La guerre commerciale sino-américaine mine le sommet de la coopération Asie-Pacifique

Le sommet de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) en Papouasie–Nouvelle-Guinée s’est soldé sur un échec les 17 et 18 novembre derniers. Pour la première fois depuis sa création en 1989, les 21 pays membres n’ont pas réussi à s’arrêter sur un communiqué commun. Le tout, causé par une escalade verbale entre la Chine et les États-Unis sur fond de guerre commerciale.

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Les présidents américain et chinois Donald Trump et Xi Jinping en novembre 2017. Crédit: Fred Dufour/AFP

Les 17 et 18 novembre derniers à Port Moresby, capitale de Papouasie–Nouvelle-Guinée, avait lieu le sommet de Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) en compagnie de tous les chefs d’État et de délégations des 21 pays concernés, de chaque côté de l’océan Pacifique. Cependant, pour la première fois en bientôt 30 ans, l’institution intergouvernementale n’a pas réussi à trouver un accord commun. Le rendez-vous a en effet été miné par le contexte de guerre commerciale instauré entre Washington et Pékin. Les États-Unis ont insisté sur l’importance de réformer l’organisation mondiale du commerce (OMC). La Chine, qui a bénéficié depuis deux décennies des avantages commerciaux de l’organisation pour rattraper le retard sur les autres pays membres développés, s’y est formellement opposée. Le président Trump, absent, représenté par son vice-président Mike Pence, s’est néanmoins livré à quelques échanges d’amabilité sur les pratiques économiques chinoises qu’il accuse de non-respect des normes et règles du commerce international.

Mais pourquoi cette guerre commerciale ?

Le président Trump a mis cette année en application son slogan « America First » en s’indignant de la balance commerciale négative de 375 milliards de dollars entre les États-Unis et la Chine. Suite à ce constat, les droits de douane américains sur de nombreuses importations chinoises ont augmenté. En mars dernier, elles étaient de 25 % sur l’acier et 15 % sur l’aluminium, suivi plus récemment de 25 % de droits de douane portant sur 34 milliards de dollars de marchandises chinoises. Trump a accentué les menaces en déclarant qu’à terme, ce pourrait être 500 milliards de dollars de marchandises (à savoir la totalité des importations américaines, NDLR) chinoises qui seraient impactés.

Ces décisions ne sont pas anodines et auront comme le dit Camille Chen, journaliste économique franco-chinoise, des répercussions stratégiques sur l’économie du pays. « Les conséquences seront négatives et impacteront le secteur technologique, alors que l’objectif à moyen-long terme de la Chine est de monter fortement en puissance sur ce secteur. La Chine s’est fixé comme but d’être leader sur les domaines aéronautiques, automobiles et énergétiques, » explique-t-elle. 

Choix économique, mais également politique. En effet, Washington accuse Pékin de trop subventionner ses entreprises, de n’accorder les marchés publics qu’à des corporations chinoises et de piller les technologies occidentales en imposant des joint-ventures et de facto, permettre un accès total sur la technologie des entreprises étrangères souhaitant s’implanter en Chine.

Cette hausse des droits de douane instaurée par les États-Unis, agissant comme un boulet aux pieds de la Chine a pour but de rendre les produits chinois plus chers et donc moins compétitifs sur le marché américain. La Chine quant à elle a répliqué à cette attaque commerciale en augmentant les droits de douane sur les importations américaines, amorçant une rivalité commerciale inédite et sans précédent entre les deux pays et avec des répercussions sur la stabilité de l’économie mondiale.

Les États-Unis en guerre contre le multilatéralisme.

APEC, ONU, Organisation Mondiale du Commerce (OMC)… Cet ordre mondial tend à s’effriter sous les impulsions protectionnistes américaines qui pèsent sur le multilatéralisme. L’administration Trump a affiché qu’elle était pour des accords bilatéraux, à savoir des négociations en face à face avec chaque pays, pour garantir des échanges qui ne se font pas au détriment de Washington.

Pour le sommet de l’APEC, Mike Pence a d’ailleurs vilipendé les pratiques chinoises : « Nous avons un profond respect pour le président Xi Jinping et un profond respect pour la Chine, mais comme l’a dit notre président, la Chine a exploité une situation commerciale au détriment des États-Unis depuis des années. Cette période est terminée ».

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Les États-Unis ont également fait savoir leur crainte de la « Belt and Road Initiative » ou « Nouvelle route de la soie », l’expansion géopolitique et commerciale chinoise à travers tous les pays d’Asie du sud-est, puis l’Asie centrale, en passant par l’Afrique et jusqu’à l’Europe. Un développement maritime, ferroviaire, commercial et inter-étatique colossal visant à répandre les influences et investissements chinois dans une zone immense dans le but de capter 40 % du PIB mondial. Les États-Unis ne sont pas de la partie et s’inquiètent du devenir de ces pays partenaires de la Chine.

Qui sont les grands perdants ?

« Dans certains cas, le protectionnisme peut faire sens. Il permet de protéger une industrie naissante et grandissante et créer des emplois. C’est ce qu’ont fait les Chinois avec Alibaba. Ils ont fermé leur pays aux concurrents et entreprises comme Amazon, pour permettre à Alibaba de devenir un géant, » écrit Marie Charrel, journaliste au service économie du journal français Le Monde.

Cependant, des répercussions potentielles sont à prendre en compte. Premièrement, et cela a été le cas, le pays ciblé par les hausses des droits de douane peut répliquer. C’est ce qu’a fait Pékin en augmentant immédiatement les droits de douane sur le soja, le coton et le porc provenant des États-Unis. L’impact est sans précédent sur les fermiers américains qui ne parviennent plus à écouler leurs marchandises à l’export. Ce qui a obligé Washington à débloquer 12 milliards de dollars en urgence pour combler le manque à gagner.

Cette guerre commerciale aurait déjà couté 0,2 point de PIB à la Chine. Mais ce sont aussi les consommateurs qui en font les frais, dans les deux pays. Coca-Cola, par exemple, a augmenté le prix de ses boissons en canettes en partie produites avec de l’aluminium chinois. Une hausse qui se répercute sur les consommateurs de soda de chaque côté du Pacifique.

Lors d’une interview sur CBS morning, le journaliste américain Derek Thompson de The Atlantic a déclaré : « Ce n’est pas tant une guerre commerciale, mais plutôt une guerre de taxe, une sorte de concours entre deux enfants qui retiennent leur respiration le plus longtemps sous l’eau. Ces deux pays pénalisent leurs propres entreprises, leurs propres consommateurs avec ces hausses douanières. Les importations et les produits coûtent plus cher aux consommateurs. Reste à voir qui tiendra le plus longtemps avant que l’autre change de stratégie. Le problème c’est que la Chine peut tenir plus longtemps que quiconque, car il n’y a aucune pression populaire ou électorale sur les leaders en place ».