Une zone de libre-échange africaine, pour quoi faire ?

La Zone de libre-échange africaine (ZLEC) est entrée le 7 juillet en “phase opérationnelle” au cours d'un sommet de l'Union africaine à Niamey. Rêve d'unité et de prospérité africaine pour certains, elle suscite également de nombreux doutes. 

Par

AFP

A Niamey, le 7 juillet, ils étaient 31 chefs d’Etat et plus d’une centaine de ministres africains à donner le coup d’envoi de la “phase opérationnelle” de la Zone de libre-échange continentale africaine connue également par les acronymes de ZLEC ou de ZLECAF. “Un vieux rêve se réalise. Les pères fondateurs doivent en être fiers”, a lancé le président de la commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, qui a rappelé que cette zone devenait alors “le plus grand espace commercial au monde”.

L’Afrique, mauvaise cliente de l’Afrique

Pour Mahamadou Issoufou, président nigérien et hôte de cette cérémonie de lancement, il s’agit de “l’évènement le plus important de la vie de notre continent depuis la création de l’Union africaine”. Car l’UA place de grands espoirs dans la ZLEC. La nouvelle zone économique, qui doit être active à partir de juillet 2020, aura pour but de stimuler un commerce intra-africain que l’on peut qualifier de faible.

Selon les chiffres de la  Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), seulement 15% des produits et des services échangés sur le continent provenaient d’un autre pays africain entre 2015 et 2017. Les produits d’origine asiatique (61% des produits échangés sur le continent) et européenne dominent largement le marché africain.

Qui plus est, l’Afrique, avec une part inférieure à 3%, est le parent pauvre du commerce international. L’Union africaine estime que l’impulsion de la nouvelle zone économique va multiplier par deux la capacité industrielle du continent. Seront également générés 16 milliards de dollars de revenus supplémentaires par an, ce qui représente une augmentation de 60% du commerce intra-africain.

Un marché commun…

À l’instar du marché européen, la ZLEC repose sur le fondement de la libre-circulation des travailleurs, des biens et des services. Le plus gros chantier est celui de l’union douanière qui doit supprimer les taxes aux frontières. L’UA promet que 90% des tarifs douaniers seront supprimés d’ici cinq à dix ans. Pour l’heure, l’Afrique reste largement dépendante des importations, même pour les biens les moins transformés. 70% des produits agroalimentaires consommés en Afrique sont par exemple importés d’autres continents.

La nouvelle donne pourrait donc profiter aux producteurs continentaux. Les trois plus fortes économies du continent, l’Afrique du Sud, le Nigéria, et l’Égypte représentent à elles seules 50% du produit intérieur brut (PIB) de l’Afrique. L’Afrique du Sud est même à l’origine de la moitié des investissements industriels opérés sur le continent. Grâce à la ZLEC, ces puissances économiques verront s’ouvrir un marché d’un milliard de consommateurs. Un gain de compétitivité pour l’économie africaine qui génère un PIB annuel de 3.000 milliards de dollars

… au détriment des faibles ?

En revanche, les détracteurs alertent sur le risque d’“étouffement”. Selon eux, la ZLEC va exposer les pays faiblement industrialisés à un afflux de biens à bas coût, créant une situation de concurrence impossible à soutenir pour les petits producteurs et industriels locaux. Ce qui mettrait un coup de frein au développement industriel des pays les plus pauvres. À l’image des problèmes de disparité entre les États membres de l’UE, les inégalités entre les pays du continent pourraient s’accroître au sein de ces conditions de libre concurrence, plus favorables aux pays les plus industrialisés.

Mais avant cela, il reste beaucoup à faire. Pour le financement de la zone d’abord. La question du budget reste encore en suspens, même si l’on sait déjà que le financement de la ZLEC proviendra des fonds de l’UA.  De même, les modalités d’attribution de la règle d’origine restent également à clarifier. Le Nigéria milite par exemple pour une valeur ajoutée d’origine africaine de 70%, tandis que d’autres pays jugent la proportion trop élevée et se contenteraient de 20 ou 30%. La bataille va en tout cas être scrutée par les investisseurs étrangers installés en Afrique comme Renault et Peugeot au Maroc qui, grâce à la ZLEC, entreraient dans une chaîne de valeur régionale de grande échelle.

Conscients de ces obstacles, le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita, cité par Jeune Afrique, a expliqué que le chemin vers l’union économique africaine était encore long: “La réussite de l’accord dépendra de ce que nous allons faire maintenant. Il faut un nouveau modèle de développement en Afrique. Les barrières tarifaires ne sont pas le seul problème. Il faut des infrastructures, de la connectivité et aider les entreprises africaines au risque que la ZLEC soit contre-productive. Surtout, les espaces économiques régionaux doivent être renforcés”.

Suite à la décision prise par le Nigéria, durant le dernier sommet de l’UA, de finalement adhérer à la ZLEC ce sont désormais 53 des 54 pays que compte l’Afrique qui ont rejoint la zone de libre-échange. La seule exception est désormais l’Erythrée dont la position peut s’expliquer par le fait que son économie est largement contrôlée par l’Etat. Le siège de la ZLEC sera abrité dans la capitale ghanéenne, Accra, conformément à ce qui a été décidé lors du dernier sommet de l’UA.