Affaire du bus: Après l'indignation, l'oubli

La vidéo avait fait le buzz et les Marocains s’étaient indignés. Quelques manifestations ont été organisées dans le royaume pour dénoncer l’agression sexuelle de Zineb dans un bus de Casablanca, par cinq jeunes garçons. Mais, depuis, cette affaire est tombée dans l’oubli. TelQuel rouvre le dossier.

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Sous le soleil du quartier populaire de Hay Chmaou à Salé, des enfants courent entre les barres d’immeubles. Au premier étage de l’un d’entre eux, Zineb nous ouvre la porte, grand sourire et le regard un peu perdu. La vidéo de cette jeune fille de 25 ans qui a été violemment agressée dans un bus à Casablanca par cinq jeunes garçons avait circulé le 20 août 2017 sur Internet, choquant beaucoup de monde. Avant qu’elle nous dise un seul mot, sa mère débarque et referme la porte aux trois-quarts. “Pendant dix jours, les journalistes sont venus chez nous. Des associations nous ont promis de l’emmener à l’hôpital. Et puis plus rien ! Ma fille souffre de troubles mentaux, je suis fatiguée, c’est fini maintenant”, lâche Zahra, exténuée et le visage fermé. Finalement, nous rentrons tout de même dans le modeste appartement aux murs jaunes où courent deux petits aux boucles brunes avec lesquels Zineb s’amuse. “Ce sont les enfants de sa sœur”, lance Zahra, en remettant ses cheveux sous son foulard orange.

Difficile pour cette veuve et mère de sept enfants de revenir sur cette histoire qui a marqué sa famille. “Maintenant, je ferme toujours la porte à clé. Zineb ne sort plus”, avoue Zahra, qui a peur que l’histoire se répète. A côté, la jeune fille aux cheveux noirs retenus par une pince regarde ses pieds. “Mes tantes étaient venues à la maison au mois de juin, juste après l’Aïd El Fitr. J’en ai profité pour m’échapper et partir à Casablanca”, raconte Zineb timidement, en se tenant la tête entre les mains. Dans son pyjama aux motifs de pattes de panthère, son regard s’illumine quand elle parle de la capitale économique : “Ce que j’aime, c’est les boîtes de nuit et danser sur du raï”. Sa mère ajoute que ce n’est pas la première fuite à son palmarès, elle qui “veut sentir le vent sur son visage”. Un désir poétique certes, mais qui peut s’avérer dévastateur.

Une instruction encore en cours

En juin 2017, la jeune fille fugue pendant deux mois. A son retour, elle raconte son agression. Personne ne la croit, “elle est malade”. Depuis dix ans, Zineb est suivie par un médecin pour troubles mentaux à l’hôpital Arrazi de Salé. Un suivi onéreux de plus de 500 dirhams par mois pour cette famille pauvre, selon Zahra. Quand la vidéo sort, ses sœurs la reconnaissent immédiatement. “Je ne veux pas y croire”, raconte sa mère. Pourtant, la police frappe à leur porte et embarque Zineb au commissariat de Casablanca, accompagnée d’une de ses sœurs. Le 21 août, plusieurs suspects sont interpellés par la police à Casablanca, selon la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). “La police arrive dans le quartier et cherche mon fils Réda”, raconte Mounir, gardien de voitures de nuit dans le quartier de Sidi Bernoussi à Casablanca. Avant de continuer son récit, l’homme d’une quarantaine d’années, qui garde un œil sur son parking, se frotte les mains pour les réchauffer, avant de les enfoncer dans sa veste en cuir marron. “Pendant quinze jours, j’ai fait des allers-retours au commissariat du Maârif où les cinq garçons de 15 à 17 ans étaient écoutés de 8 heures à 1 heure du matin”, raconte-t-il, les traits encore tirés. Mais le soir, il rentre seul, sans son fils unique de 17 ans, désormais détenu à Oukacha, dans le centre pour mineurs.

Le 24 août, six personnes dont cinq mineurs sont déférées devant le Parquet général près la Cour d’appel de Casablanca, pour attentat à la pudeur, tentative de viol, complicité et non-dénonciation de crime. Selon le Code pénal, les jeunes risquent, pour les deux premières accusations, entre cinq à dix ans de prison, voire vingt ans puisque les faits ont été commis sur une personne handicapée. “Le juge d’instruction n’a pas encore terminé l’enquête”, indique Jmiâa Haddad, avocate proche du dossier. “Nous, les parents des cinq enfants détenus, on est allés voir la mère de Zineb pour lui proposer 80 000 dirhams. Elle a refusé”, se désole Mounir, prêt à arranger les choses. “Je ne veux pas d’argent, mais qu’ils aillent en prison”, confirme Zahra, encore en colère “parce que tout le monde a vu la vidéo de ma fille, seins nus, qui se fait agresser. Maintenant qu’ils sont en prison, un autre garçon réfléchira avant de faire la même chose”, s’emporte-t-elle.

Impossible de mettre la main sur le contact des avocats des mineurs, que les parents ne veulent pas communiquer. La mère de Zineb assure ne pas l’avoir. L’avocate Khadija Rougani était présente le jour de la présentation des accusés devant le procureur fin août dernier. “J’ai été freinée sur cette affaire car il est difficile de communiquer avec la famille, qui ne m’avait pas donné les bons numéros de téléphone et ne venait pas aux rendez-vous”, concède Khadija Rougani. “La jeune fille malade aurait dû être hospitalisée après ce traumatisme. C’est la responsabilité de l’Etat et de M’dina Bus”, assure l’avocate, qui travaille avec la Fédération de la ligue démocratique des droits des femmes (FLDDF). A sa tête, la présidente d’honneur, Fouzia Assouli, explique qu’elle voulait se constituer partie civile. “Mais avec la législation actuelle, il est impossible de le faire si vous n’avez pas l’accord de la famille, à part si vous êtes une association reconnue d’utilité publique — ce que n’ont pas les associations de plaidoyer à part l’AMDH”, critique la militante. Elle voulait porter plainte contre M’dina Bus afin que Zineb obtienne des dommages et intérêts et que s’ouvre un débat sur le cahier des charges des transports publics où pourraient être installées des caméras de surveillance. De son côté, M’dina Bus a mené une enquête en interne, dont les enregistrements et éléments demandés ont été transmis à la DGSN. En novembre, les bus ont mené une campagne d’affichage contre le harcèlement. Depuis, plus rien.

Tous emprisonnés

Mounir est effondré. Tous les lundis, il se rend à la prison avec deux autres mères des détenus, tous copains de quartier. “Je rentre dans la prison pour acheter des choses, puisque le panier est désormais interdit, puis je reste 15 à 30 minutes avec lui”, décrit Mounir dont la femme est malade. Les deux autres familles viennent le vendredi. Une fois par mois, toute la famille peut venir une demi-journée. Walid, petit cousin de Réda, espère que celui qui le “protège des autres gars du quartier” sortira au plus vite. Le jeune garçon raconte que la bande, désormais détenue, fréquentait Zineb avant les faits. “Ils fumaient des cigarettes et du haschich et buvaient de la mahia ensemble”, témoignent le père et le cousin. Ces faits minimiseraient la vidéo qui n’est “pas très grave” à leurs yeux, malgré sa violence flagrante où la jeune Zineb se fait arracher ses vêtements, peloter les seins et insulter.

Désormais, la jeune fille est cloîtrée chez elle, surveillée par sa mère. Elle tourne en rond dans l’appartement où elle habite avec sa mère et son frère de 19 ans. “Je reste beaucoup de temps à la maison sans rien faire, alors je suis triste. J’aimerais travailler dans un café et voir la mer”, rêve encore Zineb.

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