus “safe”, à en croire les statistiques officielles. Lundi 4 juin, au parlement, le ministre de l’Intérieur, Mohand Laenser, a dévoilé les chiffres de l’insécurité, recensant près de 500 000 faits de délinquance dans le pays pour 2011, soit 15 crimes pour 1000 habitants. C’est, à titre de comparaison, beaucoup moins qu’un pays comme la France, qui tourne à 69 pour 1000. Mieux, le premier flic du royaume a souligné le peu de meurtres au Maroc, avançant un taux d’homicide de “0,4 cas pour 100 000 habitants, un chiffre très en deçà de ceux enregistrés dans nombre de pays développés”, avant de se féliciter du taux d’élucidation des enquêtes (85%). Et il s’agit de le faire savoir pour lutter contre le sentiment d’insécurité qui habite les gens. C’est ainsi que, depuis quelque temps, les forces de l’ordre sacrifient à l’exercice de com’, aussi bien à la télé que dans les journaux, martelant à tout-va que nos policiers font bien leur travail. “Nous menons des opérations coup de poing qui portent leurs fruits. Ça doit être porté à la connaissance du public, car nous devons rassurer la population. C’est une nouvelle orientation, nous comptons sur les médias pour donner de nous une image de police citoyenne, c’est une manière de réconcilier les Marocains avec leur police”, confie un haut cadre à la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN).

I want you for my police

Selon nos responsables donc, la politique sécuritaire du pays semble efficace, et la situation est sous contrôle. Et pourtant, lors de ce même oral à l’hémicycle, Monsieur Police a annoncé la mise en place d’un plan d’urgence pour faire face au crime sous toutes ses formes : usage de nouvelles technologies, création de nouveaux postes de police, de 9 nouvelles écoles de police… Aussi, notre Al Amn Al Watani continue de quadriller le territoire, avec 13 nouvelles préfectures prévues pour 2012, autant de districts provinciaux, 9 circonscriptions et 6 arrondissements. Et on recrute à tour de bras : en février 2012, au lendemain de sa nomination par Mohammed VI au poste de patron de la DGSN, Bouchaïb Rmail transmettait son plan sécuritaire quinquennal, prévoyant de passer de 50 000 policiers à 82 000 en 2017.

Mais alors, pourquoi toutes ces mesures jugées urgentes s’il n’y a pas le feu à la Maison Maroc ? Car derrière les chiffres rassurants, il y a un point noir : l’augmentation continue de la violence (homicides, crimes de sang, agressions sur la voie publique, vols qualifiés et autres crimes sexuels). Depuis 2004, le nombre d’atteintes à l’intégrité physique des personnes n’a cessé de croître, inexorablement, passant de 23 706 cas à 37 653 en 2011. Faut-il y voir une tendance de fond de la société moderne ? Pas forcément. Il n’y a qu’à voir les chiffres de certains pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis, où le thermomètre de la criminalité affiche des températures en baisse d’année en année.

Sang pour sang

Toujours est-il que sur le terrain, nos limiers semblent impuissants à inverser la machine infernale. Les crimes violents ne représentent qu’une petite minorité du total de la criminalité, mais la tendance est à la hausse : la proportion de ce genre d’affaires est passée de 8 % en 2004 à 11,5% en 2010. Et, en moyenne, nos hommes en uniforme sont moins performants quand il s’agit d’élucider ce genre de crime, dont le taux de résolution oscille entre 65 et 75%. Ainsi, sur les quelque 4000 vols sous la menace d’arme blanche commis en 2010, quelque 1600 personnes sont encore recherchées par nos limiers. Pour les vols à l’arraché, nos inspecteurs ne sont pas plus inspirés, pas plus que pour les vols de voitures où nos flics se font doubler par les gangsters. Dans la catégorie poids lourds, on retrouve les braquages de banques, “qui avaient pris des proportions inquiétantes ces dernières années”, confie un responsable de la DGSN, avec un pic en 2007 (11 cas), mais, depuis, ce nombre de délits a reculé. A l’inverse du nombre de viols, qui se stabilise à 1500 cas en moyenne par an. Un délit qui reste souvent impuni : plus de 400 agresseurs ont réussi à s’évaporer dans la nature en 2010, à titre d’exemple. Mais il faut croire que nos limiers sont souvent au bon endroit et au bon moment. Illustration : en 2010, sur les 4000 vols sous la menace d’arme blanche, nos policiers ont réalisé quelque 2600 interpellations en flagrant délit… Cela sans être très portés sur la gâchette. Ainsi, à Rabat et ses environs en 2011, les services de police n’ont recensé qu’une dizaine de cas d’usage d’arme à feu. “L’utilisation de l’arme de service ne doit intervenir qu’en dernier recours, comme dans les cas de légitime défense ou de grave menace à l’intégrité physique des citoyens. Mais c’est une procédure bien réglementée et, systématiquement, une enquête est ouverte de manière à déterminer les circonstances de l’usage de l’arme”, rassure un contrôleur général de la DGSN.

Au pays de la 7amla…

Clé de voûte de la politique sécuritaire : la culture du résultat. Concrètement, il s’agit de mesurer toutes les actions des forces de l’ordre, statistiques à l’appui. Avec une petite récompense en sus : “Les policiers n’ont aucune prime. Mais ils peuvent arrondir leurs fins de mois avec les heures supplémentaires, majorées de 5 dirhams de l’heure”, explique un contrôleur général de la DGSN. “En principe, nous sommes tenus de résoudre toutes les affaires, mais nous avons parfois des priorités”, poursuit notre source. “Un meurtre élucidé en un temps record peut ainsi  valoir des félicitations de l’administration centrale, alors qu’un crime non résolu peut donner lieu à un avertissement, voire une mise au placard”, confie ce haut responsable qui a gravi les échelons de la DGSN.

En 2010 (statistiques les plus récentes), l’action des services de police a abouti à l’élucidation de près de 300 000 crimes et délits, soit un taux de résolution de plus de 90%. Et pour afficher un tel résultat, on ratisse large, très large, en multipliant les 7amlate. Des chiffres pour l’illustrer : en 2010, près d’un million d’individus ont ainsi été interpellés par les services de la sûreté nationale, et seulement 214 791 ont été poursuivis en justice.

Quel crédit accorder aux statistiques communiquées par “la mère des ministères” quand on sait que le système de comptabilisation est partiel ? Il ne tient, par exemple, pas compte des centaines de milliers de contraventions, très graves pour certaines, et il ne recense que les crimes constatés ou déclarés. Un article du mensuel Police Mag ne dit pas autre chose : “Les statistiques tenues par la sûreté nationale ne reflètent que les affaires enregistrées et traitées par ses services. Dans la terminologie consacrée, nous parlerons de criminalité apparente. Or, il est des crimes et délits qui se commettent chaque jour et qui ne sont pas portés à la connaissance des services de police”.

Des chiffres en trompe-l’œil

Mais, à en croire la com’ de la sûreté nationale, nos cops iraient au-devant de la criminalité, et “ne se contentent pas de se saisir des plaintes des citoyens, principalement en matière de crime organisé (trafic de stupéfiants, trafic d’êtres humains, atteintes aux mœurs, etc.)”, peut-on lire dans le même article. Problème, “cette approche induit un effet pervers sur les statistiques : le nombre d’affaires connaît un accroissement perceptible qu’il serait erroné d’interpréter en tant que recrudescence de la criminalité. Ces statistiques donnent des signes d’inquiétude, alors qu’en réalité, elles ne sont que le signe d’un bon rendement des services de police”. Soit. Sauf que nos flics n’ont de compte à rendre qu’à eux-mêmes. Alors, forcément, un soupçon de manipulation peut peser sur les chiffres. Comme dans la série The Wire qui dissèque l’univers de la drogue à Baltimore (étudiée à Harvard pour son réalisme) et dans laquelle un responsable de la police va jusqu’à dépénaliser la vente de drogue dans un quartier pour faire baisser son taux de criminalité, on peut imaginer qu’un de nos bregadi puisse détourner les yeux d’un petit revendeur de drogue. Et comme les statistiques officielles mélangent allègrement vol de poule et quadruple homicide, c’est un levier efficace pour faire baisser artificiellement le chiffre global de la délinquance.

Les experts, saison II

Tout aussi efficace, la police scientifique. Basées à Casablanca, les blouses blanches surdiplômées —en biologie, toxicologie, génétique, balistique, informatique, etc.— y disposent de leur unique laboratoire. Fondée en 1995 (jusque-là, le Maroc faisait appel aux services de pays comme la France et l’Italie), cette équipe, qui compte aujourd’hui 80 experts, ingénieurs et techniciens, est de plus en plus sollicitée sur les lieux du crime. L’équipe de choc a un large spectre d’activité : elle travaille sur des meurtres, cambriolages, vols de voiture, attentats, incendies… Bref, comme à la télé. Pour l’instant, par manque d’effectif, les spécialistes interviennent dans une très faible proportion d’enquêtes. On préfère les affecter dans les grosses affaires. Les experts ont ainsi été sollicités pour les besoins de l’enquête sur l’attentat d’Argana à Marrakech. Chaque année, la police scientifique de Casablanca traite près de 200 affaires criminelles et civiles. Et pour désengorger le labo de la capitale économique, la DGSN devrait ouvrir deux centres à Fès et Marrakech. Par ailleurs depuis 2008, année de lancement de la carte nationale d’identité électronique, notre police a étoffé sa base de donnée biométrique, en numérisant les empreintes digitales de plusieurs millions de Marocains.

Le Maroc s’est également mis à l’heure de la vidéosurveillance en investissant dans le dernier cri en la matière. Actuellement, la ville de Fès, qui a ouvert le bal en 2011, est scrutée par 288 caméras. Une expérience dont le coût est évalué à 30 millions de dirhams et qui a déjà donné des résultats probants, puisqu’au moins 10 personnes ont été arrêtées en flagrant délit rien que pour le mois de mai dans la capitale spirituelle. Comment ça marche ? Les caméras sont reliées à un grand local à la préfecture de police. 24 heures sur 24, des policiers suivent ce qui se passe sur des écrans et maintiennent le contact avec les autres unités sur le terrain pour orienter, en temps réel, les interventions. Après Fès, une autre expérience similaire a été lancée à Marrakech, mais, dans un premier temps, pour garder un œil sur la place Jamaâ El Fna, à l’aide de 38 caméras. Enfin, à partir de cette année, ce sera au tour de la police de Rabat de passer à l’heure du 2.0. Big Brother veille… 

 

Polémique. Faites entrer les accusés

lundi 4 juin, au parlement, le RNI, par la voix de son président de groupe, adresse une question orale au ministre de la Communication, Mustapha El Khalfi, sur le danger des émissions télé qui zooment sur les affaires criminelles les plus emblématiques. C’est que, quelques jours plus tôt, un habitant d’Agadir avait avoué aux enquêteurs s’être inspiré de l’émission Akhtar Al Moujrimine, diffusée sur 2M, pour commettre un meurtre… Réponse du ministre de la Communication : “Les médias publics ne doivent pas s’impliquer dans ces programmes qui présentent les criminels comme des héros, ce qui encourage la culture du crime”. En résumé, ce genre d’émissions susciterait des vocations. Ce qui est sûr, c’est que le crime fascine autant qu’il inquiète. Ainsi, Akhtar Al Moujrimine squatte régulièrement le top cinq des audiences de la chaîne de Aïn Sebaâ, regroupant un téléspectateur sur deux, quand Masrah Al Jarima sur Medi 1 TV fait presque aussi bien que le match Maroc-Algérie en audimat, soit des millions de personnes.

 

Faits divers. Les 7 délits capitaux

Du viol post-mortem au crime conjugal en passant par le vol de tout et n’importe quoi, l’imagination criminelle n’a pas de limites. Sélection.

L’habit ne fait pas le flic

Les faits se déroulent à El Jadida, à l’automne 2011. Un homme d’affaires irakien se fait remettre une valise pleine d’argent par un investisseur. Quelques heures plus tard, quatre individus se présentent à son domicile, parmi lesquels un homme arborant un uniforme de police. Ses acolytes se présentent comme des inspecteurs en civil, venus perquisitionner les lieux dans le cadre d’une enquête sur le trafic de cocaïne. Ni une ni deux, ils investissent la demeure, tandis que l’homme, abasourdi, est consigné dans une chambre gardée par un des malabars. Après plusieurs heures d’attente, l’homme décide d’aller aux nouvelles, mais quand il sort de la chambre, il n’y a plus personne. En fait de policiers, il s’agissait de pros de l’arnaque, qui ont réussi à usurper un pactole d’un million de dirhams. L’affaire n’a jamais été résolue.

Les riverains qui se foutent de l’hôpital

En novembre dernier, une bande d’individus s’introduit par effraction en pleine nuit dans un dispensaire casablancais. Visiblement passionnés par les IRM (imagerie à résonnance magnétique) et pensant pouvoir écouler leur magot, les malfrats s’emparent d’un encombrant scanner. Dans un premier temps, la police soupçonne le personnel de l’hôpital, avant d’élargir ses recherches aux professionnels de la santé. Autre hypothèse, un acte de vengeance : le vol aurait pu être commis par des riverains mécontents de la qualité des services de l’établissement hospitalier… L’enquête est toujours en cours. 

C’est arrivé près de chez vous

Mai 2011. Quand un enfant de 5 ans disparaît dans l’un des beaux quartiers de Berkane, sa famille alerte la police. Alors que son père remue ciel et terre pour retrouver son fils, il reçoit finalement un appel anonyme d’un individu le sommant de lui remettre une rançon de 400 000 dirhams. Le ravisseur prévient le père qu’il s’en prendrait à son rejeton s’il lui venait l’idée de prévenir les enquêteurs. Malgré la menace, le père se confie aux policiers qui, miracle de la triangulation, parviennent à localiser le téléphone du kidnappeur amateur, qui n’était autre qu’un voisin de quartier. L’enfant a finalement été retrouvé sous un pont à la périphérie de la ville.

L’imam au sang chaud

Début 2011, dans un petit village près d’Essaouira. Un couple et ses trois enfants viennent de finir de dîner. Au moment de passer au lit, les parents ont une prise de bec, fait dont ils sont coutumiers. Le papa, un imam, perd le contrôle, se saisit d’un câble électrique et étrangle sa femme. Le lendemain, il se débarrasse du cadavre en le planquant dans les égouts et se présente à la gendarmerie pour signaler la disparition de son épouse. La maréchaussée ne croit pas un traître mot de la version de l’homme religieux et décide de muscler l’interrogatoire. L’imam craque et crache le morceau : il a tué sa femme car elle refusait de s’acquitter du devoir conjugal. Verdict : 30 ans de prison.

Six feet under

Ce crime a suscité une grande émotion parmi les habitants de Salé. En mai 2010, quatre jeunes du quartier populaire de Sidi Moussa prennent part aux funérailles de la plus jolie fille du derb. Ces Slaouis ne sont pas là pour présenter leurs condoléances à la famille de la défunte, mais pour un repérage. La jeune femme est pour eux l’objet de tous les fantasmes, d’autant qu’elle est morte vierge. Le soir venu, la bande se dirige vers sa tombe dans le cimetière Ben Acher. Ils exhument le corps et le violent à tour de rôle. Une ronde de la police, remarquant que quelque chose de suspect se déroule dans le cimetière, interrompt leurs ébats. Déférés devant la justice, les nécrophiles sont en attente d’être jugés.

Elles ne prient pas à tout prix

Deux compères à Tikiouine, dans la région d’Agadir, s’étaient mis en tête de détrousser un groupe de femmes pendant la prière, en début de soirée, dans une mosquée de cette localité. Sûrs d’eux, ils se dirigent vers l’aile réservée aux femmes, comptant sévir sans être inquiétés. Ils étaient en effet convaincus qu’ils pouvaient tout emporter, sacs, téléphones, sans susciter la moindre réaction de la part de ces dames, qui n’interrompraient pour rien au monde leur moment de recueillement. Mais ils avaient tout faux. Une première fidèle met fin à ses génuflexions avant de donner l’alerte, et en deux temps trois mouvements, voilà que la bande est cernée de toutes parts, avant d’être livrée à la police. Ils écoperont de dix mois de prison.

Mademoiselle aime le flouze

Les scènes que nous allons vous décrire se déroulent à Casablanca, il y a quelques mois de cela. Une fille, que la nature a dotée d’arguments convaincants, aborde des hommes dans les quartiers chics de la capitale économique. Ses cibles de prédilection sont les pères de famille qui manifestent un maximum de signes extérieurs de richesse. Quand notre demoiselle a ferré sa proie et qu’elle arrive à l’isoler dans un café ou dans une petite ruelle calme, un homme surgit, se présentant comme le frère de la jeune femme. Le gaillard, menaçant, propose un deal au pigeon du jour : soit il raque, soit le pseudo frangin prévient la police. Le coup marchait bien, puisque toutes les victimes préféraient payer, plutôt que de se voir accuser d’incitation à la débauche. Mais le couple d’arnaqueurs a fini par taper à la mauvaise porte, le jour où le pigeon à plumer s’est avéré être un officier de police. Verdict : un an de prison.

 

 

Criminalité violente

 

  • Vols qualifiés                                                
  • Vols de voiture                                           
  • Vols avec violence                                      
  • Vols à l’arraché                                          
  • Vols sous la menace d’arme blanche                   
  • Viols                                                              
  • Tentatives d’homicide volontaire            
  • Homicides volontaires                               
  • Coups et blessures ayant entraîné la mort         
  • Attentats à la pudeur avec violence                      
  •               8206
  •              1170
  •              9161
  •              7214
  •              8490
  •             1462
  •             104
  •             146
  •             230
  •            1470

 

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