Les appels d’offres se font discrètement, s’adressant parfois directement à une short list de sociétés marocaines ou étrangères. Lancés par les wilayas ou les agences et sociétés de développement local pour le compte de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), les projets de vidéosurveillance des villes abondent ces derniers mois.
À l’image des métropoles mondiales qui surfent depuis une quinzaine d’années sur le concept de “smart city” (“ville intelligente”), et qui tendent désormais vers la “safe city” (“ville sécurisée”), les villes du royaume, encore peu fournies en caméras, veulent se mettre au diapason et font de la protection et de la surveillance des habitants leur cheval de bataille.
Casa smart city
Récemment, c’est l’appel d’offres pour le mégaprojet de surveillance de Casablanca, lancé en février dernier et évalué à 720 millions de dirhams, qui a fait parler de lui. Certains médias n’ont pas hésité à puiser dans les références aux œuvres de fiction pour qualifier ce projet : “Big Brother”, “Minority Report”… La capitale économique aura-t-elle bientôt un œil sur tous les faits et gestes des Casablancais ?
Officiellement, le projet lancé en février dernier par la Société de développement local (SDL) Casa Transports entend mettre en place un important système de vidéoprotection et de régulation intelligente de la circulation dans la ville blanche. Une aubaine à l’heure où Casablanca veut devenir une référence en matière de “smart cities” sur le continent africain et attirer ainsi davantage d’investisseurs étrangers.
“Ce que veut Casa Transports au travers des spécifications techniques demandées par la DGSN, c’est vraiment une solution qui va vers la smart city, très portée sur la sécurité”
“Ce que veut Casa Transports au travers des spécifications techniques demandées par la DGSN, c’est vraiment une solution qui va vers la smart city, très portée sur la sécurité”, souligne une source opérant dans le secteur des systèmes de sécurité, qui a requis l’anonymat. Une vision partagée par un autre opérateur du secteur, qui assure que “c’est un projet de protection des citoyens et de sécurité, plus que de surveillance. Dans une ville comme Casablanca, qui tend à devenir une smart city, il est essentiel d’avoir des caméras qui permettent par exemple de fournir des images d’un accident de voitures ou d’un vol à l’arraché”.
Dans la liste des spécificités techniques demandées par la DGSN pour ce chantier, auxquelles TelQuel a eu accès, les équipements high tech de surveillance se taillent la part du lion : caméras à reconnaissance faciale ou à lecture automatique de plaques d’immatriculation, solutions technologiques permettant la détection de personnes et la gestion de trafic (détection des véhicules à contre-sens, système d’alerte en cas d’embouteillage, comptage de véhicules en temps réel sur un axe donné…).
En tout, 577 sites seront équipés d’une à quatre caméras, allant des caméras multi-capteurs aux caméras fisheye (360°), thermiques ou grand angle. Sans compter la mise en circulation de deux drones qui voleront au-dessus des grandes artères de la métropole.
Ce vaste système de vidéosurveillance, relié à un data center, permettra par exemple de détecter des infractions comme une agression, le non-respect d’un feu rouge, la circulation en sens interdit ou le franchissement d’une ligne continue par un conducteur.
Les données seront ensuite envoyées en temps réel, via un nouveau réseau de fibre optique déployé dans tout le Grand Casablanca, aux agents de la DGSN “pour vérification et verbalisation”, selon le cahier des charges. La police et les services sécuritaires pourront ainsi agir plus rapidement sur le terrain.
Selon nos informations, les deux géants français opérant dans le domaine des infrastructures et de la sécurité, Bouygues et Thales, associés à des entreprises marocaines, sont les seuls concurrents en lice pour remporter ce projet qui devrait débuter d’ici la fin de l’année.
Assurance tourisme à Marrakech
Autre projet, de moindre envergure mais tout aussi stratégique, celui du déploiement d’un système de vidéosurveillance à Marrakech. Porté cette fois-ci par la société d’aménagement Al Omrane, ce projet à 18 millions de dirhams entend renforcer la sécurité dans l’ancienne médina de la ville ocre avec l’installation de 223 caméras.
Là encore, il ne s’agira pas de lésiner sur les moyens techniques : caméras fixes et mobiles intelligentes, caméras à lecture automatique de plaques et caméras à reconnaissance faciale via l’Intelligence artificielle feront désormais partie du décor urbain de l’ancienne médina. Un data center au cœur de la place Jamaâ El Fna servira à centraliser toutes les images captées.
“L’installation de caméras supplémentaires équipées de nouvelles technologies permettra de rassurer les habitants de l’ancienne médina, les nationaux et les touristes”
“L’objectif de ce projet est de permettre la sécurisation de plus de zones dans l’ancienne médina, principalement ses circuits qui sont touristiques pour la plupart”, nous confiait une source au sein d’Al Omrane en avril dernier, lors de l’annonce de ce projet. “L’installation de caméras supplémentaires équipées de nouvelles technologies permettra de rassurer les habitants de l’ancienne médina, les nationaux et les touristes. C’est une bonne chose pour la reprise du tourisme. C’est un argument pour vendre la destination Marrakech à l’international comme une destination plus sécurisée”, vantait pour sa part le directeur de la communication du Conseil régional du tourisme (CRT) de Marrakech, Abdellatif Abouricha.
Un œil sur Al Hoceïma
Détour par le nord, à Al Hoceïma cette fois-ci, où un projet similaire vient de sortir des cartons de l’Agence de promotion et de développement du nord (APDN), dans le cadre du programme Manarat Al Moutawassit. Lancé en 2015, ce programme de développement économique et social de la province a connu une nouvelle impulsion depuis 2016 suite aux événements du Hirak du Rif qui ont ébranlé la région.
Selon nos confrères du Desk, un budget de près de 7,9 millions de dirhams a ainsi été débloqué pour ce projet de vidéosurveillance qui couvrira plusieurs périmètres de la ville et comprendra, là aussi, des caméras à reconnaissance faciale ou de plaques, qui pourront “conserver des métadonnées sur les personnes et les véhicules”. “La visualisation, le traitement et le stockage des images seront assurés par des plateformes de management qui seront installées au sein du centre de contrôle”, est-il spécifié dans un document détaillant les contours du projet.
Huawei place ses pions à Dakhla
Beaucoup plus au sud, c’est à Dakhla, ville au centre de l’attention des investisseurs étrangers, notamment depuis que la ville est devenue un hotspot de représentations diplomatiques étrangères, que les nouvelles technologies de surveillance se fraient un chemin.
Fin mai, une rencontre entre la wilaya et des représentants du géant chinois Huawei au Maroc jetait les bases “d’une future coopération pour le déploiement de nouvelles solutions technologiques et ce, pour la transformation digitale de la ville de Dakhla”, annonçait la wilaya en grande pompe dans un communiqué. Parmi les objectifs annoncés, “le lancement de Dakhla Smart City, l’équipement du nouveau port de solutions technologiques et le déploiement de systèmes intelligents de vidéoprotection pour renforcer la sécurité de la ville”, pouvait-on lire.
“Si Huawei vend des produits de vidéosurveillance, il n’a pas accès à ce que les clients finaux en font et ne participe pas à leur installation”
Un projet de coopération autour duquel peu d’informations filtrent. Contacté par TelQuel, Huawei Technologies Maroc refuse de communiquer pour le moment. Toujours est-il que “si Huawei vend des produits de vidéosurveillance, il n’a pas accès à ce que les clients finaux en font et ne participe pas à leur installation”, précise une source autorisée au sein du groupe.
Décrié ces dernières années pour le flou entourant la collecte de données par ses systèmes de surveillance, le mastodonte chinois, très actif sur le continent africain, n’a pas toujours bonne presse. “Huawei ne représente pas la Chine, c’est une marque, pas un État”, se défend notre source.
Rabat, Fès, Tanger… en ligne de mire
Dans une moindre mesure, d’autres villes du royaume ont commencé à s’équiper en caméras de surveillance ces dernières années. C’est le cas de Rabat, Fès ou Tanger, où des systèmes de vidéosurveillance pilotés par la DGSN ont été installés dans plusieurs quartiers.
Récemment, l’installation de systèmes de surveillance de la Ceinture verte à Rabat a fait l’objet d’un appel d’offres, notamment pour prévenir et lutter contre les incendies de forêt. Un autre projet de surveillance de la capitale est dans les cartons de la société Rabat Région Aménagement, selon nos informations, pour un budget estimé à plusieurs dizaines de millions de dirhams, mais il n’a toujours pas vu le jour.
À Fès, en 2018, c’est la société marocaine Sphinx Electric qui s’est chargée d’équiper les grandes artères et une partie de la vieille ville d’une centaine de caméras pilotées par les équipes de la salle de contrôle de la DGSN au niveau de la préfecture de police, pour un budget de 10 millions de dirhams, selon nos informations. Une extension est prévue.
Même modus operandi à Tanger, où 200 caméras ont été déployées ces dernières années dans la ville, marché remporté par la société Cires Technologies. Des projets qui devraient s’intensifier à l’avenir, alors que le marché des caméras de surveillance connaît un véritable boom ces dernières années.