Document: Comment les marxistes du 23-Mars défendaient la marocanité du Sahara ?

Une ancienne brochure de soutien à la marocanité du Sahara sur des bases révolutionnaires et marxistes a été traduite en français et publiée pour la première fois. Un document historique et précieux.

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En 1975, le Maroc organise la Marche verte pour récupérer l'ensemble de son territoire. Crédit: DR

« Hissons haut l’étendard léniniste sur la question nationale ». Le titre du premier chapitre de Sahara marocain : la position nationale révolutionnaire donne le la et fleure bon les années révolutions. Le texte a initialement été édité en arabe à Beyrouth, en 1978, et vient d’être traduit en français pour la première fois par le Centre d’études et de recherches Mohamed Bensaïd Aït Idder (CERM). Ce dernier a été un membre actif du Mouvement du 23-Mars, organisation marocaine marxiste-léniniste à l’origine du texte.

La raison d’être de cette brochure militante fut à l’époque très claire : il s’agit de répondre au mouvement Ilal Amam, qui défendait l’indépendance. Ilal Amam partage de nombreuses références idéologiques avec le 23-Mars et, tout comme lui, il évolue dans la clandestinité. À l’époque, la situation est compliquée pour les militants du 23-Mars. À l’étranger, leur position sur le Sahara est souvent méconnue ou incomprise. Du Mexique à la Palestine, les révolutionnaires marxistes soutiennent le Front Polisario. Pour deux raisons : une opposition instinctive à un régime marocain jugé réactionnaire, et un soutien à un peuple qui revendique le « droit à l’autodétermination », principe léniniste majeur. C’est donc sur ces bases là que le 23-Mars doit répondre pour expliquer son attachement à la marocanité du Sahara. Et aujourd’hui encore, sa réponse est riche en enseignements.

Le texte affiche, parfois, les défauts de l’argutie théorique. Mais sur bien des points, il frappe avec précision et n’hésite pas, par ailleurs, à se faire piquant. Si aujourd’hui cela paraît inoffensif, lancer l’accusation de « gauchisme verbal » envers un parti marxiste, ce qu’a fait le 23-Mars à l’attention d’Ilal Amam était, à l’époque et dans ce mouvement, une injure suprême.

Contre un État fantoche

Le 23-Mars ne comprend pas comment les révolutionnaires d’Ilal Amam peuvent accepter d’entériner un plan théorique, une situation créée par la colonisation. En effet, pour Ilal Amam, il est possible que le Sahara soit marocain sur le plan historique, mais la présence espagnole a modifié l’organisation sociale, économique et politique de la région, et donc, la donne générale. Pour le 23-Mars, cette position est inacceptable.

Elle l’est d’autant plus que les modifications induites par le colonialisme espagnol sont dangereuses pour l’avenir, selon le 23-Mars. Il faut se souvenir du contexte : la Guerre froide bat son plein et le cycle des révolutions africaines, asiatiques et sud-américaines n’est pas fermé. Mais les anciennes puissances coloniales ainsi que les États-Unis sont à l’offensive pour éviter que le Sud ne bascule dans le socialisme, si ce n’est pour maintenir différents moyens de tutelle. Le 23-Mars craint la réalisation du « projet néocolonial » qui vise à créer un petit État fantoche dans la région du Sahara, fruit de la collaboration entre les anciennes puissances coloniales et une partie de la bourgeoisie locale bien représentée au sein du Polisario, remarque encore le texte. Entre 1963 et la date de rédaction du document, des richesses minières ont été découvertes et le colonialisme espagnol a montré, selon les militants, des intentions de créer un petit État artificiel et vassal. Une logique qu’on a déjà vue à l’œuvre ailleurs en Afrique.

Une histoire de résistance

Le 23-Mars parle d’histoire, notamment de l’histoire de la lutte anticoloniale. Le texte, pour argumenter sur la marocanité du Sahara, prend en exemple la « révolution » du sahraoui El Hiba, au début du XXe siècle, ici considérée comme un vrai mouvement nationaliste dont la visée n’était pas uniquement « la libération de la région du Sahara, mais la lutte contre l’occupation colonialiste du territoire marocain dans sa globalité ». Lorsque El Hiba arrive à Marrakech, il se heurte à la résistance de certains pans du Makhzen et se réclame roi du Maroc, « de tout le Maroc », note le texte. Cette histoire de résistance au colonialisme importe aux yeux du 23-Mars. Et pour cause : le mouvement se veut une prolongation de l’esprit de la résistance. Son leader, Bensaïd Aït Idder, a été membre de l’Armée de libération du Sud, active dans le Sahara.

Le texte revient donc sur la présence des sahraouis dans l’armée de libération marocaine. Et ironise : « En 1971, le “peuple” sahraoui n’était pas encore apparu indépendamment du peuple marocain. » Et d’enfoncer le clou : « la plupart des dirigeants du Polisario, à leur tête El Ouali, son président (…) n’avaient informé personne de l’existence d’un peuple sahraoui indépendant du peuple marocain (…) alors qu’ils étaient (…) militants au sein de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM)… » La force des militants du 23-Mars provient aussi du fait qu’ils aient côtoyé ceux qui sont devenus les militants du Polisario dans l’Armée de libération nationale ou dans le mouvement de gauche.

L’autodétermination après la découverte du phosphate…

Pas tendre avec Ilal Amam, le 23-Mars renvoie sa position dos à dos avec celle du régime, qu’il accuse d’avoir désarmé la résistance dans le Sud et d’être resté mutique alors que des partisans antiespagnols se soulevaient. C’est aussi cette inaction qui a suscité la création d’une revendication indépendantiste dépourvue de légitimité historique ou théorique. Le 23-Mars, contre les intérêts immédiats des différentes parties, en appelle à l’unité patriotique dans la révolution socialiste. Le mouvement conclut ainsi son texte, lapidaire : « Nous, Marocains progressistes, avons milité pour la libération du Sahara dans le cade de sa marocanité bien avant la découverte des phosphates, alors que le slogan de l’autodétermination n’a vu le jour qu’après cette découverte. »

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