Azouz Begag: “Les Franco-Algériens doivent valoriser leur hybridité culturelle”

L’aventure des Fennecs jusqu’à leur sacre en Coupe d’Afrique des nations le 19 juillet a été suivie de bout en bout en France. Les victoires successives y ont été célébrées par des membres de la communauté algérienne, mais ont aussi donné lieu à des débordements et des réactions de la classe politique française. Ancien ministre, écrivain et sociologue franco-algérien, Azouz Begag décrypte le phénomène.

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Le 19 juillet, à quelques heures de la finale de la Coupe d’Afrique des nations remportée par l’Algérie face au Sénégal, TelQuel s’est entretenu avec l’ancien ministre français délégué à la promotion de l’Égalité des chances sous la présidence de Jacques Chirac, Azouz Begag. Écrivain, sociologue, franco-algérien, il analyse les réactions politiques qu’ont suscitées les célébrations en France et les causes de certains débordements.

TelQuel : Dans vos écrits, vous comparez le pacifisme du Hirak algérien et le “hooliganisme” qui a entaché les célébrations des victoires des Fennecs en France. Qu’est-ce qui caractérise ces deux mouvements selon vous?

En Algérie, les manifestants sont chez eux dans leur pays, leur foyer, et veulent transformer la société en mettant fin à un système qui les a ruinés depuis plusieurs générations. En juin dernier, j’ai participé à une manifestation du vendredi à Sétif. Au moment de passer devant un hôpital, les milliers de personnes qui composaient le cortège se sont tues pour respecter les personnes hospitalisées. Quelle élégance !

En France, les casseurs qui ont manifesté leur joie l’ont fait en détruisant des magasins, en pillant, en incendiant des voitures et en caillassant la police. Parce qu’ici, ils ne se sentent pas chez eux. Ils ne payent pas d’impôts, ne votent pas, et surtout, ils n’ont pas envie de changer la société dans laquelle ils évoluent. À côté d’eux des personnes âgées, des enfants participent aux scènes de liesse de manière aussi pacifique que les manifestants du Hirak algérien. Les casseurs alimentent les thèses du Front national, mais, cela aussi, ils n’en ont cure.

Pensez-vous que le problème des “casseurs” soit un problème identitaire ? 

Non, car ce ne sont pas des gens “d’ici”. Ils considèrent la France comme un pays de transit, un refuge en attendant de partir ailleurs. À Lyon, dans la nuit de dimanche 14 juillet (après la victoire de l’Algérie face au Nigéria en demi-finales de la CAN, NDLR) des migrants clandestins se sont mêlés au groupe de fauteurs de trouble. On pouvait d’ailleurs les entendre parler un arabe du “bled”, et non de binationaux.

Mais hélas, il y a aussi eu des jeunes de banlieue qui ont l’impression de ne pas habiter en France et de “traverser la frontière” pour aller célébrer les victoires des Fennecs dans les villes. Par la casse, ils manifestent leur exclusion, qu’elle soit géographique, sociale ou autre. La violence est leur forme d’expression.

Les réactions d’une partie conservatrice de la scène politique française n’ont-elles pas contribué à alimenter ces tensions ?

Pas du tout ! Dans les rues, j’entends des Franco-Algériens tenir des propos très virulents contre les casseurs, que le Front national ne renierait pas. Les citoyens qui se sentent chez eux en France en ont marre du hooliganisme et ne veulent pas pâtir de la mauvaise image que ces événements font rejaillir sur l’ensemble de la communauté algérienne. Certains veulent que la police dispose de plus de moyens pour les combattre.

Lors des célébrations du sacre de l’équipe de France au Mondial 2018, les drapeaux algériens étaient également de sortie. Pourtant il n’y a pas eu de débordements comme lors de cette CAN 2019…

Bien sûr. Car dans l’équipe de France 2018 seuls Kylian Mbappé (dont la mère est algérienne, NDLR) et Nabil Fékir représentaient la part algérienne de l’identité française. Donc l’engouement était moindre. En 1998, par contre, Zidane était le héros binational par excellence et tous les Algériens étaient fiers de voir leur origine valorisée à travers lui. Il faisait office de charnière identitaire entre les deux pays et les deux peuples. Les drapeaux algériens étaient d’ailleurs beaucoup plus présents à l’époque.

La communauté algérienne en France devrait-elle plus mettre en avant son côté français, pour que leurs célébrations ne choquent pas autant ?

Les Franco-Algériens doivent valoriser avec les deux drapeaux leur hybridité culturelle, lors des matchs des Fennecs. Les Français s’y retrouveraient mieux. Je pense qu’après la finale, les drapeaux français doivent être hissés haut dans le ciel de la République, car 14 des 23 joueurs des Fennecs ont été formés par des clubs français et se sont imprégnés de leur système de jeu. Comme quoi, le sport est un vecteur de transformation d’une société, car les casseurs nous ont conduits aujourd’hui à revendiquer la part de France qu’il y a en nous, et à la défendre.