"S’il y a une vraie volonté politique, Jerada sera sauvée" (Abdelaziz Adidi, spécialiste du secteur minier)

Crédit: FADEL SENNA / AFP

En milieu de semaine dernière, une délégation ministérielle s’est rendue à Jerada, afin de rencontrer les leaders du mouvement de protestation né de la mort de deux frères dans une galerie clandestine, vendredi 22 décembre. Abdelaziz Adidi, spécialiste du secteur minier marocain, livre à TelQuel.ma son analyse des propositions avancées.

Selon Aziz Rabbah, « l’avenir de Jerada n’est plus le charbon, mais passe par l’ouverture à d’autres secteurs ». Le ministre de l’Énergie et des mines, à la recherche d’un « nouveau modèle de développement » pour la région, évoque successivement les énergies vertes, l’agriculture ou encore le tourisme.

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Pour Abdelaziz Adidi, professeur et directeur de l’Institut national d’aménagement et d’urbanisme (INAU), auteur de nombreux articles sur les villes minières marocaines, la crise est effectivement profonde. Les exemples de reconversion réussies existent cependant, aussi bien au Maroc qu’à l’étranger.

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 Abdelaziz Adidi

TelQuel.ma: Êtes-vous surpris par les manifestations qui se sont tenues ces deux dernières semaines à Jerada?

Abdelaziz Adidi: Ce qui se passe à Jerada était prévisible depuis la fermeture de la mine, au début des années 2000. Aucune solution alternative n’a été mise en œuvre, malgré des promesses et un programme de reconversion, qui n’a malheureusement jamais vu le jour. Je me souviens que nous étions là-bas il y a tout juste un an, à l’occasion d’un colloque sur la reconversion des mineurs (dont les interventions ont été rassemblées dans un ouvrage collectif intitulé « Villes et territoires miniers: La vie après la mine »). Les jeunes qui prenaient le micro avaient un discours très virulent. L’ambiance était déjà très tendue.

Que pensez-vous des solutions avancées par la délégation ministérielle qui s’est rendue sur place?

Il faut voir si elles sont vraiment créatrices d’emplois, et pourront avoir un réel impact social. Les potentialités agricoles sont assez maigres, car les sols sont pauvres et la pluviométrie faible. Il y a bien une nappe phréatique, mais il faudra des investissements conséquents pour l’exploiter. Le secteur des énergies renouvelables peut également être porteur, surtout dans le cadre de la régionalisation. Quant aux opportunités touristiques de l’Oriental, je pense qu’elles sont plutôt à chercher du côté des stations balnéaires du nord. Il n’y a pas de réelle demande dans la province de Jerada. On peut rêver à beaucoup de choses, mais il faut garder les pieds sur terre.

Quelles sont les pesanteurs qui freinent le développement de ce territoire?

L’un des grands problèmes, c’est que Jerada connaît un exode massif et perd de sa population. Les anciens mineurs sont partis après avoir touché leur primes, et plus rien ne retient les jeunes. Il faut absolument trouver un moyen d’attirer la classe moyenne, qui doit jouer un rôle de locomotive. Aujourd’hui à Jerada, il n’y a pas d’hôtel, pas de café ni de restaurant digne de ce nom. Mais je suis persuadé que si les conditions de vie sont agréables, ceux qui font la navette quotidienne depuis Oujda s’installeront sur place, et les investissements suivront. À notre niveau, nous réfléchissons d’ailleurs à y implanter une antenne délocalisée de l’Université d’Oujda.

Vous qui êtes originaire de Khouribga et avez étudié l’activité de cette région minière, quelle comparaison peut-on faire avec Jerada?

La situation est radicalement différente. Khouribga a su diversifier ses activités, en devenant un centre administratif important et en se développant grâce aux investissements – notamment immobiliers – des nombreux fils de la région qui ont émigré en France, puis en Italie et en Espagne. Des commerces et des services se sont également développés, ainsi qu’un noyau universitaire. Même si les études montrent que les réserves de phosphate sont loin d’être épuisées, la ville a su réduire sa dépendance à l’OCP.

Selon vous, quelle peut être l’issue à la crise actuelle?

À court terme, il faut calmer les esprits, et mettre en place une stratégie de formation professionnelle au profit des jeunes. Ensuite, tout dépendra de la volonté politique. Si elle est réelle, Jerada sera sauvée. Un bon exemple peut être à chercher du côté de l’ex-bassin minier du Nord-Pas de Calais, qui a su réussir sa transition, pour devenir aujourd’hui l’une des régions les plus intégrées de France, en matière d’industrie, de commerce, de services, de technologies ou encore d’économie du savoir. Mais là où il sera compliqué de répliquer ce modèle à Jerada, c’est que le Nord-Pas de Calais a profité de sa proximité avec la Belgique, alors que la frontière avec Algérie est fermée, et qu’il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle soit réouverte dans les jours à venir.

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Potentialités forestières et végétales

Dans un article titré « Les ressources naturelles de la Province de Jérada: Une potentialité riche et diversifiée », Fayçal Benchekroun, professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II (Rabat), développe les prédispositions naturelles sur lesquelles la région pourrait capitaliser. « Malgré les contraintes climatiques, elle possède de grandes potentialités en ressources minières (charbon), forestières (chêne vert et thuya) et végétale (alfa, romarin…) », énumère-t-il.
Selon le texte, le domaine forestier représente 355.522 hectares (dont 276.000 ha de nappes alfatières – une plante utilisée pour le fourrage et l’artisanat), soit 26% de la superficie totale de la province. Si la production de bois demeure marginale – à cause des risques de désertification – le secteur des plantes aromatiques et médicinales connaît un certain engouement, avec notamment une production de romarin de 0,3 tonne par hectare et par an. « Compte tenu du développement que connaît le marché des huiles essentielles et plantes médicinales au niveau national et international, la région de Jerada offre d’importantes opportunités d’investissement dans ce domaine », estime le Pr Benchekroun.[/encadre]

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