Le Maroc, une (autre) équipe européenne ?

Les Lions de l'Atlas entreront en Coupe du Monde avec un effectif constitué de 20 binationaux sur les 23 sélectionnés. Pour leur premier match contre l'Iran le 15 juin, il est fort probable que le 11 de départ soit uniquement composé de joueurs nés en Europe. Le très sérieux quotidien économique britannique Financial Times a tenté de décrypter ce cas de figure.

Par

FRMF

Dans les cages, Munir Mohand Mohamedi, né à Mélilia, a la nationalité espagnole. Patron de la défense et chef incontesté, Mehdi Benatia est natif de Courcouronnes en région parisienne, et a été formé à l’Olympique de Marseille. Leader technique, Hakim Ziyech aurait très bien pu porter le mythique maillot « oranje » des Pays-Bas. Et en pointe, le très athlétique Aziz Bouhaddouz possède la nationalité allemande.

En clair, l’ossature du 11 national mené par Hervé Renard est exclusivement constituée de binationaux ayant entamé leur carrière et brillé en Europe. S’ils ont longtemps traîné la réputation d' »inexpérimentés« , et que certains observateurs considèrent qu’ils « méconnaissent » les embûches du football africain, cette qualification en Russie a redoré leur image vis-à-vis du public marocain.

Une image ternie depuis la dernière prouesse des Lions de l’Atlas lors de la CAN 2004. Malheureux finalistes, l’équipe nationale conduite à l’époque par Badou Zaki était pour la première fois composée de joueurs majoritairement issus de la diaspora marocaine en Europe.

Plus importante communauté étrangère en Europe estimée à plus de 2,3 millions de personnes, les Marocains résidents à l’étranger (MRE) sont progressivement devenus des pourvoyeurs essentiels de jeunes talents aux sélections nationales.

La qualification, c’est (surtout) grâce à eux

En Russie, de nombreuses sélections aligneront des joueurs nés hors de leur territoire. Grâce à la nationalité de leurs parents ou grands-parents, ou simplement devenus citoyens en vivant dans un pays pendant plusieurs années, ils ont la possibilité de représenter leur pays d’origine.

Selon l’Observatoire du football CIES, « 62% des joueurs utilisés par le Maroc durant les phases qualificatives à la Coupe du Monde 2018 sont nés à l’étranger« . De loin, cette proportion reste la plus élevée parmi les 32 pays mondialistes. Autre représentant du football africain, le Sénégal est classé deuxième avec 40%.

L’émigration marocaine en Europe a débuté dans les années 1960. La plupart des émigrés des régions anciennement sous protectorat français sont allés en France, alors que ceux du Rif (ayant été sous protectorat espagnol) se sont dirigés vers les Pays-Bas et la Belgique et, plus tard, l’Espagne.

En l’espace d’une génération, cette diaspora a commencé à produire des footballeurs. La star marocaine, Mustapha Hadji, avait émigré en France durant son enfance. Il jouait pour les U21 français lorsqu’en 1993, feu Abdellah Blinda l’a repéré en lisant le magazine France Football.

Mustapha Hadji. Crédit: AFP
Mustapha Hadji. Crédit: AFP

Contribuant activement à la qualification du Maroc pour le Mondial 1994 aux USA puis celui de 1998 « chez lui » en France, Hadji deviendra une icône populaire dans son pays d’origine. Aujourd’hui encore, il occupe le poste d’entraîneur adjoint des Lions de l’Atlas. A travers le prisme du Ballon d’or africain 1998, d’autres joueurs de la même génération feront les beaux jours de la sélection nationale tout au long des années 1990, comme Ali El Khattabi (Pays-Bas), Gharib Amzine (France) ou Rachid Azzouzi (Allemagne).

Une équipe, deux écoles

Pendant des années, le repérage en Europe de jeunes talents d’origine marocaine se faisait aléatoirement. Et de nombreuses stars de la diaspora ont choisi de tourner le dos aux Lions de l’Atlas.

Marouane Fellaini, sociétaire de Manchester United, a ainsi choisi la Belgique. L’actuel défenseur marseillais Adil Rami n’a pas hésité à enfiler le maillot de la France. Idem pour l’ex-Barcelonais Ibrahim Afellay qui avait préféré répondre à l’appel de Marco Van Basten et jouer pour les Pays-Bas.

Plus récemment, La FIFA a refusé de laisser Munir Haddadi jouer avec le Maroc cette Coupe du Monde russe. Pur produit du Barça, le jeune attaquant ne cumulait pourtant que 13 petites minutes de jeu avec les A de l’Espagne en 2014 . Tous ces choix ont soulevé de nombreuses réactions au Maroc, allant jusqu’à accuser ces sportifs de « traîtres » ou de « faux Marocains« .

En groupe, l’entente entre les internationaux locaux et ceux nés en Europe ne relève pas de l’évidence. Le défenseur Youssef El Akchaoui (2 sélections seulement) déclarait en 2008 au magazine hollandais Hard Gras: « Il y a deux clans dans l’équipe. Chacun sortait de son côté. Ça ne marchait pas si bien dans le terrain non plus. Ils (les joueurs locaux, NDLR) recherchent toujours la solution la plus difficile, au lieu de passer simplement la balle. Les Marocains d’Europe ne font pas ce genre de bizarreries. C’est la première chose qu’on nous apprend dans les catégories de jeunes« .

Aujourd’hui, la formation à l’européenne est incarnée par le capitaine marocain, Mehdi Benatia, passé par l’INF Clairefontaine. Sélectionneur national des U23, le néerlandais Mark Wotte explique qu' »en moyenne, les Marocains formés en Europe sont meilleurs à tous égards que les locaux. Les joueurs marocains ont toujours eu de l’habileté, mais le problème était de défendre et de gagner et de prendre des décisions ».

Entre terre mère et mère patrie 

Le Maroc n’est pas le seul pays africain à « recruter » dans sa diaspora européenne. Lors du Mondial brésilien de 2014, le voisin algérien a atteint le deuxième tour avec 16 joueurs nés en France. Mehdi Benatia, dont la mère est Algérienne, aurait pu être parmi eux.

Cette même année, la Fédération royale marocaine de football (FRMF) a lancé une campagne pour « ramener des talents appartenant au sol ». Cela a fait écho à la position de l’État marocain, selon laquelle les diasporas du pays, même après des générations à l’étranger, restent les sujets du roi. De plus, renoncer à la nationalité marocaine est juridiquement très difficile.

La campagne de la FRMF commence à donner ses fruits. En 2015, l’actuel chef d’orchestre de la sélection Hakim Ziyech s’était retiré d’un camp d’entraînement avec les Pays-Bas, se plaignant d’une blessure. Guus Hiddink, sélectionneur des Bataves à cette époque, regrettait: « Dommage, j’avais l’impression que son heure avec les « Oranje » viendrait ». Ce n’était pas le cas, et Ziyech a fini par choisir le Maroc.

Marco van Basten, adjoint de Hiddink, n’a pas hésité à le qualifier de « garçon stupide« . Pourtant, contrairement aux joueurs de la sélection néerlandaise, Ziyech jouera bien le Mondial cette année…

Hakim Ziyech (centre) avec Nourdin Amrabat et Fayçal Fajr

C’est oublier que certains joueurs, même repérés assez tôt, hésitent longtemps. Une indécision que l’ailier de Southampton, Sofiane Boufal, a assimilée au fait de « choisir entre ma mère et mon père« . Au départ, il avait publiquement hésité à s’engager pour le Maroc. « Les Bleus sont l’un de mes objectifs« , affirmait-il en 2015.

Des déclarations qui lui avaient valu des critiques au Maroc. En 2016, il a finalement fait ses débuts pour les Lions. Pour autant, le natif de Paris souligne: « Je n’oublierai pas ce que la France m’a donné. Elle a accueilli mes parents et m’a aidé à grandir« .

Renard surveille les Lions

En 20 ans d’absence de la compétition planétaire, certaines voix arguaient que les Marocains évoluant en Europe ne « mouillaient pas assez le maillot » ou qu’ils « ne jouaient pas assez avec le cœur, contrairement aux locaux« . Mais les « Européens » ont fini par conquérir le public. Dans la rue ou sur les terrains de football du pays, leurs tuniques en club (des faux, pour leur grande part) sont fièrement portées par les enfants du pays.

C’est dû en partie à leur jeu à l’européenne, que les Marocains apprécient de plus en plus sur les chaines du satellite. Engagement, pressing et discipline tactique… Les Lions de l’Atlas n’ont concédé aucun but lors des phases qualificatives pour le Mondial. Un exploit que la sélection marocaine doit à Hervé Renard, véritable meneur d’hommes. « Il a même utilisé des drones de surveillance pendant les entraînements », relève le milieu offensif Sofyan Amrabat. « Ces drones voient tout. Les gars qui ne sont pas allés à fond dans l’échauffement sont immédiatement grillés« , atteste le frère cadet de Nourdine Amrabat.

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