Polémique. Touche pas à mon prophète !

La diffusion sur Internet d’un film anti-islam produit aux USA a suscité d’énormes vagues de protestation dans les pays arabes. Retour sur des évènements qui ont secoué les relations entre Washington et le monde musulman.

Tunis, Sanaa, Khartoum… le 16 septembre 2012, des centaines de manifestants convergent vers des représentations diplomatiques américaines dans différents pays. Plus ou moins violemment, ils dénoncent la diffusion sur YouTube d’une bande-annonce d’une quinzaine de minutes, intitulée Innocence of Muslims, caricaturant le prophète Mohammed et véhiculant les pires clichés à son sujet (pédophilie, homophopbie, etc.). Après un moment d’incertitude quant à l’identité de l’auteur de cette vidéo (qui se faisait appeler Sam Bacile), la police américaine met la main sur Nakoula Basseley Nakoula, un petit escroc californien de 55 ans, chrétien copte. Cependant, l’arrestation tant attendue n’a rien changé. Aujourd’hui, entre une communication virale et affabulatoire à propos des incidents et du film, et des dangers bien réels, il est toujours aussi difficile de s’y retrouver. Et malgré des dizaines de manifestations et une douzaine de décès directement liés aux violences, la tension n’est pas retombée.

 

Storytelling et simplifications

D’un côté comme de l’autre, les parties usent et abusent du “storytelling”, cet art de conter des histoires : on remonte à l’origine du film, on brode autour de l’identité présumée du réalisateur, on “analyse” les manifestations… quitte à écorner la réalité. Certains présentent l’auteur du teaser comme “juif” et le disent soutenu par Israël : des suppositions racistes, difficiles à vérifier mais a priori fausses. En face, de nombreux médias montrent des manifestants “salafistes”, sans donner plus de précisions, oubliant de replacer les soulèvements dans leur contexte. Au Yémen, les mouvements de contestation “anti-film” dénonçaient aussi les attaques, bien réelles elles, de drones américains sur le territoire. En Egypte, de nombreux manifestants étaient des ultras du stade, ravis d’en découdre avec les forces de l’ordre, quelle que soit la raison. L’addition faite, ce ne sont pas moins de 20 000 personnes qui ont manifesté d’un coin à l’autre de la planète entre le mardi 11 (date des premières manifestations) et le dimanche 16 septembre pour exprimer leur colère.

 

L’hiver arabe

Les dégâts provoqués —d’une part par les violences, d’autre part par le film lui-même— risquent de prendre une autre dimension, bien plus importante. En Tunisie et en Egypte, les deux pays modèles des “révolutions arabes”, séculiers et religieux s’observent en chiens de faïence depuis la chute des dictateurs. Une arrivée fracassante et violente d’activistes fondamentalistes sur la scène politique est déjà un danger en soi. Mais ce danger en cache un autre : la pérennisation des forces occultes, mélange de sécuritaires et de membres de l’ancien régime, qui promettent aux plus effrayés un retour à la normale. En Libye, si l’assaut opéré sur le consulat de Benghazi a choqué à l’international, il n’est que le point culminant des violences des jihadistes qui, depuis plusieurs semaines, saccagent des mausolées. La prolifération d’armes et de groupes militants dans une zone désertique aux frontières égyptienne et tunisienne inquiète à juste titre. L’affaire de Innocence of Muslims rappelle à notre souvenir qu’une révolution ne se termine pas après le départ d’un dictateur : pour marquer l’essai, il reste à proposer au peuple un modèle démocratique suffisant pour que chacun puisse s’exprimer dans la légalité et à trouver un nouveau modèle sécuritaire.

 

Une gifle pour les Yankees

Le discours du Caire de Barack Obama de 2009, couplé au Printemps arabe, laissaient penser que de nouvelles relations entre les Etats-Unis et le monde musulman s’ouvraient, sous de souriants auspices. Un buzz comme Internet en produit quotidiennement est venu rappeler le contraire. Dans de nombreux pays comme le Yémen, les “bonnes relations” entretenues n’existent en réalité qu’avec les régimes : un grand pan de la population continue à considérer les Etats-Unis comme un ennemi. De l’islam ou de la souveraineté nationale, on ne sait plus trop, mais un ennemi. Dans les pays où les Américains pilotent des opérations —en Afghanistan, en Irak, au Pakistan—, le danger sécuritaire est bien réel : l’antiaméricanisme est un terreau assez fertile pour qu’un simple nanar, aussi benêt soit-il, alimente les groupes armés en recrues et les décident à passer à l’acte à la faveur de l’agitation. La branche de la Péninsule arabique d’Al Qaïda a d’ailleurs appelé, le 15 septembre, à continuer à attaquer les intérêts américains. Face à cela, les Américains n’y vont pas par quatre chemins: des marines de l’US Navy ont déjà débarqué au Yémen, tandis qu’en Libye deux navires militaires ont été déployés au large des côtes. ça chauffe !

 

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