Mohammed Ben Salmane à coeur ouvert dans le New York Times

Dans une interview accordée au New York Times, le prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS) a répondu aux questions du journaliste du grand journal américain. Corruption, mesures modernes, vision de l'islam, politique régionale en Iran et au Liban... Tous les dossiers chauds y passent.

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AFP

Le journaliste s’appelle Thomas L. Friedman. Il travaille au New York Times. Il suit la région du Moyen-Orient depuis qu’il a mis les pieds au Liban en 1979. En 2017, alors que l’Arabie saoudite vit une véritable révolution de palais sous la houlette du prince héritier Mohammed Ben Salmane, surnommé MBS, le journaliste a réussi à décrocher une interview avec celui qui retourne son pays et la région à coup d’annonces modernes, de purges contre la corruption, de tensions avec l’Iran et de guerre au Yémen.

« Nous nous sommes retrouvés le soir au palais familial aux murs d’adobe à Ouja« , raconte le journaliste du New York Times qui dresse un récit à la première personne. « MBS a parlé en anglais, pendant que son frère, le prince Khalid, le nouvel ambassadeur aux États-Unis, et plusieurs ministres principaux, ont partagé différents plats d’agneau et ont épicé la conversation« , raconte-t-il.

Corruption

La première question du journaliste américain et que tout le monde se pose: que se passe-t-il dans le Ritz où sont enfermés quelque 200 personnalités, princes et hommes puissants, suite à une purge sans précédent menée par le nouveau prince héritier saoudien? « C’est ridicule (…) de suggérer que cette campagne anticorruption était une prise de pouvoir« , écrit le New York Times. Le quotidien, citant toujours MBS, précise que la « majorité de la famille royale était déjà derrière lui en ce qui concerne ses réformes ». 

« Notre pays a beaucoup souffert de la corruption, depuis 1980 jusqu’à ce jour. Les calculs de nos experts montrent que 10% des dépenses de tout le gouvernement avaient été siphonées par la corruption chaque année« , explique le prince héritier en rappelant que différentes guerres contre la corruption ont déjà été lancées sans succès.

« Mon père a vu qu’il n’y avait aucun moyen de rester dans le G20 et croître avec ce niveau de corruption. Début de 2015, un de ses premiers ordres à son équipe était de collecter toutes les informations sur la corruption. Cette équipe a travaillé deux ans jusqu’à ce qu’elle collecte les informations les plus précises et sorte avec 200 noms« , raconte-t-il au New York Times.

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MBS assure que « 95% d’entre eux ont accepté un accord« . « Environ 1% est capable de prouver qu’ils sont sains. Environ 4% disent qu’ils ne sont pas corrompus et vont en justice avec leurs avocats« , détaille-t-il. Le journaliste du New York Times dépeint MBS comme quelqu’un de réaliste qui sait qu’il ne pourra pas éradiquer toute la corruption de haut en bas. « Vous devez envoyer un signal: Vous ne vous échapperez pas« , met en garde MBS.

Des réformes modernes ?

Thomas L. Friedman révèle la consigne donnée par le prince héritier: « N’écrivez pas que nous sommes en train de réinterpréter l’islam. Nous sommes en train de restaurer l’islam à ses origines ». Le journaliste confie qu’un des ministres de MBS l’a pris de côté pour lui montrer son téléphone et a partagé avec lui des photos et vidéos YouTube. Ces dernières montraient l’Arabie saoudite des années 50, avec des femmes non voilées, portant des jupes et marchant avec des hommes en public, allant à des concerts ou encore au cinéma.

« Alors que je viens ici depuis presque 30 ans, cela m’a époustouflé d’apprendre que vous pouvez écouter des concerts de musique classique occidentale à Riyad, que le chanteur de country Toby Keith a donné un concert pour hommes ici en septembre, où il a même chanté avec un Saoudien, et que la soprano libanaise Hiba Tawaji sera parmi les premières chanteuses à donner un concert réservé aux femmes le 6 décembre. Et MBS m’a dit, il a été décidé que les femmes pourraient aller dans les stades et assister à des matches de football. Les ecclésiastiques saoudiens ont complètement acquiescé ».

Le journaliste estime que cette politique est une réponse à la demande de modernisation de la part de la population jeune qui ne veut pas des règles issues de 1979. Cette année-là, la mosquée de la Mecque et ses pèlerins sont pris en otage plusieurs semaines par des fondamentalistes islamistes et opposants à la famille royale saoudienne. Matée par les forces de l’ordre saoudiennes, la rébellion est réprimée par le régime saoudien et permet aux autorités religieuses de renforcer leur pouvoir.

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En Iran, « le nouvel Hitler du Moyen-Orient »

« MBS ne discutera pas de ce qui se passe avec le Premier ministre libanais Saad Hariri« , explique Thomas L. Friedman. « Il a simplement insisté sur le but de toute cette affaire qui était de faire en sorte que Saad Hariri, musulman sunnite, ne continue pas de fournir une couverture politique pour un gouvernement libanais, essentiellement contrôlé par la milice chiite du Hezbollah, qui est essentiellement contrôlé par Téhéran« , résume le journaliste du New York Times.

Le « leader suprême » de l’Iran « est le nouvel Hitler du Moyen-Orient« , a ajouté MBS au sujet de sa politique extérieure. « Nous avons appris de l’Europe que l’apaisement ne marche pas. Nous ne voulons pas que le nouvel Hitler en Iran répète au Moyen-Orient ce qui s’est passé en Europe« , explique le jeune prince héritier de 36 ans.

Dans l’administration, MBS est connu pour appeler ses collaborateurs à toute heure du jour ou de la nuit, explique le journaliste. Quand Thomas Friedman lui demande pourquoi il travaille toujours comme s’il manquait de temps, MBS lui a répondu : « Je crains le jour où je vais mourir sans avoir accompli ce que j’ai en tête. La vie est trop courte et beaucoup de choses peuvent se passer. Je suis vraiment impatient de voir ces choses accomplies de mes propres yeux – et c’est pourquoi je suis pressé« .

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