La Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) a reçu jeudi 5 mars dans son siège à Rabat le chroniqueur et artiste Réda Allali, le patron de Hit Radio Younes Boumehdi, le journaliste et rappeur Hamza Hachlaf, l’organisateur de L’Boulevard Mohamed Merhari (Momo) et le coordonnateur général de l’association Gorara pour les arts et les cultures, Housni Mokhles. Objectif : débattre de la culture et de la jeunesse au cœur du nouveau modèle de développement.
Les jeunes d’aujourd’hui
“Il faut qu’on étudie le lien qu’il y a entre les jeunes et leur pays”, suggère Younes Boumehdi. Pour lui, le processus de demande de carte d’identité nationale illustre le rapport qu’ils entretiennent avec l’État : “Je trouve aberrant qu’on fasse payer 300 dirhams à un jeune pour une carte d’identité nationale alors que c’est obligatoire”, déclare le patron de Hit Radio.
“Je ne comprends pas pourquoi l’inscription sur les listes électorales n’est pas systématique”
Dans la foulée, il s’attaque à la question de la participation aux élections. Il considère qu’il existe une crise de confiance entre les jeunes, les partis politiques et l’État, et s’interroge sur les raisons qui empêchent les décideurs politiques de pallier cette situation. “Je ne comprends pas pourquoi l’inscription sur les listes électorales n’est pas systématique, ni la raison pour laquelle les élections se passent sur une seule journée qui n’est pas fériée. On pourrait très bien développer le vote par correspondance, par procuration, par voie électronique.”
Younes Boumehdi dévoile également des chiffres alarmants sur les arrestations de jeunes. “Un tiers des affaires qui sont traitées par les commissariats sont liées à la consommation de haschich. Un tiers des affaires dans les tribunaux sont en rapport avec les libertés individuelles.” Pour lui, on casse des jeunes qui finissent par être condamnés seulement parce qu’ils n’ont pas pu corrompre le gendarme qui les a arrêtés.
L’art est forcément insolent
Pour Réda Allali, qui cumule 20 ans d’expérience de scène, le Maroc n’a toujours pas accepté l’art comme quelque chose de libre, d’insolent, et de pas forcément consensuel. Pour lui, être artiste, c’est aussi promouvoir certaines idées qui ne sont pas forcément acceptées par l’État.
Le chanteur du groupe Hoba Hoba Spirit déplore que “les artistes qui servent les causes les plus viles soient les plus promus”, citant l’exemple de la malhama, une chanson sortie en mai 2018 en soutien à la candidature marocaine pour l’organisation du Mondial 2026.
Hamza Hachlaf a quant à lui affirmé que les artistes n’ont besoin que d’une seule chose : “que l’État les laisse tranquilles”. Plusieurs personnes sont aujourd’hui derrière les barreaux pour des raisons qu’il trouve “stupides”. Selon le journaliste, le Maroc qui a fait le choix du libéralisme n’agit pas du tout selon cette doctrine sur le plan culturel.
Le festivalisme, une culture saisonnière
Mohamed Merhari (Momo) déplore le caractère saisonnier des festivals : “Tous les festivals ont lieu en juin parce que les organisateurs ont peur de la pluie.” Il explique que le problème n’est pas le manque de salles couvertes, mais le fait que les personnes qui les gèrent ne les mettent pas à la disposition des artistes. “On est en train de construire un grand théâtre à Casablanca, mais il y a 18 autres théâtres dans cette ville qu’on devrait pouvoir exploiter”, rappelle l’organisateur du festival L’Boulevard.
“L’institut français est actif sur le plan culturel tout au long de l’année, voilà pourquoi les gens ont confiance en sa programmation”
Réda Allali donne l’exemple d’une tournée de son groupe, Hoba Hoba Spirit, dans plusieurs petites villes du Maroc, dont Safi et Khémisset. “Le plus dur à gérer durant cette tournée, ce n’était ni la billetterie ni les sponsors, mais l’accès aux salles. Nous étions confrontés à des personnes qui hésitaient à nous donner des salles parce qu’elles ne savaient pas si elles étaient habilitées à trancher. Et la plupart du temps, elles refusaient juste par précaution.”
Et d’insister sur le fait que l’offre culturelle ne peut pas se permettre d’être saisonnière. “L’institut français est actif sur le plan culturel tout au long de l’année, voilà pourquoi les gens ont confiance en sa programmation et viennent même lorsque les artistes ne sont pas forcément connus”, argue Réda Allali.
Housni Mokhles a également été confronté à des gestionnaires de salle qui ignoraient leurs prérogatives. “Je ne pense pas qu’ils ont de mauvaises intentions. C’est juste qu’une mentalité traditionnelle continue de régir ces espaces. À Zagora, j’ai rencontré le directeur d’une Maison de jeunesse qui dispose de plusieurs ordinateurs et qui refuse de laisser les jeunes les utiliser de peur qu’ils ne les endommagent.” À en croire l’acteur culturel, le réel problème n’est ni financier ni foncier, mais idéologique.
Il souligne que plusieurs établissements culturels privés comme L’Uzine ou Les Étoiles de Sidi Moumen fonctionnent très bien, et s’interroge : “Pourquoi les établissements publics sont-ils défaillants lorsqu’il s’agit de programmation culturelle ?”
La question de la rentabilité des métiers artistiques a également été abordée. Hamza Hachlaf explique que pour un adolescent issu d’une ville périphérique, essayer de faire passer ses chansons à la radio a un coût. Il évoque ses débuts, et explique qu’à 17 ans, il économisait pendant un mois pour payer ses frais de transport afin de venir à Casablanca et proposer ses morceaux aux radios. Il se félicite que la situation ait changé aujourd’hui, vu que plusieurs jeunes rappeurs sont capables de gagner leur vie grâce aux plateformes de streaming.
Younes Boumehdi rappelle que, contrairement aux idées reçues, la culture est un secteur qui emploie beaucoup. Il concède que les modèles économiques sont compliqués, mais ils existent. Et de déplorer les lenteurs de la bureaucratie : “Quand on a projet de concert, c’est très difficile d’être soutenu et d’avoir les autorisations.”