Mustapha Laabid: "je souhaite que les rapports France-Maroc ne soient plus seulement "carte postale"

Mustapha Laabid, député français LREM, et nouveau président du groupe d’amitié France-Maroc à l'Assemblée nationale française, accompagnait le Premier ministre Edouard Philippe lors de sa visite officielle au Maroc les 15 et 16 novembre.

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Mustapha Laabid, en novembre 2017 au Maroc, lors de la visite officielle du Premier Ministre français

Nouveau président du groupe d’amitié France-Maroc  à l’Assemblée nationale, Mustapha Laabid, franco-marocain, 48 ans, ancien enseignant et entrepreneur breton, est particulièrement engagé dans l’insertion professionnelle, la lutte contre toutes formes de discrimination et la citoyenneté. Il souhaite imprégner son style dans les relations d’amitié France-Maroc: du franc-parler, une volonté de casser les vieux schémas « sachant/apprenant », de la sincérité et de la simplicité dans les relations d’amitié entre les deux pays. 

Après la première réunion du groupe le 9 novembre, il nous livre sans détour sa vision des relations franco-marocaines, ses ambitions et ses sujets prioritaires.

Telquel.ma: Pourquoi la présidence du groupe d’amitié France-Maroc à l’Assemblée nationale vous tenait-elle à cœur?

Mustapha Laabid: J’ai toujours été très proche de ce qui se passe au Maroc, pas seulement parce que je suis franco-marocain, mais aussi parce que j’y ai passé mes vacances depuis mon enfance (mes parents sont originaires de la province d’El Jadida, mais habitent à Casablanca), et que j’y développé une activité économique par le passé. J’ai une vraie envie de faire en sorte que les rapports France-Maroc ne soient plus seulement « carte postale », mais des échanges partenariaux géopolitiques, économiques… J’ai candidaté très tôt pour la présidence du groupe, et le fait d’être franco-marocain n’a pas forcément été facilitateur. J’ai fait valoir mon expertise. C’est une fierté et un honneur de présider ce groupe et cela a fait énormément plaisir à mes parents. Ils sont très fiers de se dire que, peut-être un jour, leur fils rencontrera Sa Majesté le roi du Maroc.

Quelles sont vos ambitions par rapport à ce groupe d’amitié?

Je ne me positionne pas en donneur de leçons. Il n’y aura pas les députés français « sachants » en direction des députés marocains « apprenants ». Je me positionne en tant que président d’un groupe d’amitié France-Maroc à l’ère Macron, pour casser les codes et aller plus loin dans les échanges.

Pour que ce groupe d’amitié produise des choses concrètes, j’ai pris la décision de mettre en place quatre groupes de travail couvrant des thématiques particulières, car nous sommes le plus nombreux groupe avec 136 députés, dont 16 vice-présidents de tous les groupes politiques. Le premier groupe concerne le développement économique et le développement durable. Il traitera des enjeux liés aux échanges industriels, à l’agriculture, à la pêche, au tourisme. Il aura notamment pour vocation de préserver les savoir-faire nationaux de chaque pays, dans un souci d’échanges gagnant-gagnant entre le Maroc et la France.

Le second groupe de travail porte sur le numérique, il abordera les questions numériques en lien avec les entreprises, l’open data, la démocratie numérique, la cybersécurité, le numérique pour tous, pour un Maroc 3.0.

Le troisième groupe porte sur la culture, et en particulier sur la francophonie. J’espère rencontrer très rapidement Leïla Slimani, représentante pour la francophonie auprès du président. Ce sera une chance de faire en sorte que le Maroc reprenne sa place au sein de la francophonie, en termes de droits culturels, d’arts, et de langue. Je souhaite que le regard des parlementaires français et des Français en général ne soit pas uniquement basé sur ce « Maroc carte postale« . J’aimerais qu’ils le considèrent davantage comme un partenaire et interlocuteur privilégié avec l’Europe et l’Afrique subsaharienne.

Le quatrième et dernier groupe de travail traitera de la démocratie, de la liberté et des solidarités, et notamment des droits humains et des droits des femmes, de l’immigration, de toutes ces questions liées au terrorisme. Il y aura beaucoup de débats et en particulier sur les enjeux communs de sécurité et de contre-terrorisme.

En parlant de droits des femmes, vous avez d’ailleurs été ovationné à l’Assemblée nationale suite à votre question au gouvernement sur les violences faites aux femmes. 

Oui, c’était une grande surprise pour moi. Je ne pensais pas qu’il y aurait un engouement si fort. Je m’implique fortement sur ces problématiques, et en tant que législateur français, je souhaite travailler avec les parlementaires marocains sur ces questions. Un groupe où il y aura d’autres questions importantes comme l’immigration, toutes ces questions liées au terrorisme, beaucoup de débats et en particulier sur les enjeux communs de sécurité et de contre terrorisme.

Quelle a été votre réaction suite à la sortie du ministre marocain des Droits de l’Homme, Mustapha Ramid s’attaquant aux homosexuels ?

C’est affligeant, que dire de plus… plus on en parle de ces sujets, mieux c’est. Tous ces sujets, quand ils sont abordés, sont positifs, car c’est quand ils sont tus qu’ils sont problématiques. Aujourd’hui, l’espace de dialogue est ouvert et c’est une chance de pouvoir apporter une voix dissonante à ces personnes dont les prises de parole sont affligeantes. Rien ne m’effraie, s’il y a des positionnements à prendre sur des sujets sensibles. Nous sommes 136 au sein du groupe d’amitié, il y aura parfois aussi des voix dissonantes et l’important est que les députés puissent s’exprimer librement.

Quel bilan du groupe d’amitié de la précédente législature pouvez-vous dresser?

En essayant d’envelopper la flèche de miel… quasiment rien n’a été fait dans la précédente législature, je démarre avec une feuille blanche. Au Sénat, le groupe avait beaucoup travaillé, mais à l’Assemblée il n’y a rien eu de très concluant.  C’est une opportunité et une chance de pouvoir avoir carte blanche et disposer de toutes les ressources des 136 députés.

Nous commençons dès aujourd’hui à travailler, avec le déplacement au Maroc avec quatre députés du groupe: Naïma Moutchou, ancienne avocate qui va notamment travailler sur l’adoption et les questions juridiques, Nadia Hai, qui a une grande expertise sur le Maroc, Gabriel Attal, qui est déjà intervenu auprès de la jeunesse marocaine, et Bruno Fuchs, qui connait très bien le Maroc aussi.

Concrètement, par quels biais allez-vous agir ? Des propositions de loi, des interventions auprès du gouvernement, une collaboration avec le corps diplomatique… ?

Oui, tout ce que vous citez. Mais avant tout, nous voulons changer le logiciel et établir un vrai dialogue avec les députés marocains. Le 22 novembre, une vingtaine de parlementaires marocains viendront nous rencontrer à l’Assemblée nationale. Nous allons les écouter, et comprendre leurs attentes sur ce groupe d’amitié.

Plus globalement, nous voulons influencer les échanges France-Maroc tout en restant dans une voix non dissonante avec le Quai d’Orsay, et en étant force de proposition pour magnifier ces échanges avec les parlementaires. Nous voulons aussi nous invertir auprès la société civile, soutenir des projets.

Depuis ma nomination, j’ai été très sollicité par des ONG, des associations,et autres collectifs d’habitants en France et au Maroc. J’ai partagé tous ces échanges avec mes collègues du groupe d’amitié.

Quel est le calendrier du groupe d’amitié pour les prochains mois ?

Je suis peut-être trop ambitieux, mais le groupe se réunira tous les mois. Par ailleurs, un forum réunissant les quatre chambres françaises et marocaines se tiendra au premier trimestre 2018 au Maroc, vraisemblablement à Marrakech. Également début 2018, le président de la République effectuera une seconde visite au Maroc et je l’accompagnerai. Les prochains mois sont donc bien chargés.

Quelles seront vos premières propositions concrètes ?

Avant tout, j’échangerai avec les parlementaires marocains pour ne pas être en position de donneur de leçons, mais j’aimerais aborder les questions de l’adoption, de l’héritage, des violences faites aux femmes et du harcèlement. Sur ce sujet, les parlementaires français et marocains sont  actuellement dans la même phase d’une construction de lois sur le consentement, le harcèlement de rue… Nous pourrons ensemble enrichir nos travaux respectifs. Nous parlerons également du tourisme, du développement économique, de la marocanité du Sahara, de façon intelligente, sans polémique ni posture.

Comment observez-vous l’évolution de la situation dans le Rif ?

J’apprends les événements du Rif au fur et à mesure de ce qu’en écrit la presse, je n’ai jamais été très expert de ces questions et je ne connais pas la problématique du point de vue des habitants. Lorsque je vois que Mohammed VI a pris des décisions importantes, comme le fait de limoger quelques ministres et hauts fonctionnaires, cela montre sa volonté de voir les choses changer. Le changement a parfois du bon et il faut travailler à faire en sorte que le Rif d’hier ne soit plus celui de demain.

Pour la petite histoire, pouvez-vous nous raconter quel business vous aviez monté au Maroc ?

Il y a un fantasme chez les jeunes français issus de l’immigration du retour au bled et j’ai fait partie de cette mouvance lorsque j’avais environ 30-35 ans. J’avais monté une plateforme d’exportation pour le poisson, et je me suis vite rendu compte que l’entrepreneuriat en France et au Maroc étaient deux mondes avec des façons de fonctionner différentes. Mais comme le disait Nelson Mandela, « je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends« . Cette expérience m’a permis d’apprendre beaucoup. Aujourd’hui, je n’ai plus l’ambition de développer quoi que ce soit sur ce volet commercial, ce qui me laisse une grande liberté pour échanger sur le développement économique des Français au Maroc et des Marocains en France.

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