Moulay Rachid, itinéraire d'un prince

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Le prince Moulay Rachid et son épouse, Oum Keltoum Boufarès.
Le prince Moulay Rachid et son épouse, Oum Keltoum Boufarès. Crédit : MAP

Tous les Marocains connaissent Moulay Rachid, le frère de Mohammed VI. Mais savent-ils vraiment qui il est ? Portrait.

(Archive TelQuel)

Lundi 21 juin 2010, le prince Moulay Rachid est en déplacement à M’zoudia, dans la province de Chichaoua, pour l’inauguration de l’autoroute Marrakech-Agadir. Un projet pharaonique qui dote le pays d’une voie de 225 km, dont le coût est estimé à 8 milliards de dirhams. Après avoir écouté le traditionnel exposé, mené par Karim Ghellab, ministre des Transports et Othmane Fassi Fihri, directeur général des Autoroutes du Maroc, le prince emprunte la voie sur 200 mètres. Cette inauguration en grande pompe, avec Moulay Rachid en maître de cérémonie, n’est peut-être pas si anecdotique que ça. Car, la veille, le cadet de Mohammed VI fêtait ses 40 ans. S’agissait-il d’une sorte de “cadeau” du roi ? C’est bien possible, vu l’énormité du projet. Plus prosaïquement, Mohammed VI en tournée dans le Rif a aussi pu dépêcher, comme c’est d’usage, son frère en remplaçant de luxe. Difficile de le savoir, car tout se passe dans un sérail on ne peut plus restreint. Juste entre lui et son frère le roi.

Frère de roi, c’est un métier
Comme la Constitution n’accorde pas de statut spécifique au prince, ses activités lui sont dictées par M6 en personne, la seule personne habilitée à mandater Moulay Rachid. “Il arrive que le roi décide à la dernière minute de lui confier telle ou telle mission. On m’a confié que cela ne lui faisait pas toujours plaisir”, témoigne le journaliste espagnol Ignacio Cembrero, qui a eu l’occasion de rencontrer Mohammed VI et son frère à plusieurs reprises. Pourtant, dans une interview au magazine saoudien Arrajoul (L’Homme) en juillet 2001, la seule qu’il ait accordée à ce jour, Moulay Rachid affirme le contraire : “Je suis au service de Sa Majesté, à sa disposition à tout moment pour accomplir n’importe quelle mission qu’elle pourrait me confier. C’est ma mission fondamentale auprès de Sa Majesté, et toutes les autres occupations restent secondaires par rapport à elle”.
On l’aura compris, frère du roi, c’est un job à plein temps : missions diplomatiques à l’étranger, accueils de délégations étrangères, visites de têtes couronnées en convalescence, funérailles de chefs d’Etat, porte-étendard du Maroc auprès de la Fifa pour défendre la candidature du Maroc pour la Coupe du monde 2010… le prince fait dans les public-relations. “Mohammed VI a été formé pour être roi et assumer des responsabilités, Moulay Rachid pour être une figure publique et représenter la monarchie”, analyse un ancien camarade de collège du roi.
Moulay Rachid maîtrise l’anglais et l’espagnol, en plus du français et de l’arabe, il est proche des émirs du Golfe, ainsi que de plusieurs personnalités politiques mondiales, et jouit de l’estime de l’Elysée. Autant de critères qui ont fait de lui la voix de son frère.

Famille, je vous aime
C’est que Moulay Rachid est d’une loyauté absolue envers sa famille. “Il est fasciné par Hassan II et considère son père comme un héros à l’instar de n’importe quel fils”, confie le journaliste Khalid Jamaï, qui a longuement côtoyé le prince. Tout comme le défunt roi, il rend des visites de courtoisie régulières à tous les membres de la famille royale, tantes, sœurs, cousins et cousines, accro aux liens du sang jusqu’à demander de leurs nouvelles lorsqu’ils sont à l’étranger. Moulay Rachid peut même verser dans le paternalisme. Lalla Soukaïna, lors de ses vacances à Londres, en sait quelque chose. Le prince a donné ses instructions pour qu’on soit aux petits soins avec elle. Femme de ménage, voiture avec chauffeur, etc., la totale pour sa nièce. “La famille alaouite est comme toutes les familles marocaines. On s’y fâche, on s’y aime et on y a ses préférés. C’est le regard extérieur qui la sacralise, mais entre eux ils ont des rapports humains comme n’importe qui”, confie un connaisseur du sérail.
Le frère du roi n’a jamais émis un quelconque avis négatif sur le règne de Mohammed VI. La seule réserve officielle a été formulée par le souverain lui-même. Lors d’une interview accordée au Figaro en 2001, Mohammed VI a déclaré : “Quand je suis monté sur le trône, j’ai dit à mon frère : ‘Si je change, préviens-moi’. Et il y a quelque temps, je lui ai demandé si j’avais changé. Il m’a répondu : ‘Oui, un petit peu’”.
A part cela, rien à signaler, Moulay Rachid est toujours resté sur son quant-à-soi. En février 2007, le quotidien espagnol El Mundo et des journaux algériens ont écrit qu’il existait des divergences entre le roi et lui “sur la façon de diriger le pays”, allant même jusqu’à suggérer que le prince “aurait opté pour l’exil volontaire aux Etats-Unis”. Quelques jours plus tard, le prince assistait aux obsèques de Mohamed Aouad, conseiller de son défunt père, fidèle à son rôle de représentant du roi lors des funérailles. Juste par sa présence, sans commentaires, il mettait ainsi fin à la rumeur.

Pas bavard
Même en temps ordinaire, Moulay Rachid est avare de mots. Un proche le décrit comme parlant peu, plus à l’écoute, meublant ses silences en faisant craquer ses doigts. “Cette réserve est sans doute le résultat de l’éducation austère imposée par son père. Il en reste quelque chose”, avance Khalid Jamaï. Le prince reste cependant plus libre que son frère, appelé à régner : “Tandis que Smyet Sidi, déjà enfant, devait peser tous ses gestes, Moulay Rachid pouvait être plus extraverti. Je me souviens d’un après-midi entre amis, où sa gouvernante espagnole l’incitait à pousser un copain dans la piscine”, confie un ancien camarade de classe de Mohammed VI.
Moulay Rachid, cela dit, serait peu à cheval sur le protocole, à en croire Khalid Jamaï : “Il y a quelques années, L’Opinion a oublié de lui présenter ses vœux dans ses colonnes. Le Directeur de la publication était catastrophé, craignant que le prince ne s’offusque”, raconte l’ex-rédacteur en chef du quotidien. Le soir venu, Jamaï fait part de cet oubli à Moulay Rachid, qui accueille la nouvelle d’un haussement d’épaule.
Autre anecdote de la même eau : en 2005, lors du Festival de cinéma de Marrakech, deux journalistes ont réussi à se faufiler, au nez et à la barbe du service de sécurité, dans une soirée privée organisée par le prince. Le lendemain, le Palais des congrès de la ville ocre, qui accueille le QG des journalistes, recevait la visite d’hôtes inattendus : des éléments de la DGSN, venus enquêter sur ce couac de la sécurité princière. On a craint le pire pour les deux intrus. Il n’en fut rien. On leur a simplement tapé sur les doigts et inscrits sur la liste des plumitifs à ne plus jamais inviter à Marrakech.

Les copains d’abord
“Moulay Rachid partage un point commun avec son père : il est fidèle en amitié”, lâche Khalid Jamaï. “Même du temps où j’étais un fervent opposant de Driss Basri, il n’hésitait pas à me rendre visite. Il est aussi resté en contact avec Tewfiq Basri, le fils de l’ex-ministre de l’Intérieur, alors que ce dernier était en disgrâce”, en veut pour preuve le journaliste.
Sauf qu’être proche d’un prince, ce n’est pas être l’ami du buraliste du coin. Contacté pour témoigner sur Moulay Rachid, qu’il voit pourtant régulièrement, le directeur de Tanger Free Zone, Jamal Mikou, s’est contenté de lâcher : “C’est un homme exceptionnel. Voilà tout ce que je peux vous dire”. On craint à tout moment d’être la victime d’une bouderie passagère, voire d’une fâcherie définitive. Dans ce milieu, on a même inventé une expression pour définir cette disgrâce : on est “disqua”, diminutif de “disqualifié”. L’expression a aussi cours dans la clique d’intimes de Mohammed VI. C’est le seul point commun entre les amis du roi et ceux de son frère. Car, le reste du temps, “les proches de l’un ne se mélangent pas avec les proches de l’autre”, confie un connaisseur de la fratrie royale.
Il y a cependant une exception à la règle. Elle s’appelle Mounir Majidi. Le secrétaire particulier du roi a intégré le cercle des Alaouites par le biais de Nawfel Osman, le fils de la sœur de Hassan II et d’Ahmed Osman, à une époque où Nawfel était plus proche de Moulay Rachid que de Mohammed VI. “Ensuite, Mounir Majidi est passé de la clique de Moulay Rachid à celle du futur roi”, confie un proche du prince.

Golf, chasse, cinéma, etc.
Le golf et l’équitation étaient les marottes de Hassan II. “Avec mon frère, nous nous sommes partagé la tâche, expliquait, pince-sans-rire, Mohammed VI en 2001. Moi, je suis bon cavalier et lui bon golfeur”. Moulay Rachid, dont le swing est jugé “athlétique”, foule les greens plusieurs fois par semaine à titre privé. Et à titre officiel, il a pris en main les rênes du Trophée Hassan II de golf de Dar Es Salam, couvant le bébé de son défunt père comme son propre enfant. “Il est omniprésent lors de la compétition”, confie un journaliste familier de l’évènement.
Et il a l’œil sur tout. Lors du dernier trophée, le journal officiel du tournoi a publié une dépêche de la MAP, annonçant la tenue d’une réunion à Alger sur le terrorisme dans le Sahel, où le Maroc n’avait pas été convié. Moulay Rachid, en visite au centre de presse, a demandé à rencontrer le journaliste responsable de la revue. “Il vaut mieux se concentrer sur le golf. Il y a d’autres journaux pour publier ce type d’informations”, lui a-t-il conseillé d’un ton “serein et détendu”, déclare le journaliste concerné.
Le reste du temps, Moulay Rachid s’essaye au panier sur les terrains de basket, troquant une fois par semaine le show off de la NBA pour une partie de chasse discrète. Et, tout comme Mohammed VI, il a un faible pour la peinture. Il souffre d’ailleurs de la même collectionnite aiguë. Le prince a ainsi acquis plusieurs œuvres de Hassan El Glaoui, Fouad Bellamine et Mohamed Melehi, ses trois peintres préférés. Il alimente aussi sa collection en misant sur de jeunes artistes, “une façon de les encourager”, précise un membre de son cabinet.
Côté cinéma, Moulay Rachid serait bon public, appréciant le cinéma américain, du blockbuster aux valeurs sûres comme Francis Ford Coppola. “On s’échangeait souvent des films. Un jour, il a insisté pour que je lui donne la trilogie du Parrain”, confie Khalid Jamaï.  

Cabinet. Les hommes du prince

“Chaque tâche confiée au prince est supervisée par le service du protocole royal”, affirme un de ses proches collaborateurs. Ce département adresse à Moulay Rachid un mémorandum sur la mission à accomplir. Ensuite, le prince se concerte avec Mohammed VI, et, quand il s’agit de représentations à l’international, avec le ministre des Affaires étrangères, Taïeb Fassi Fihri.

A l’image de son frère, Moulay Rachid s’est entouré de collaborateurs ayant usé leurs fonds de culotte sur les mêmes bancs que lui au collège royal. Son secrétariat, sis dans la résidence Nay à quelques encablures du Golf royal de Dar Essalam, est ainsi dirigé par Khalid Sakhi, un ex-camarade de classe. Il est chargé du suivi des missions et des relations publiques, et supervise toutes les affaires personnelles de Moulay Rachid. Quant au cabinet du prince, situé dans une villa du quartier huppé des Ambassadeurs à Rabat, il est drivé par un autre condisciple, Mehdi Jouahri, fils du wali de Bank Al-Maghrib. Composé d’une équipe de six personnes, le cabinet coiffe les activités officielles de Moulay Rachid, et lui dresse des mémos sur les secteurs sportifs et le Festival international de Marrakech qu’ils chapeautent. Le cabinet de Moulay Rachid épluche aussi pour lui les journaux et compile toutes les informations ayant trait à l’institution monarchique, l’armée, l’économie ou encore la vie politique au Maroc.

D’après un membre du staff, son boss attend que les situations décantent avant de prendre une décision. “Je vais y penser…”, voilà l’expression qui revient le plus souvent dans sa bouche, poursuit notre source. Dans le cadre du travail, le prince félicite ses collaborateurs en public, mais quand il s’agit de les réprimander, il le fait en aparté. Quand il est hors de ses bases, le prince voyage toujours avec son directeur de cabinet, Mehdi Jouahri, son médecin personnel, ainsi que Abdeslam Lakhlifi, le responsable de sa sécurité. Fidèle parmi les fidèles, “il n’a jamais quitté Moulay Rachid depuis son entrée en fonction”, confie le cabinet du prince. Lakhlifi travaille sous la supervision de la DGSN, et modèle son équipe en fonction de l’importance des missions princières. En cas de besoin, Lakhlifi n’a qu’à demander une rallonge au ministère de l’Intérieur pour l’obtenir illico.

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Le prince à la “une”. Embarassante sacralité…
En 1973, le prince Moulay Rachid, âgé de trois ans, est pris en photo devant le siège de L’Opinion, à Rabat. Le cliché est publié dans les colonnes du quotidien, dans une rubrique fameuse à l’époque : “Au-delà de la photo”. Il montre un gamin en blazer, accompagné de sa gouvernante, qui regarde des femmes en jellaba assises à même le sol. Le journaliste Khalid Jamaï, qui ignore tout de l’identité de l’enfant, légende la photo par un cinglant “Ce n’est pas du folklore, c’est la réalité”. Le couperet ne tarde pas à tomber. Car la police s’en mêle et Jamaï est emprisonné pendant plusieurs semaines. Bien des années plus tard, le journaliste et Moulay Rachid sont devenus amis, mais “nous n’avons jamais parlé de cet épisode, cela n’a d’ailleurs jamais influé sur nos relations”, confie Jamaï. En février 2008, Moulay Rachid se retrouve mêlé, malgré lui, à une affaire d’atteinte aux droits de l’homme. Un ingénieur du nom de Fouad Mourtada est condamné à 3 ans de prison ferme et à 10 000 dirhams d’amende, pour avoir créé un faux profil du prince sur Facebook. La blogosphère se mobilise, des ONG de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International, montent au créneau, condamnant le jugement. L’affaire fait les gros titres de la presse nationale, et bientôt le tour du monde. Moulay Rachid collectionne les Unes à son corps défendant. “Le prince était très embarrassé par cette histoire. Si ça ne tenait qu’à lui, Fouad Mourtada n’aurait jamais mis les pieds en prison. D’ailleurs, il est intervenu pour le faire libérer”, confie un proche. Après 43 jours de détention, le jeune informaticien est gracié par le roi.

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(Dossier publié dans le n°433 de TelQuel, daté du 17 au 23 juillet 2010. Réalisé par Hassan Hamdani, Ahmed Najim et Youssef Ziraoui)

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