ONEE. Un office sous haute tension

Pour sauver l’ex-ONE de la banqueroute, le gouvernement Benkirane a décidé de renflouer les caisses de l’établissement et s’apprête à décréter une hausse des prix de l’électricité. Et ce sont encore une fois les “riches” qui passent à la caisse. Le point.

 

Disons-le tout de suite : l’ex-Office national de l’électricité ne fera pas faillite. L’Etat s’apprête à signer avec le top management de l’Office un contrat programme, qui vise à le recapitaliser et à lui imposer une cure d’austérité pour maîtriser ses charges. Mais au-delà de l’effort budgétaire concédé par l’Etat en ces temps de disette, le citoyen devra aussi mettre la main à la poche pour sauver l’organisme dirigé par Ali Fassi Fihri, puisque les tarifs de l’électricité devront augmenter à partir de janvier 2013. “Une hausse inéluctable”, selon l’argentier du royaume, Nizar Baraka. Plutôt “une décharge électrique de 220 volts sur le pouvoir d’achat des ménages et sur la compétitivité de l’entreprise”, tonne ce capitaine d’industrie, qui préfère garder l’anonymat.

 

Finances dans le rouge

En 2011, l’ONE, devenu depuis avril 2012 l’ONEE après sa fusion avec l’Office national de l’eau potable, a réalisé un chiffre d’affaires de 22,4 milliards de dirhams. Un volume d’affaires qui le classe au deuxième rang des mastodontes publics tout juste devant le géant OCP. Mais une entreprise qui dégage du chiffre ne gagne pas forcément d’argent. L’ONE en est un exemple édifiant. Sur la même année, et malgré son chiffre d’affaires colossal, l’Office a accusé une perte sèche de plus de 3,7 milliards de dirhams. Pire, sa trésorerie est ressortie déficitaire avec un trou de plus de 5,2 milliards de dirhams. Les causes sont multiples. Il y a d’abord ce problème au niveau des prix. “Le prix de l’électricité pratiqué par l’ONE est fixé par l’Etat et n’a pas changé depuis 2006. Entre-temps, le charbon et le fuel, principaux combustibles utilisés par l’ONE pour produire du courant, ont vu leur prix sur les marchés internationaux passer du simple au double, si ce n’est le triple”, explique cette source au ministère de l’Energie. Conséquence directe, le coût de revient de l’électricité a explosé, tandis que son prix à la vente est resté le même. D’où les pertes actuelles accusées par l’ex-ONE. Autre problème majeur, les impayés. Premier producteur d’électricité au royaume, l’ONE en est également le transporteur et le distributeur exclusif. C’est lui qui fournit la Lydec à Casablanca ou Amendis à Tanger par exemple, mais il fournit aussi de manière directe les industriels, les collectivités locales et les régies publiques. Rien que sur les dix premiers mois de l’année courante, l’ardoise des différents clients de l’ex-ONE a atteint 3 milliards de dirhams, soit le montant des pertes accusées sur toute l’année 2011. Le tout sans parler de l’endettement de l’Office, qui culmine aujourd’hui à plus de 32 milliards de dirhams, face à des fonds propres d’à peine 9 milliards et qui fondent d’année en année. Bref, pour l’électricien du royaume, tous les ingrédients d’une faillite annoncée sont réunis. Sauf que ce mastodonte qui emploie plus de 8000 personnes est trop stratégique, trop grand, pour qu’on le laisser tomber.

 

Opération sauvetage

Pour le sauver de la banqueroute, l’Etat doit enfiler son costume “providence”. Et plusieurs départements sont concernés : l’énergie et les mines, l’intérieur, les affaires générales et les finances. Objectif : concocter un plan de redressement qui remettra en selle le premier électricien du royaume. Au menu, une recapitalisation de 3 milliards de dirhams sur plusieurs tranches. “Nous avons déjà avancé 500 millions de dirhams à l’Office. Une enveloppe similaire sera débloquée avant la fin de l’année. Les 2 milliards restants seront allongés durant l’année 2013”, nous dit une source au ministère de l’énergie et des mines, département de tutelle de l’ONEE. Et comme pour la RAM, sauvée in extremis l’année dernière, l’ex-ONE doit entamer une cure d’austérité sans pareille : réduction des effectifs, gel des salaires, réduction des primes, maîtrise des charges opérationnelles et surtout la cession d’actifs non stratégiques… Comme ces dizaines d’unités hôtelières que détient l’office ou ces terrains qu’il possède au centre de plusieurs grandes villes du royaume et qui valent aujourd’hui une petite fortune. “Nous n’avons pas encore fixé la liste des actifs à céder, mais nous avons néanmoins une estimation de ce que ça devra rapporter : un peu plus de 3 milliards de dirhams”, signale notre source au ministère de l’énergie, qui rappelle que les termes du contrat programme sont toujours en cours de négociation. Une négociation qui devra se solder par la signature du contrat en marge du conseil d’administration de l’office, qui se tiendra avant fin décembre. Autre point d’intervention de l’Etat, les ministères de l’Intérieur et des Finances devront désormais jouer aux agents de recouvrement pour aider l’Office de Ali Fassi Fihri à recouvrer ses créances auprès des mauvais payeurs.

 

Les riches à la caisse

Un ensemble de mesures donc, qui visent à renflouer momentanément les caisses de l’ONEE, mais qui ne régleront point ses déboires structurels. Car tant que l’ex-ONE vend à perte, il ne pourra jamais relever la tête. “L’Office vend l’électricité à un prix inférieur à son coût de revient. Et il perd 0,36 DH pour chaque kilowatt heure vendu. Pour le remettre en selle, il faudra mettre un terme à cette aberration et revoir à la hausse la grille tarifaire”, explique-t-on au ministère de l’Energie et des Mines. Comprenez, les Marocains ne vont pas échapper à la hausse programmée. Mais tous les Marocains ne sont pas logés à la même enseigne. Craignant probablement que cette décision “impopulaire” ne débouche sur des émeutes sociales, le gouvernement est en train de pencher vers une revalorisation différenciée. Pas question de toucher au pouvoir d’achat des pauvres, ce sont les riches et les industriels qui paieront les pots cassés. “La facture des ménages pauvres ne va pas changer. Par contre, ce sont les tranches supérieures de consommation qui sentiront cette hausse. La haute tension sera aussi relevée, mais on va veiller à ce que ce surcoût n’altère pas la compétitivité des entreprises”, nous confirme-t-on au ministère des Affaires générales dirigé par le pjdiste Najib Boulif. ça aussi, on le mettra sur le compte de la solidarité nationale. Une solidarité qui coûte décidément de plus en plus cher.

 

 

Stratégie. En attendant 2020

Les déboires de l’ONEE ont une cause très simple : sa dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, charbon, fuel, diesel et autres hydrocarbures. Pour remédier à cela, l’Office dirigé par Ali Fassi Fihri a entamé une véritable course contre la montre pour se restructurer en amont. Exit les combustibles à base de pétrole, l’Office veut désormais produire de l’électricité propre et pas chère. Et les deux techniques en vogue ne sont autres que l’éolien et le solaire, qui devront représenter d’ici 2020 plus de 42% de la production d’électricité au Maroc. A Tarfaya, Taza ou encore Essaouira, des turbines à vent devront d’ici là éclairer vos nuits. Le complexe solaire de Ouarzazate, confié au Saoudien Acwa Power, sera aussi l’un des fournisseurs de l’électricien du royaume. En attendant, l’Office devra continuer à subir les aléas des marchés internationaux et de la spéculation sur le pétrole. Une pression qu’il compte désormais partager avec le consommateur final.

 

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