L'Iran frappe des bases abritant des soldats américains en Irak

L’Iran a tiré des missiles sur des bases abritant des soldats américains en Irak le 7 janvier. Une riposte à l’assassinat par Washington du général Qassem Soleimani, qui ne fait qu’aggraver le risque de déflagration.

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Base aérienne d'Aïn al-Assad en Irak

Au total, en l’espace d’une demi-heure le 7 janvier, 22 missiles se sont abattus sur deux bases irakiennes, Aïn al-Assad (ouest) et Erbil (nord), où sont installés des soldats étrangers — en majorité des Américains —, d’après un communiqué de l’armée irakienne. Cette riposte a eu lieu à l’heure exacte où un tir de drone américain tuait le général Qassem Soleimani à Bagdad, cinq jours plus tôt.

Ces raids, qui selon l’armée irakienne n’ont pas fait de victime dans ses rangs, sont en effet la première réponse de Téhéran à l’assassinat de l’architecte de sa stratégie au Moyen-Orient. Ils font redouter une escalade régionale ou un conflit ouvert, même si dirigeants américains et iraniens ont rapidement semblé vouloir calmer le jeu.

“Nouvelle phase”

L’évaluation des dégâts et des victimes est en cours. Jusqu’ici, tout va bien!”, a indiqué dans un tweet le président américain Donald Trump, ajoutant qu’il ferait une déclaration mercredi 8 janvier.

Nous ne cherchons pas l’escalade ou la guerre”, a pour sa part assuré Mohammad Javad Zarif, le chef de la diplomatie iranienne, expliquant que les représailles “proportionnées” de la nuit étaient “terminées”. Toutefois, pour le spécialiste des groupes chiites armés Phillip Smyth, “ces missiles balistiques ouvertement lancés depuis l’Iran sur des cibles américaines marquent une nouvelle phase”.

L’Iran “a envoyé une réponse publique et d’ampleur pour envoyer un signal”, la suite, affirme-t-il à l’AFP, pourrait être confiée “aux agents de l’Iran”, les nombreuses factions armées pro-Téhéran en Irak, au Liban, en Syrie ou ailleurs. Signe que de nouvelles violences sont toujours à redouter, l’agence fédérale de l’aviation américaine (FAA) a interdit aux avions civils américains le survol de l’Irak, de l’Iran et du Golfe. Les cours du pétrole s’envolaient de plus de 4,5 % ce mercredi 8 janvier au matin dans les échanges en Asie.

Les Gardiens de la révolution iraniens, l’armée idéologique de la République islamique, ont conseillé à Washington de rappeler ses troupes déployées dans la région “afin d’éviter de nouvelles pertes”, menaçant Israël et “des gouvernements alliés” des États-Unis, en premier lieu les États du Golfe, pris entre l’Iran et l’Irak.

Cafouillage américain

Le bombardement iranien a eu lieu alors que se terminaient à peine les funérailles du général Qassem Soleimani, assassiné vendredi 3 janvier à Bagdad avec l’Irakien Abou Mehdi al-Mouhandis, leader des paramilitaires pro-Iran désormais intégrés aux forces de sécurité irakiennes.

Avant même les frappes de la nuit, plusieurs États membres de la coalition antijihadiste emmenée par les États-Unis ont annoncé sortir leurs soldats d’Irak, après des dizaines de tirs de roquettes depuis des semaines sur des bases les abritant.

Si la France et l’Italie ont fait savoir leur intention de rester en Irak, les Canadiens et les Allemands ont annoncé mardi 7 janvier le redéploiement d’une partie de leurs soldats vers la Jordanie et le Koweït. L’OTAN a décidé de retirer temporairement une partie de son personnel d’Irak. Donald Trump, lui, écarte tout départ, même si un cafouillage américain à Bagdad a pu laisser croire le contraire. Par erreur, selon le Pentagone, les Américains ont annoncé à Bagdad le début de leur retrait puisque le Parlement irakien venait de voter pour réclamer leur expulsion. Un retrait des troupes américaines “serait la pire chose qui puisse arriver à l’Irak”, a déclaré le locataire de la Maison-Blanche.

Sentiment anti-américain

Après le vrai-faux retrait total des troupes américaines de Syrie, annoncé par Donald Trump à deux reprises depuis un an avant qu’il ne fasse volte-face, il s’agit d’un nouveau coup porté à la lutte contre le groupe État islamique (EI), qui conserve des cellules jihadistes en Irak et en Syrie malgré la perte de son territoire.

Le raid à Bagdad qui a tué Soleimani et Abou Mehdi al-Mouhandis a galvanisé le sentiment anti-américain au Moyen-Orient et créé un rare consensus contre Washington jusque dans les rangs des opposants au régime iranien à Téhéran ou à Bagdad.

L’hommage à Kerman, ville natale du général Soleimani du sud-est de l’Iran, a été l’occasion d’une nouvelle manifestation au cri de “Mort à l’Amérique”. Une foule immense a réclamé vengeance, comme lorsque son cercueil a fait étape, les 5 et 6 janvier, à Téhéran et dans d’autres localités iraniennes. Mais une bousculade a fait 56 morts et 213 blessés le 7 janvier à Kerman, selon le dernier bilan officiel publié par les médias locaux.

Menace d’escalade

Le Parlement iranien a adopté en urgence une loi classant toutes les forces armées américaines comme “terroristes” après la mort du général Soleimani, souvent considéré comme un héros dans son pays pour son combat contre l’État islamique.

Au même moment, les factions pro-Iran en Irak annonçaient avoir formé un front commun avec l’Iran et le Hezbollah libanais allié de Téhéran pour “adresser une réponse sévère et étudiée aux forces américaines terroristes”. “Les Marines américains doivent rentrer dans leurs repaires immédiatement pour préparer leurs cercueils parce que les bataillons de la résistance internationale ont été formés”, menacent ces puissants groupes armés.

À Washington, Donald Trump, qui avait personnellement menacé de frapper des sites culturels iraniens en cas de riposte militaire de Téhéran, a fait machine arrière. “Selon diverses lois, nous sommes censés être prudents avec leur héritage culturel”, a-t-il dit, avant d’assurer : “J’aime respecter la loi.

Le débat fait déjà rage, aux États-Unis et au-delà, sur la légalité du tir de drone qui a pulvérisé le 3 janvier la voiture à bord de laquelle se trouvait Soleimani, qui plus est dans un pays tiers. Le président Trump “avait absolument les bases légales appropriées”, a répondu son secrétaire d’État Mike Pompeo.

Le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammed Javad Zarif, lui, devait assister le jeudi 9 janvier à une réunion du Conseil de sécurité à l’ONU, à New York, mais a affirmé avoir été informé par le chef des Nations unies que les États-Unis lui avaient refusé son visa.