La campagne de boycott menace-t-elle les investisseurs étrangers ?

Le boycott des produits de Centrale Danone, Sidi Ali et Afriquia Gaz devait durer un mois. S'il s'essouffle actuellement, il n'a pas été sans conséquence sur les sociétés boycottées. Notamment - et surtout - pour le leader des produits laitiers au Maroc : Centrale Danone. Inquiet pour la santé du marché marocain, le gouvernement craint que le mouvement finisse par faire "fuir" les investisseurs étrangers. Eclairage.

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Le boycott pourrait avoir un impact négatif sur l’investissement national et étranger et, par conséquent, sur l’économie nationale». Vendredi 1er juin, le gouvernement tire la sonnette d’alarme quant à l’éventuel impact du mouvement de contestation des consommateurs sur le climat des affaires du pays. Dans un communiqué, publié le jeudi 31 mai, Saâd Eddine El Othmani et ses ministres appellent les citoyens « à apprécier la situation à sa juste valeur ».

Début mai, Lahcen Daoudi, le ministre délégué chargé des Affaires générales et de la gouvernance, déclarait déjà que cette campagne « allait faire fuir les investisseurs du Maroc ». Il allait même plus loin en faisant part à la Chambre des conseillers de « sa crainte que Centrale Danone quitte le Maroc ». Une inquiétude qui serait non sans retombées économiques pour le Royaume, puisque la société embauchait – avant son actuel plan de redressement – plus de « 6000 employés à temps plein », selon le ministre délégué.

Une appréhension presque confirmée, puisque la société laitière a annoncé la réduction de 30% de ses achats de lait aux éleveurs et la suppression de 886 contrats d’intérimaires. A la suite de cette annonce, une « réunion urgente » a été convoquée par le ministère de l’Agriculture, à la demande de la Fédération interprofessionnelle marocaine du lait.

« Perte de confiance »

« De grandes sociétés internationales françaises implantées au Maroc nous demandent des notes de situation sur la santé actuelle du marché marocain.  Elles émettent donc des inquiétudes », nous confie une source spécialisée dans le conseil en stratégie pour les dirigeants et en intelligence économique. Et d’ajouter : « Elles se renseignent aussi auprès de la Chambre française de commerce et d’industrie au Maroc (CFCIM). Une des questions posées : est-ce que ce boycott est le signe d’un french-baching? La réponse est non ». Contactée par nos soins, la CFCIM n’a, à ce jour, pas répondu à nos questions.

Cette démarche « est le signe d’une crainte », commente notre interlocuteur. Sans préciser toutefois les noms de ces acteurs économiques étrangers. L’expert nous laisse entendre qu’il s’agit en grande partie du « top 10 des plus grosses boîtes françaises présentes dans le pays » et qu’elles « se sentent assisses sur un chaudron ».

Même son de cloche du côté de Moncef Belkhayat, PDG de Dislog group et président de Tijara 2020 (association des distributeurs de produits de grande consommation). Qualifiant ce mouvement « de grande première de par son ampleur et son efficacité », l’ancien ministre RNI affirme que « tous les directeurs marketing analysent avec beaucoup d’intérêt ce qu’il se passe, pour le faire remonter à leurs maisons-mères et revoir leur dynamique. Des marques puissantes, présentes au Maroc depuis des décennies, comme Centrale Danone, ont tout de même enregistré une baisse à deux chiffres de leur chiffre d’affaires… ». Selon Moncef Belkhayat, « il y a, dans tous les boards, une perte de confiance des investisseurs internationaux vis-à-vis du Maroc ».

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Un point de vue en opposition avec celui d’Asma Morine Azzouzi, spécialiste dans l’accompagnement global des investisseurs. Elle qualifie ce boycott de « mini-crise ». Elle explique : « A ce jour, c’est une situation encore trop ‘maroco-marocaine’ pour affirmer qu’elle a un impact direct sur les IDE ». Au sujet des clients de son cabinet de conseil, « Européens pour la majorité », l’inquiétude ne se fait toujours pas ressentir :  « Le marché marocain reste attrayant pour nos investisseurs ».

« Aller voir ailleurs »

L’émergence de ce sentiment d’insécurité s’expliquerait par une raison « logique », selon Moncef Belkhayat. Notre source experte en intelligence économique, va dans ce sens : « C’est simple, en matière d’investissement, si l’entreprise sent que le marché d’un pays est fort, elle viendra. Dans le cas contraire, elle ira voir ailleurs ».

La décision de délocalisation ne « se fait pas du jour au lendemain », et c’est une réflexion « sur le long terme ». « Il est certain que la manifestation de tensions sociales, dans n’importe quel pays, renvoie nécessairement une image néfaste« , renchérit l’économiste Larbi Jaidi.

A savoir s’il est possible d’avancer que le boycott marocain fait actuellement fuir les investisseurs étrangers, ces deux derniers s’accordent à dire qu’il est « encore trop tôt pour l’affirmer ». Dans le cas où le mouvement continuerait et impacterait d’autres secteurs de l’écosystème marocain, le président de Tjiara 2020 craint que le « Maroc perde beaucoup d’investissements directs étrangers (IDE). Ce qui, économiquement, ferait très mal à l’image du pays ». Et d’ajouter : « Il n’y a pas que le Maroc pour venir faire affaire ! Il faut que les gens relativisent : 30 millions de consommateurs, ce n’est pas énorme. Les opérateurs iront tout simplement voir ailleurs…».

Effet domino

A l’image des trois entreprises visées par le boycott, ce sont surtout, selon nos interlocuteurs, les sociétés « buisiness to consumer » (B2C) qui seraient en ligne de mire. « Un constructeur automobile, lui, ne va pas être inquiet par cette situation», ajoute Larbi Jaidi.

Si le boycott des produits de Central Danonce, Sidi Ali et Afriquia Gaz commence à susciter la suspicion de la part de groupes étrangers, d’après notre source experte en IDE, et à la vue de ses récentes études de notes de situation, le « réel danger » concerne « le marché national ». La même source craint que le mécontentement des Marocains sur la cherté de la vie ait « un effet moutonnier », à comprendre domino, « et que d’autres entreprises B2C » – dans le secteur agroalimentaire notamment – « soient touchées à leur tour ».  Un scénario qui entraînerait « une décrue importante de l’épargne locale pour l’investissement », pronostique notre interlocuteur.

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