Découverte: le slam doux-amer de la jeune Noussayba Lahlou

Noussayba Lahlou est une jeune slameuse originaire d'une petite ville proche de Larache. Aujourd'hui, elle parcourt le pays pour déclamer ses textes.

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Crédits photos : Margaux Mazellier

Noussayba est comme ses textes, à la fois douce et intense. Ses yeux brillants et son sourire d’enfant lui donnent un air naïf qui contraste avec la dureté de ses textes. Ses grands yeux rieurs et son sourire d’enfant lui donnent un air naïf qui contraste avec la dureté de ses textes.

De Casablanca à Tanger en passant par El Jadida et Oujda, Noussayba se déplace aujourd’hui à travers le Maroc pour déclamer ses slams doux-amers sur sa vision du Maroc et de la vie en général.

De la musique classique au slam

Noussayba est née à Ksar El Kebir, une petite ville de la province de Larache. Et autant qu’elle se rappelle, la jeune femme aujourd’hui âgée de 21 ans a toujours écrit. « À la maison, on baignait dans les livres et la musique. Mon père me faisait tout le temps écouter Fairouz. Je voulais être comme elle, alors je l’imitais. Quand j’avais douze ans, j’écrivais des poèmes en arabe classique« , se rappelle la jeune artiste, en réajustant délicatement son voile. Son sourire ne la quittant jamais.

Quelques années plus tard, alors qu’elle flânait sur YouTube, elle tombe sur une vidéo de Grand Corps malade, célèbre slameur français. « J’ai adoré. Et la première chose que je me suis dite c’est: moi aussi je peux le faire!« .

Elle a alors 15 ans. La même année son père l’inscrit à l’Institut français (IF) à El Jadida où ils vivent désormais. Destin ou coïncidence, il s’avère que le centre organise des ateliers annuels de slam. La première année, Noussayba et son groupe remportent la première place du concours. Un exploit réédité l’année suivante, sauf que cette fois elle est toute seule. « Là je me suis dit: c’est parti. Je me lance vraiment, et on verra bien !« .

Très vite Noussayba est repérée. En février 2015, l’initiative « Dkhla b’ktab » l’invite pour venir animer un événement à Oujda. Ce soir-là, elle interprète l’un de ses textes « Crise d’identité« , où elle slame sa colère contre la politique, ce système « corrompu » et ses inégalités...

Noussayba regrette d’avoir tenu ce discours qu’elle trouve aujourd’hui « très moralisateur ». « C’est ce genre de discours qui alimente la colère. Colère dont on n’a pas besoin aujourd’hui au Maroc. Je ne veux plus, à travers mes textes, faire la liste des problèmes de ce pays. Tout le monde les connaît déjà. Je veux offrir des possibilités. Je veux que quand les gens écoutent mon texte ils se sentent apaisés, pas en colère« , confie la jeune femme.

Quoi qu’il en soit, la vidéo fait son effet. À ce jour, la prestation postée par l’association après l’événement a été vue plus de 12.000 fois sur YouTube. « Pleins de gens se sont mis à m’écrire pour me féliciter. Je recevais plein de notifications sur les réseaux sociaux. Je n’ai aucune confiance en moi. Je n’aurais jamais osé poster une première vidéo de mes prestations. Heureusement, quelqu’un l’a fait pour moi », s’amuse Noussayba, d’un rire clair.

Ce manque de confiance en elle, bien qu’il nous paraisse à mille lieues du sentiment paisible qui émane de Noussayba, est palpable. Mais ce n’est jamais pour se déprécier, loin de là. D’ailleurs, lorsqu’on lui demande de nous faire écouter « Ces gens-là« , le second texte qu’elle a publié, la douce Noussayba, réitère : « C’est un texte sur les gens qui ont le cancer. Je n’aime pas trop cette vidéo. Je me dis que j’aurais pu mieux l’écrire. Mais ce n’est qu’une question de style, car dans le fond, mes idées à ce sujet n’ont pas changé« .

L’amour des mots

En vraie amoureuse des mots, Noussayba étudie la littérature française à la faculté de Ben M’sick, en deuxième année de master. « Mes auteurs préférés sont Milan Kundera et Aimé Césaire. Je m’inspire beaucoup de mes lectures, mais encore plus de mes professeurs. Parfois, en cours, ils lancent une phrase ou une idée et je la développe. D’ailleurs c’est comme ça que naissent mes sujets, d’une observation, d’une phrase prise au vol ou d’un détail aperçu. Je suis une grande observatrice, même si je parle beaucoup !« , dit-elle avec une pointe d’autodérision.

Cette passion pour les mots et leurs secrets, Noussayba la tient de son père, professeur d’éducation islamique, dont elle parle toujours avec une tendresse non feinte: « C’est lui qui m’a initié à la littérature et la poésie. Je me souviendrai toujours de nos balades nocturnes. Souvent le soir après diner, on sortait marcher et il me parlait de la mélodieuse Fairouz, du Libanais Khalil Jibran, des poèmes engagés de l’Irakien Ahmad Matar… J’adorais ces moments privilégiés avec lui« .

Depuis, Noussayba a une histoire particulière avec l’écriture. Elle n’écrit pas tout le temps, mais très souvent, et toujours sur le même support :  « J’écris sur le papier dans lequel on vend le beurre dans les épiceries. Je prends le plus grand format possible pour pouvoir travailler les mots comme je le veux. Je peux faire des flèches, revenir sur les rimes, modifier mes jeux de mots…« .

La jeune femme écrit la nuit lorsqu’elle ressent « ce doux glissement entre l’éveil et le sommeil. D’ailleurs, la plupart du temps quand je me lève le matin je me dis : mon Dieu, c’est moi qui ai écrit ça ? C’est n’importe quoi !« , rigole-t-elle franchement.

Prendre son envol

En septembre 2017, après trois mois de pourparlers avec son père, Noussayba décide de quitter sa famille alors installée à El Jadida pour partir à l’aventure à Casablanca. C’est à ce moment qu’elle écrit « Reste en fourmi » :

« J’ai écrit ce texte en deux nuits. C’était un peu un texte pour moi. Un texte de motivation face à la solitude que j’ai rencontrée quand je suis arrivée à Casablanca dans le quartier pas très accueillant de Moulay Rachid« , explique-t-elle.

Mais parce que le slam est une poésie urbaine, Noussayba s’est rapidement imprégnée de Casablanca dont elle a su s’inspirer : « Il y a une atmosphère triste ici, surtout la nuit quand tu marches vers le marché central. Les bruits, la fumée, les odeurs. Tout ça est prenant, mais aussi très inspirant« .

Avec les mois, les textes de Noussayba s’affinent et sa poésie s’émancipe. « Avant je faisais toujours relire mes écrits à mon père. Depuis que j’ai quitté la maison, ce n’est plus le cas. Je sens que je commence à prendre mon indépendance artistique. Et ça se sent dans mes textes« , analyse la jeune fille.

En effet, ces derniers mois, la slameuse enchaîne les projets. En septembre dernier, elle a été invitée à la légation américaine de Tanger où elle a interprété quatre de ses textes, dont voici un extrait.

Elle a également participé à un festival, pris part à des Live Room, et a animé plusieurs ateliers de slam dans des écoles. Fin 2017, elle a enregistré sa première vidéo en darija dans le cadre de sa résidence de recherche artistique à l’Atelier de l’Observatoire. La vidéo, « Fragments de discours populaires » – encore en cours de montage, est un projet slam pour l’écriture collective d’un récit, en darija, sur la mémoire populaire et collective d’Aïn Chock dont les auteurs sont les habitants du quartier.

La motivation débordante de la jeune femme est contagieuse. Mais si l’avenir semble prometteur, Noussayba, loin de l’image naïve qu’elle peut donner, est en fait très lucide : « Au Maroc, les artistes doivent se battre pour exister. Personne ne nous donnera jamais la parole ici. Personne ne nous aidera à grandir, à part nous-même. Nous sommes nos propres producteurs« .

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