Portrait. L’étrange M. El Ouafa

Impulsif, autoritaire, gaffeur… le ministre de l’Education nationale ne laisse personne indifférent. Mais qui est-il vraiment ?

 

En moins de huit mois, Mohamed El Ouafa est passé du statut d’anonyme à celui de star du Net. Les vidéos répertoriant les interventions au parlement, les apartés et les sorties médiatiques du ministre de l’Education nationale fleurissent sur la toile et récoltent des milliers de visites et de commentaires chaque jour. La dernière en date est même en train de se transformer en véritable affaire politique.

Les faits remontent au début du mois d’octobre. Le ministre istiqlalien est en visite dans une école primaire à Marrakech. Accompagné d’une nuée de responsables locaux et nationaux, il fait le tour des classes. Arrivé au niveau d’une fillette de douze ans, le ministre ne peut pas s’empêcher de lâcher une de ses fameuses phrases assassines. “Que fais-tu encore là, toi ? Il ne te manque plus qu’un mari”, lance Mohamed El Ouafa sur le ton de la plaisanterie, faisant référence “aux formes” de la fillette. Sur le coup, la boutade (de très mauvais goût) fait rire les camarades de la jeune élève et certains des accompagnateurs du ministre. Mais elle choque une partie du corps enseignant ainsi que des acteurs associatifs et politiques. En l’absence de vidéo ou d’enregistrement sonore, une première question s’impose : le ministre a-t-il réellement prononcé cette phrase ? Ceux qui l’ont rapportée n’ont-ils pas exagéré les faits ou déformé les propos du responsable gouvernemental ? Le suspense reste entier jusqu’au lundi 15 octobre. Le ministre est alors interpellé au parlement par une députée de gauche qui lui demande des explications officielles. El Ouafa fronce les sourcils et balbutie une réponse où il affirme, en substance, “regretter son déplacement dans cette école”. Il ne nie donc pas les faits. Pire, il ne prend pas la peine de s’excuser pour sa phrase gauche et maladroite.

 

Champion de la gaffe

A Marrakech, les parents de la fillette exigent des excuses officielles du Chef du gouvernement, car la petite Raouia refuse depuis cet incident de retourner à l’école et craint de nouvelles moqueries de la part de ses camarades. Des associations s’apprêtent à traîner le ministre en justice car, à leurs yeux, El Ouafa porte atteinte aux engagements du pays contre le mariage des mineurs.

L’affaire de la petite Raouia n’est pas le premier faux pas de Mohamed El Ouafa. Loin s’en faut. Quelques semaines auparavant, le ministre a été interpellé par des enseignants lors du congrès de l’Istiqlal. La séquence est filmée par des téléphones portables. Apprenant qu’une école dans l’Oriental n’appliquait pas à la lettre ses consignes, il compose le numéro du secrétaire général du ministère, et sans aucune forme de politesse (la conversation a eu lieu un dimanche), lui demande sèchement un point sur “la situation” de l’école concernée. “Si c’est vrai, je vous montrerai ce que je vais faire du délégué. Je vous promets qu’il ne passera pas la nuit sur place”, lâche-t-il à la dizaine de personnes qui l’entourent. Au passage, le valeureux ministre de Sa Majesté fait allusion aux aventures extraconjugales d’un directeur d’école, toujours en public et devant les téléphones portables qui le filment.

Bref, on ne compte plus les dérapages verbaux du ministre de l’Education. Visiblement réprimandé par son parti ainsi que par le Chef du gouvernement, il promet aujourd’hui de “mettre de la colle sur sa bouche”. Cela servira-t-il vraiment à quelque chose ?  Depuis qu’il a été nommé ministre de l’Education nationale, Mohamed El Ouafa a tenu à montrer qu’il était un ministre à part. Ses premières semaines à la tête de ce département épineux sont marquées par plusieurs opérations coups de poing. Assez vite, il déclare la nécessaire réforme de plusieurs pans du plan d’urgence, à peine entré en vigueur. Lors de ses sorties médiatiques, il n’hésite pas à tirer à boulets rouges sur son prédécesseur. Il enchaîne avec une tournée, en hélicoptère, de 16 académies régionales dont il tient à présider les conseils d’administration. Le style étonne dans ce département complexe, à l’organisation tentaculaire, habitué à des ministres plutôt réservés et consensuels.

 

Opérations coup de poing

Dès le départ, El Ouafa annonce également sa volonté de “pacifier” le siège central du ministère. “Il a demandé à lever les barricades installées devant la bâtisse principale en prévision des sit-in de protestation quasi quotidiens des enseignants. Il a d’ailleurs déclaré à son entourage : ‘Je n’ai peur de personne. Que les protestataires viennent donc me voir directement’”, rapporte un cadre du ministère. Lors de ses négociations avec les grévistes, le ministre n’hésite pas à parler dans le mégaphone et à distribuer les piques, toutes aussi méchantes les unes que les autres. C’est qu’El Ouafa se sent investi d’une mission sacrée : celle de réformer le secteur de l’enseignement et d’y rétablir l’autorité et la discipline nécessaires. Problème : le ministre, que ses collaborateurs décrivent comme un grand bosseur, s’y prend seul. L’homme ne dispose pas de chef de cabinet, ni de conseillers. “Il considère que le ministère est entièrement à son service, et que le secrétaire général est son chef de cabinet”, ironise une source interne. Dans ses relations avec ses administrés, El Ouafa ne prend pas de gants non plus, et ignore superbement les relations hiérarchiques. “Il peut appeler, sur son portable, un directeur d’école pour une petite broutille. Il n’est pas rare de le voir réprimander, féliciter ou plaisanter publiquement avec un fonctionnaire. Il se sent chez lui. Il adore le fauteuil dans lequel il est assis”, nous confie ce fonctionnaire. Le ministre a également centralisé plusieurs délégations de signatures. “Restaurer la discipline et le dynamisme, c’est bien. Mais autant d’autoritarisme inhibe toutes les bonnes volontés. Aujourd’hui, les gens ont peur de la réaction d’un ministre aussi impulsif”, rapporte ce syndicaliste.

 

L’homme qui revenait de loin

Jusqu’en janvier 2011, Mohamed El Ouafa était pourtant un parfait inconnu auprès du grand public. Après avoir été député puis président du conseil communal de Marrakech, il entame en 2000 une carrière diplomatique dans des contrées lointaines. Il est d’abord nommé à la tête de l’ambassade du Maroc en Inde, puis en Iran et enfin au Brésil. Durant toute cette période, l’homme ne garde qu’un contact superficiel avec son parti. Il suit de loin l’actualité du pays qui change de visage. “Il a raté onze années décisives de l’histoire récente du Maroc. C’est ce qui explique le décalage qu’on peut observer dans ses manières et son discours. Il a l’autoritarisme de Driss Basri et le cynisme de Moulay Ahmed Alaoui”, résume un membre du comité national de l’Istiqlal. L’homme ne fait d’ailleurs pas l’unanimité au sein de la direction du parti. Son nom serait déjà inscrit sur la liste des ministres à remplacer par le nouveau secrétaire général, Hamid Chabat, s’il arrive à imposer un remaniement ministériel en 2013. Mais ça, c’est une autre histoire…

 

Parcours. Une carrière très istiqlalienne

Mohamed El Ouafa est né en 1948, au sein d’une famille modeste, à Marrakech. Son père est un simple fonctionnaire de l’administration coloniale française. Le jeune homme fait des études et compile les diplômes. Son bac en poche, il décroche une licence en économie puis s’envole parfaire son cursus en France. A la fin des années 1970, le jeune homme épouse Awatif El Fassi, fille de Allal El Fassi, fondateur de l’Istiqlal. Une voie royale s’ouvre alors devant lui. Le jeune Marrakchi est d’abord propulsé secrétaire général de la Jeunesse du parti, avant de se faire élire député en 1977. En 1983, l’homme devient président du conseil municipal de Marrakech. Il conserve le fauteuil pendant neuf longues années, bénéficiant de la protection d’un autre Marrakchi, M’hammed Boucetta, secrétaire général du parti à cette époque. Au moment de la formation du premier gouvernement d’alternance, le nom d’El Ouafa n’est pas retenu. Il n’est pas oublié pour autant. Quelques années plus tard, l’homme se retrouve ambassadeur à New Delhi, à Téhéran puis à Brasilia. En 2011, il sent que son heure est venue. Il plie bagages et rejoint les siens au siège central du Parti de l’Istiqlal. La suite, on la connaît…

 

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