Steven Erlanger, journaliste au N.Y. Times: "La réputation des Etats Unis a été ternie par Trump"

Steven Erlanger est le correspondant en chef du New York Times en Europe.  Depuis ses débuts au sein de la prestigieuse rédaction new yorkaise, en 1987,  il a couvert les conflits aux quatre coins du globe, notamment en Ex-Yougoslavie et en Tchétchénie, tout en suivant l'actualité américaine.  Dans cet entretien, il revient sur la présidence de Donald Trump ainsi que ses accusations de "fake news" envers les médias traditionnels.

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Un an après l’élection  de Donald Trump, quel bilan tirez vous?

Les Etats-Unis sont divisés. Ils étaient divisés bien avant les élections, mais il n’a rien fait pour y remédier. C’est un  homme qui vit sur la colère, sa base est en colère et ce n’est pas quelqu’un capable de « guérir » les Etats-Unis. La réputation du pays a été ternie et s’il est réélu, c’est parce qu’une partie de l’Amérique sera encore en colère. Ses paroles ont été parfois agressives, nuisant à la réputation des Etats-Unis dans le monde,  mais il n’a pas fait beaucoup de choses. Il n’a pas réussi à se débarrasser d’Obama Care, et n’a pas réussi à faire passer le Muslim Ban même s’il affirme qu’il n’y a pas eu de « Ban » à proprement parler. Il a enfin un plan fiscal, mais il faut voir s’il va être approuvé , il y’a encore beaucoup de choses à faire. C’est certainement le gouvernement  le plus pro-business depuis Eisenhower.

Son équipe sécuritaire est plutôt bonne. Il est entouré de généraux. Même si ce n’est pas quelque chose que j’apprécie de particulier car ils ne comprennent pas ce qu’est le dialogue, l’échange d’opinion. Mais ils ont fait un bon travail car ils sont parvenus, je pense, à restreindre certaines de ses pulsions.

Ne pensez-vous pas que certains médias ont fait une erreur en plaçant Hillary Clinton à la Maison Blanche?

Tout le monde était convaincu qu’Hillary Clinton allait être élue.  Même Trump et Poutine. C’était un choc.  Je ne pense pas que Trump était prêt à être président. L’élection était très serrée et elle a eu 3 millions de votes de plus que lui.  Mais elle a fait des erreurs. Elle aurait dû plus faire campagne dans les états miniers.  Elle estime que le NY Times a été dur vis à vis d’elle. Peut-être avons nous été victime d’un biais de confirmation.

Certains médias, comme le vôtre, ont été qualifiés de « fake news » par Donald Trump. Comment réagissez-vous? Essayez-vous de lutter contre ça?

Il joue un jeu politique auquel nous ne participons pas. Il parle de nous comme si nous étions ces ennemis alors que nous ne le sommes pas. Nous faisons juste notre travail. Si ça le gêne, tant pis. En nous appelant « fake news« , il essaye de faire plaisir à sa base électorale et de saper les vraies informations que nous publions.

Mais la situation est délicate. Personne ne veut que le président vous crie dessus et vous ne pouvez pas lui crier dessus. En ce qui concerne  le New York Times, il a eu une relation intime avec notre média. Il a grandi à New York, il a lu et lit encore le New York Times. Il nous parle encore. Il n’a pas bloqué les canaux de communication et n’a pas de rancune à notre égard.  Il veut être félicité par le New York Times.  Ce qu’il dit sur Twitter ne représente pas sa personnalité.

Vous avez parlé de colère. Avec le Brexit, l’élection de Donald Trump, la montée des partis de droite ne pensez-vous pas que cette colère devient un phénomène mondial?

Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, les inégalités sont plus fortes. Pour les travailleurs américains, les salaires ont chuté. Au Royaume-Uni, les salaires ont stagné. Des emplois sont perdus. Aux Etats-Unis, l’industrie est encore très présente mais le nombre de personnes employés dans ce secteur a été massivement diminué à cause de la robotique.  Les pays anglo-saxons ont eu du mal à effectuer cette transition. Les gens sont en colère et c’est normal. Il existe une sorte d’anxiété.  Le Brexit est dû aux votes protectionnistes.  Aux Etats-Unis, Trump a remporté l’élection car les déçus de la politique, qui ne votaient pas,  étaient stimulés pour voter.  Les sondages ne les prenaient pas en compte car ils ne votaient pas.

Pensez-vous que cette colère a été transférée aux médias traditionnels?

Les médias mainstream sont politiquement situées au centre-gauche ou à gauche. C’est pour ça que Fox News a tellement de succès.  Les médias mainstream, comme le nôtre, essayent d’être le plus objectif possibles. Mais les lecteurs n’aiment pas l’objectivité. Ils veulent lire quelque chose qu’ils aiment. Ils veulent lire quelqu’un qui est d’accord avec eux.  C’est un problème. Mais en même temps, beaucoup de personnes qui ont voté pour Trump n’ont jamais lu nos articles.

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