Mehdi Benatia : Une ruée payante vers l'Est?

En signant pour le club qatari d'Al Duhail, le capitaine des Lions de l'Atlas s'ajoute à la longue liste des cadres de la sélection qui ont choisi le Golfe et ses émoluments faramineux. Un choix qui pose la question de la compétitivité de l'équipe nationale à quelques mois de la Coupe d'Afrique des nations.

Par

Mehdi Benatia face à Cristiano Ronaldo lors du second match des Lions à l'occasion de la Coupe du monde 2018. Crédit: AFP

Ce qui n’était alors qu’une rumeur a été officialisé le samedi 26 janvier, par son entraîneur. En conférence de presse en marge du déplacement face à la Lazio de Rome, l’entraîneur de la Juventus Turin, Massimiliano Allegri, annonce que «Benatia a choisi de partir et il ira au Qatar».  Le 29 janvier, le capitaine des Lions de l’Atlas s’est engagé en faveur d’Al Duhail SC, tournant la page à deux ans et demi dans les rangs bianconeri.

Écarté du onze titulaire turinois depuis le début de la saison, le défenseur avait ouvertement fait part de son intention de quitter le club si sa situation ne se décantait pas. Chercher du temps de jeu ailleurs,  une ambition noble et à laquelle s’accroche le capitaine de la sélection marocaine, qui a en ligne de mire la participation à la Coupe d’Afrique des Nations, dans quelques mois en Égypte.

Une compétition que le Maroc pourrait jouer avec de nombreux cadres endossant désormais les liquettes de clubs du Moyen-Orient, destination surtout réputée pour offrir des ponts d’or à des joueurs en préretraite plutôt qu’une véritable compétitivité. De quoi s’interroger, alors que de nombreux observateurs qui faisaient des Lions de l’Atlas de sérieux prétendants au précieux Graal qui leur échappe depuis 1976.

Un pont d’or à 5 millions d’euros par saison

En novembre dernier, avant une rencontre de Ligue des champions contre Manchester United, Mehdi Benatia alertait sur sa situation. « Je peux difficilement bien jouer avec un match de temps en temps. L’année dernière, j’ai bien joué parce que j’avais plus de continuité», concédait-il dans les colonnes de La Stampa.  Indiscutable lors de l’exercice 2017/2018, le défenseur central a vu, cette saison, son temps de jeu se réduire comme peau de chagrin. L’homme n’a foulé les pelouses transalpines qu’à cinq reprises. Entre-temps, un homme : Leonardo Bonucci.

Ce dernier est revenu à la Juventus après un exil d’une saison chez le rival du Milan AC. Avec ses compatriotes Barzagli, et Chiellini, il reforme depuis le début de saison le trio «BBC» qui a fait les beaux jours de la Vieille Dame sur la scène italienne et européenne . Un retour dont Benatia a été le principal dommage collatéral. Poussé vers le banc, le natif de Courcouronnes avait pourtant réussi à pallier le départ de Bonucci la saison dernière, en s’installant dès novembre 2017 dans une défense à trois, puis à deux. Résultat : le capitaine des Lions avait pris part à 32 rencontres, la plupart du temps comme titulaire. Une première depuis son passage au Bayern, où il avait été perturbé par des blessures et des problèmes d’adaptation en Allemagne.

«Mehdi a effectué des choses énormissimes depuis son arrivée en Italie», nous confie Abdeslam Ouaddou, ancien défenseur international marocain. Une raison suffisante pour tourner la page et penser à une préretraite dans le Golfe ? Ouaddou déplore un entourage du joueur qui n’a pas su trouver les mots pour convaincre le joueur de 31 ans de poursuivre en Europe. «À mon humble avis, pas beaucoup de personnes, autour de lui, ont eu des mots pour lui faire comprendre ce qu’il représente», poursuit Ouaddou.

Pour l’ancien international, il aurait fallu rassurer Benatia quant aux « difficultés passagères » traversées au Bayern puis à la Juve, qui sont « deux très grands clubs sur le plan mondial ». Pour Ouaddou, Benatia a acquis lors de son passage en Allemagne et en Italie la légitimité pour rester loin des « destinations exotiques ».

En filigrane, l’ex-international passé par le Stade rennais semble critiquer l’influence d’un autre ancien international dans le transfert de Benatia : Houssine Kharja. Dans une publication Facebook, Ouaddou a vertement critiqué son ancien coéquipier : «Vraiment pas surpris par son attitude, puisqu’il y a quelques années j’ai déjà mentionné son opportunisme mal placé, sa double personnalité et double discours». Des accusations que l’intéressé a rejetées chez nos confrères de Medias24.

Championnat «très moyen» et mauvais timing

Ouaddou, qui a assisté à la montée en puissance de Benatia en sélection alors qu’il terminait sa carrière, estime que « ce n’est pas le moment idéal» pour le capitaine des Lions de succomber aux sirènes des pétrodollars. Il tient pour argument le statut iconique de l’actuel capitaine des Lions : « Il ne s’appartient plus dès lors qu’il a atteint ces sommets, il appartient tout simplement au coeur des Marocains et d’une nation qui souhaitait le voir continuer à la représenter dans un championnat à la hauteur de son talent.»

Du côté transalpin, on a également  peu goûté au départ de Benatia. « Les dirigeants ont évalué et accepté sa demande de quitter le club. Garder un joueur qui veut partir n’a aucun sens », expliquait samedi Massimiliano Allegri. Amer, l’entraîneur italien souhaitait visiblement conserver son défenseur dans la rotation de l’effectif, et ainsi faire face aux matches qui s’enchaîneront en deuxième partie de saison. « Benatia a fait de belles choses avec nous et ça ne me plaît pas vraiment de le voir partir, mais nous n’avons pas pu le convaincre», concède-t-il. Et même l’argument Ligue des champions avec une Juventus qui compte parmi les favoris n’a pas pesé lourd. D’après la presse italienne, Benatia empochera un salaire net de 5 millions d’euros par saison, tandis que son transfert aura rapporté une dizaine de millions d’euros (sans bonus) au club turinois.

Après avoir raccroché les crampons il y a plus de cinq ans, l’ancien Lion s’est attelé à passer ses diplômes de manager.Crédit: AFP

Des émoluments suffisants pour inciter à la tentation de l’exil dans des championnats mineurs ? «On peut comprendre le choix de certains et, pour d’autres, un peu moins, juge Abdeslam Ouaddou. Avant d’ajouter : certains sont trentenaires, n’ont pas spécialement signé des contrats lucratifs durant leur carrière, et doivent se mettre à l’abri financièrement. Je les comprends aisément puisque lorsque vous mettez un terme à votre carrière, l’environnement du joueur ainsi que son écosystème changent complètement, et vous avez intérêt à avoir les reins solides puisque l’après-carrière n’est pas toujours un long fleuve tranquille. 

Comme Benatia, d’autres cadres de la sélection nationale marocaine ont succombé aux sirènes du Golfe après un Mondial convaincant, malgré une élimination en phase de poule. C’est notamment le cas de Karim El Ahmadi et Nordin Amrabat qui ont rejoint l’Arabie saoudite et les clubs de l’Ittihad FC et du Al-Nasr Riyad. Ils ont été rejoints cet hiver par Manuel Da Costa (Ittihad FC) et Mbark Boussoufa (Al-Shabbab). Ce dernier évoluait, la saison dernière, aux Emirats arabes unis et était alors le seul joueur convoqué pour le Mondial à jouer dans un championnat du Golfe. «En toute honnêteté, pour avoir été champion avec Al Duhail en 2011 et qualifié pour la Champions league asiatique, je trouve le championnat très moyen et encore plus maintenant depuis l’embargo sur le Qatar, poursuit Abdeslam Ouaddou. Les championnats japonais, saoudien et iranien affichent un niveau plus élevé ».

Le Golfe, une tanière prisée par les Lions

Dès son intronisation, Hervé Renard avait imposé une ligne rouge : évoluer dans un championnat du Golfe pourrait pénaliser les joueurs désireux rejoindre la sélection nationale. Le sélectionneur national motivait alors cette décision par la faible compétitivité de ces championnats. Seule exception, Mbark Boussoufa, dont l’expérience et le leadership étaient précieux au groupe de Renard, en plus de son rendement plus que satisfaisant dans l’entrejeu des Lions. C’est ainsi que certains joueurs comme Youssef El-Arabi ou Abdelaziz Barrada avaient perdu grâce aux yeux du sélectionneur après s’être exilés.

à lire aussi

Depuis le transfert de Mehdi Benatia, c’est désormais près de la moitié des onze titulaires de la sélection qui a rejoint le Golfe. Tous sont trentenaires et souhaitent assurer leur fin de carrière. De là à y voir un sérieux risque dans la préparation des Lions pour la CAN ? Si les joueurs peuvent compter sur leur expérience, leur état de forme physique demeurera la principale inconnue. « Sur le court terme, peut-être pas, mais il est certain que sur le long terme il y a un risque majeur», nuance Abdeslam Ouaddou. « Je ne pense pas qu’un entraîneur de renommée comme Hervé Renard acceptera un nouveau projet avec 80 % ou même 70 % des joueurs évoluant au Golfe », poursuit-il.

D’autant que la période de transfert, en Arabie saoudite, ne se termine que le 4 février. Un temps pressenti pour rejoindre El Ahmadi et Da Costa à l’Ittihad FC, Younès Belhanda, qui s’était mis d’accord avec le club saoudien, avait vu son club le retenir. Mais jusqu’à quand ? « N’oublions pas que sur le plan pécuniaire, l’équipe nationale est une vitrine pour la fédération en termes de marketing », rappelle Ouaddou. L’ex-international, reconverti en entraîneur, voit depuis la participation des Lions au Mondial russe un «manque criant d’ambition au vu de l’orientation» de l’équipe.

L’équation avant la CAN risque de se transformer en casse-tête pour Hervé Renard. Le sélectionneur est désormais face à un choix cornélien, entre trahir ses principes au nom d’une stabilité ou faire le choix d’intégrer de nouvelles forces vives à quelques mois du coup d’envoi de la compétition. Une question qu’Hervé Renard devra trancher en un minimum de temps, sachant qu’il aura droit à très peu de galops d’essai avant le début du tournoi.