Argan: la coopérative féminine face à des défis de taille

À Tafraout, la vie des femmes de la communauté a changé grâce à la coopérative Afra. Et malgré les menaces qui pèsent sur les arganiers, elles en sont convaincues : elles représentent un poids social et la coopérative, une force. Reportage.

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Fatima Zahra en plein travail à la coopérative féminine Afra, à Tafraoute en 2015. Crédit : Tarek Bouraque
La Coopérative Afra située au cœur de Tafraout - Crédit : Tarek Bouraque
La coopérative Afra, située au cœur de Tafraout. Crédit : Tarek Bouraque

Arbre mythique du Maroc, aujourd’hui menacé, l’arganier constitue la deuxième ressource forestière du pays. C’est aussi un véritable rideau vert dressé contre la désertification rampante et une source de revenus pour des populations livrées à la précarité.

Au Maroc, derrière l’arganier, il faut toujours chercher la femme. De génération en génération, leur vie est liée à l’arganeraie. C’est à la fin des années 1990 que les premières coopératives féminines d’extraction de l’huile d’argan ont vu le jour, sous l’impulsion de Zoubida Charrouf, scientifique du laboratoire de l’Université Mohammed V de Rabat, aujourd’hui considérée comme l’agent catalyseur à l’origine de l’amélioration des techniques de production de l’huile d’argan. La doctorante a en effet consacré plus de 15 ans de recherches à établir les toutes premières coopératives de traitement de l’huile d’argan dans les villages de Tamanar et de Tidzi. Toutes sont entièrement dirigées par des femmes de la localité. Au cœur de son travail, on retrouve la conservation d’une espèce indigène, qui était alors menacée par le surpâturage et le déboisement des terres agricoles ; la production d’huile d’argan ne motivait alors pas suffisamment les populations locales à protéger les arbres. Surtout, pour la chercheuse, le développement des coopératives était synonyme d’émancipation des femmes.

Et dès ses débuts, la coopérative féminine s’est rapidement révélée être le moteur d’un changement social, ouvrant de nouvelles portes aux femmes, marquant une évolution de leurs activités et de leurs statuts.

Une solution à l’enclavement des femmes

Fatima Zahra Otarga est vendeuse au sein de la coopérative féminine Afra, implantée au centre de Tafraout depuis plus d’une dizaine d’années. Elle s’occupe principalement de la vente des produits cosmétiques, de l’huile d’argan et d’Amlou. Sur place, l’ambiance est joviale, l’accueil chaleureux.

Fatima Zahra en plein travail à la coopérative Afra - Crédit : Tarek Bouraque
Fatima Zahra en plein travail à la coopérative Afra. Crédit : Tarek Bouraque

« Je travaille dans la coopérative depuis 3 ans maintenant, car j’ai mon baccalauréat, que j’ai obtenu en 2009, mais mes parents ne m’ont pas laissé finir mes études, j’ai arrêté, c’est grâce à dieu que j’ai pu travaillé à la coopérative, ça a changé de nombreuses choses dans ma vie », confie-t-elle.

Fatima Zahra accueille régulièrement les touristes étrangers avec un grand sourire et ponctue ses discussions de quelques mots d’anglais, de français et d’allemand. A l’intérieur, les « tac-tac », le bruit des coques et des fruits frottés entre eux, les raclements sur la pierre créent une mélodie singulière auxquelles s’ajoutent les voix et les rires des femmes. Fatima Zahra s’y sent pleinement à sa place :

J’avais toujours l’espoir de continuer mes études, mais ce n’était pas mon destin, et mon père refusait, je suis resté approximativement un an à la maison sans étudier, et j’ai eu cette chance de travailler à la coopérative, ça ma beaucoup aidé mentalement, avant je m’occupais du nettoyage et du ménage de la maison de mes parents, je n’arrêtais pas de réfléchir à mon avenir, mais aujourd’hui, c’est bien, je reçois des gens ici, et je communique avec eux, sans oublier le salaire, au minimum je gagne de l’argent et je ne compte pas sur mes parents pour m’en donner.

Les Marocaines sont de plus en plus nombreuses à adhérer aux coopératives pour exercer des activités génératrices de revenus. Ainsi, les coopératives féminines ont connu un véritable bond en avant, passant de 738 en 2008 à 1 756 en 2013. Et plus de trois millions de personnes vivent de la culture de l’arganier au Maroc.

« On s’intéresse à la femme et particulièrement la femme rurale parce qu’elle est marginalisée chez nous, la coopérative essaie de faire sortir la femme de ses travaux ménagers, elle lui donne une autre chance de travailler, pour qu’elle sentent qu’elles font quelques choses dans la société, et qu’elles font profiter leur environnement, soit à la maison ou en dehors de la maison », explique pour sa part Ibtissam Saidi, présidente de la filiale Afra à Tafraout.

La répartition de la valeur ajoutée au détriment des femmes

En quelques années, une véritable mutation de la filière production-commercialisation de l’huile d’argan s’est opérée. La production de l’huile d’argan a été propulsée sur le marché international en 2004. Sa croissance extraordinaire s’est cependant accompagnée de lourdes conséquences tant sur le plan environnemental (désertification et disparition de l’arganier…) que socio-économique (exploitation des femmes rurales, apparition de coopératives fantômes, concurrence avec des produits non labellisés…).

Les noix d'argan sur le réchaud avant le pressage - Crédit : Tarek Bouraque
Les noix d’argan sur le réchaud avant le pressage. Crédit : Tarek Bouraque

A cela s’ajoute la guerre des prix à laquelle se livrent les industriels et à laquelle les coopératives ont du mal à faire face. L’arrivée massive de nouveaux acteurs et intermédiaires dans cette filière pose de nombreuses questions dans la mesure où ils concentrent la réparation de la valeur ajoutée de sa production à sa commercialisation au détriment des ayants-droits et des femmes rurales qui peinent à profiter de la floraison de l’industrie de l’arganier.

Mais dans la coopérative Afra, c’est avant tout la solidarité et la motivation des femmes qui est célébrée. Si Ibtissam Saidi est bien consciente du problème, elle cherche avant tout à rappeler les objectifs de la coopérative sur le plan social :

Quand elle sort de son foyer, la coopérative essaye autant que possible de l’intégrer [la femme] dans son environnement, la montrer à d’autres personnes, et c’est possible que cette femme montre d’autres capacités qu’elle possède ; lorsque l’on sort la femme de son environnement domestique, elle y gagne beaucoup, donc je ne vois pas ça comme une exploitation.

Une des femmes de la coopérative en train de nettoyer les noix d'argan - Crédit : Tarek Bouraque
Une des femmes de la coopérative en train de nettoyer les noix d’argan. Crédit : Tarek BouraqueCrédit: Tarek Bouraque

Au-delà de l’espace de travail que la coopérative propose aux femmes, elle représente aussi un endroit où elles apprennent à s’affirmer, à prendre des responsabilités et à mettre en avant leurs talents.

« Quand une femme sort de son foyer et rejoint la coopérative, on essaie autant que possible de l’intégrer dans son environnement, lui faire rencontrer d’autres personnes, et c’est ainsi possible que cette femme puisse montrer d’autres capacités qu’elle possède », explique Ibtissam Saidi.

Un modèle menacé par la situation critique de l’arganeraie 

« Même si je suis de Tafraoute, je ne connaissais pas l’arganier, mais j’ai appris comment les femmes procèdent pour choisir l’arganier, comment elles le cassent, et comment elles le pressent », indique la jeune Fatima Zahra.

Si les femmes de la coopérative ont donc bien conscience de la valeur prise par l’huile, peu évoquent cependant la situation générale et critique de l’arganeraie. Pourtant la croissance fulgurante du marché de l’huile d’argan a aggravé encore plus les problèmes de préservation de l’arbre. Sans oublier que la multiplication des intermédiaires entre la production et la commercialisation du produit a contribué à rendre les filières plus opaques, tout en augmentant les prix sans que les coopératives puissent en être directement bénéficiaires.

La disponibilité de la matière première et la dégradation de la forêt demeurent aujourd’hui les problèmes fondamentaux qui menacent la durabilité des coopératives féminines telles qu’Afra. Un défi de taille à relever alors que près de 600 hectares d’arganeraie disparaissent chaque année.

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