Adoption. Parents au bord de la crise de nerfs

La circulaire émise par le ministre de la Justice Mustafa Ramid rend quasi impossible l’attribution d’une Kafala aux musulmans, convertis ou de naissance, résidant en dehors du Maroc. Zoom sur la consternation des candidats à l’adoption.

 

“Lorsque j’ai appris le refus en appel de notre dossier, j’étais à l’orphelinat, Souhail dans mes bras. J’ai fondu en larmes. Après neuf mois d’enquête en France et huit mois à venir régulièrement à l’orphelinat, à s’attacher, à goûter le bonheur d’être parents et de rêver d’une vie décente et aimante pour un tout-petit, le juge a rendu sa réponse, en deux secondes. C’était non”. La voix de Meriem tremble, de colère, d’épuisement, de tristesse. “Je n’ai jamais pu avoir d’enfants, et cela a longtemps été une blessure pour moi. Lorsque je suis arrivée dans cet orphelinat casablancais et que j’ai vu Souhail pour la première fois, je me suis dit que la vie était bien faite, finalement”. Sauf qu’à 35 ans, cette Marocaine de France est victime, avec son mari, de la partialité de la circulaire Ramid. Publiée le 19 septembre dernier, elle appelle les procureurs généraux près des cours d’appel et procureurs de tribunaux de première instance à n’accorder la Kafala “qu’aux demandeurs qui résident d’une manière habituelle sur le territoire national”, négligeant, dans la foulée, les dossiers déposés avant la mise en place de cette circulaire et les vies suspendues aux formalités administratives.

 

Au nom de l’islam

Parmi les arguments avancés par le ministre de la Justice et des Libertés : “Protéger l’intérêt supérieur de l’enfant marocain”, “la possibilité de s’assurer plus facilement et d’une manière efficace de l’existence des conditions requises se rapportant aux demandeurs de la Kafala”, ainsi que “l’aptitude du demandeur de la Kafala à élever l’enfant abandonné selon les préceptes de l’islam”. En d’autres termes, les parents adoptifs en devenir résidant hors du royaume pâtissent de l’incapacité de l’Etat marocain à instituer un mode de suivi pour les enfants pris en charge à l’étranger, héritant du statut d’hypothétiques évangélisateurs pour les orphelins recueillis. “Mon mari s’est converti à l’islam bien avant que je ne le rencontre. Après avoir été rejeté par sa famille pour le choix de sa religion, voilà qu’au Maroc, où l’islam est religion d’Etat, on doute de lui à cause de son prénom et de la couleur de sa peau”, s’offusque Meriem. “Notre but n’est pas de transformer Souhail en Raymond et de l’emmener à l’église ! Je suis prête à m’engager à amener mon enfant devant le juge au Maroc, une fois par an, pendant les 17 prochaines années s’il le faut. Si les gens du consulat de France au Maroc veulent venir une fois par mois, notre porte leur est ouverte. Le roi, Amir Al Mouminine, ne m’a-t-il pas donné les mêmes droits que les Marocains du royaume, en tant que MRE ?”, poursuit-elle. Dans son désarroi, Meriem se sent obligée de prouver sa foi et celle de son époux, de faire valoir la fraternité prônée par l’islam, d’expliquer que la maîtrise parfaite de l’arabe – qui lui fait défaut et qu’on lui a reprochée au tribunal – ne fait ni le bon croyant ni le bon parent. “Moi, plus je m’intéresse à la Kafala, moins j’en ai envie”, assène Soundouss. Cette journaliste casablancaise, potentielle candidate à la Kafala, ressent cette circulaire comme une agression. “Avec des textes du genre, qui me dit que d’autres ne s’ajouteront pas afin d’évaluer si mon enfant connaît toutes ses sourates par cœur, ou si je devrais passer un test jugeant de mon attachement à l’islam ?” Elle renchérit : “Il y a des milliers d’enfants abandonnés dans des conditions horribles, les orphelinats débordent… Les gens qui ont approuvé cette circulaire sont-ils au fait de la situation des orphelins ? Ont-ils des enfants ? S’inquiètent-ils pour eux ? Comment peuvent-ils, du jour au lendemain, les priver de parents auxquels ils se sont attachés ? Au nom de quel islam ?”.

 

 

Appel au bon sens

François et Chantal sont suisses musulmans. Au lieu d’opter pour une adoption plénière, interdite en islam, le couple de cinquantenaires a fait le choix de la Kafala. Les huit derniers mois de leurs vies ont été rythmés par leurs visites à l’orphelinat casablancais Lalla Hasna, duquel ils espéraient repartir, avec un petit Youssef entre les bras. “Il a été recueilli dans la rue, une nuit d’hiver, par la police”, raconte le papa en stand-by. “On ne veut pas l’abandonner une deuxième fois”. S’ils sont presque sûrs que leur requête sera refusée, ils pensent tout de même à passer devant la commission et envisagent déjà l’appel, dans l’espoir qu’un juge puisse avoir le bon sens de passer outre la circulaire. “Si c’est l’unique solution, nous viendrons nous installer au Maroc. Ce ne sera pas facile de quitter notre famille et notre travail, mais on ne s’imagine plus vivre sans Youssef”. Son épouse renchérit : “Il existe une convention internationale datant de 1996 et ratifiée par le Maroc, qui pourrait satisfaire les autorités du royaume. Elle stipule qu’elles peuvent à tout moment demander aux autorités concernées —La Suisse et la France, entre autres, en sont signataires— un rapport sur l’état de l’enfant. Je ne sais pas si cette convention a été oubliée, mais elle permet de faire un vrai suivi, et interdit de convertir ou d’ôter sa nationalité à l’enfant adopté”. En attendant, ils gardent l’infime espoir que la circulaire marocaine puisse être retirée, ou qu’une autre vienne préciser que les cas en cours peuvent aller jusqu’à leur terme. “Cette circulaire est une impasse qui plonge énormément de gens dans la souffrance. Je ne doute pas de l’envie de Mustafa Ramid de protéger les enfants, mais je crois qu’il a raté son objectif en mettant dans le même sac des trafiquants d’enfants, des évangélistes et des personnes sincères, qui ne veulent qu’accueillir un orphelin et l’élever”, conclut François. À bon entendeur…

 

Statistiques. Les chiffres de la honte

Afin de réagir au texte du ministère de la Justice et des Libertés, le collectif Kafala, composé de six structures (SOS Villages d’Enfants, l’association Bébés du Maroc, la Fondation Rita Zniber, l’association Dar Atfal Al Wafae, l’association Osraty et l’association Amis des Enfants) a lancé une pétition appelant au retrait de la circulaire du 19 septembre. Il est rappelé que 24 enfants par jour sont abandonnés au Maroc, soit 6000 enfants tous les ans. Le collectif souligne aussi que “les demandes de Kafala formulées par les familles marocaines sont trop peu nombreuses et que les enfants qui restent dans les orphelinats deviennent à 80% des délinquants, se suicident dans 10% des cas et ne sont socialement insérés qu’à raison de 10%”. À ce jour, cette pétition n’a récolté que 1480 signatures.

 

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer