Partir ou rester, le choix cornélien des étudiants marocains en France

Alors que les autorités marocaines ont annoncé suspendre leurs liaisons avec la France “jusqu’à nouvel ordre”, les étudiants marocains en France sont pris entre deux feux : retourner auprès des leurs ou rester pour préparer l’après.

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Une salle de classe de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne. Crédit: Stéphane de Sakutin/AFP

La suspension des vols entre la France et le Maroc, Hamza, 21 ans, préfère “en sourire”. Il semblerait même s’en amuser : “C’est surtout ma mère qui insistait pour que je revienne vu la tournure des événements en France. Je préfère rester à Paris de toute façon.

Ce vendredi 13 mars, un communiqué laconique du chef du gouvernement Saad Eddine El Othmani annonçait la suspension des liaisons aériennes et maritimes entre la France et le Maroc. Une mesure de prévention face à la propagation du coronavirus sur le Vieux Continent. La décision a été prise “après concertation” entre les deux chefs d’État, Mohammed VI et le président français Emmanuel Macron, et ce “jusqu’à nouvel ordre”.

Depuis trois ans, Hamza vit à Paris où il poursuit des études en troisième année de licence de mathématiques. Lui dit ne pas prêter trop attention à la panique provoquée par la pandémie de Covid-19. Une raison avant tout justifiée par le “stress” de l’après : “C’est une année importante pour moi, avance ce Casablancais d’origine. Je prépare mes candidatures pour entrer en master, mais surtout les concours d’entrée aux écoles d’ingénieurs. Avec tout ça, je me suis dit que rentrer n’était pas forcément une bonne idée.

Année charnière

Une situation partagée par Yasmine, la vingtaine et également en étude à l’université parisienne de la Sorbonne. Intéressée au départ à l’idée d’un retour, elle a dû se raviser : “Mon seul problème pour rentrer est que je passe le concours du TAGE MAGE (test d’aptitude aux études de gestion et au management des entreprises, ndlr) à la fin du mois de mars”, explique cette étudiante en troisième année d’écogestion.

Le calendrier des étudiants marocains en France a pourtant subi un aléa non négligeable. Jeudi 12 au soir, et pour son premier discours depuis le début de la crise du coronavirus, Emmanuel Macron a fait le choix de la surprise : l’annonce de la fermeture “dès lundi (16 mars) et jusqu’à nouvel ordre” des établissements scolaires hexagonaux, universités comprises.

“La prépa nous a prévenus que le TAGE était maintenu, mais en même temps, les rassemblements de plus de 100 personnes sont interdits”

Yasmine

Dans un discours télévisé depuis le palais de l’Élysée, le président français justifiait une décision motivée par la volonté “à la fois pour les protéger (les élèves et étudiants, ndlr) et réduire la dissémination du virus”. De quoi laisser dans l’expectative. L’état de pandémie déclarée par l’OMS, le 11 mars, aura-t-il raison de la tenue des examens ?

Les réponses, elles, arrivent au compte-gouttes, signalent nos interlocuteurs. Hamza parle de beaucoup “d’informations contradictoires échangées sur les groupes Facebook d’étudiants”, quand Yasmine peine à démêler le vrai du faux : “Ce vendredi matin, la prépa nous a prévenus que le TAGE était maintenu, mais en même temps, les rassemblements de plus de 100 personnes sont interdits.”

Forcément de quoi bouleverser les plans de l’important contingent d’étudiants marocains en France — le plus important de France avec 41.729 élèves pour cette année universitaire, un chiffre en hausse de 42 % entre 2013 et 2018. “Au départ, je pensais revenir à Casablanca, parce que ça ne sert à rien de rester là, confiné et sans travailler”, poursuit Yasmine. Entre-temps, elle s’est renseignée sur la possibilité de passer le concours depuis un bureau marocain où on lui a fait noter que “toutes les sessions sont complètes”.

D’autres, au contraire, auraient préféré le choix de l’alternative. Contacté quelques heures avant l’annonce de la suspension des liaisons, Sarah*, 19 ans, naviguait alors en plein doute. “Hier soir, je m’étais décidée à rentrer. Ma seule crainte était de savoir si j’avais été infectée pour ne pas contaminer ma famille et d’autres personnes une fois au Maroc”, explique cette étudiante en deuxième année de double licence.

Dans la matinée, son oncle se rend dans une agence Royal Air Maroc pour lui prendre un billet direction Tanger pour le lendemain. Les vols semblaient déjà incertains et un agent préconisait d’attendre la soirée avant de réserver.

Tout est indécis

Entre-temps, l’annonce de la suspension des liaisons tombe et Sarah vire à l’anxiété. La matinée, elle annonçait à son employeur, avec qui elle est engagée sur un CDI à mi-temps, sa démission, en prévision de ce retour. À l’heure où nous publions, ni la communication de la compagnie aérienne nationale ni une source diplomatique ne sont en mesure de nous confirmer la prise d’effet.

Pour Sarah, il est impossible “de rester en quarantaine dans un 10 m2”, loin des siens. “J’y ai beaucoup réfléchi, poursuit-elle. Ma mère et ma famille ne sont pas inquiètes pour la maladie en soi, mais ils ne veulent pas que je reste isolée. Et puis, si la pandémie vient à toucher le Maroc, je me dis que je préfère rester auprès de ma famille, plutôt que seule, sur un autre continent sans avoir la possibilité de revenir.

“J’en connais beaucoup qui sont stressés par rapport au coronavirus. Mais il y en a aussi pour qui l’angoisse était de rentrer, de peur de rester bloqué après”

Sarah

Selon le ministère de la Santé français, 2.876 cas de Covid-19 ont été enregistrés en France depuis l’apparition du virus et 61 personnes en sont décédées. “On sait que l’on est moins touchés que les personnes plus fragiles, comme les personnes âgées”, relève, lucide, Hamza. Lui est davantage préoccupé par “l’ambiance qui règne à Paris” : “On ne peut plus faire un pas ni s’asseoir quelque part sans en entendre parler!

Des questions qui préoccupent également leur entourage estudiantin d’origine marocaine. “La majorité des élèves marocains que je connais ici ont pris des billets dans la semaine pour rentrer ce week-end, souligne Yasmine. Des vols en partance de France pour certains, mais aussi d’autres qui feront escale en Belgique, voire au Portugal avant de rallier le royaume.”

J’en connais beaucoup qui sont stressés par rapport au coronavirus, ici, constate Sarah. Mais il y en a aussi pour qui l’angoisse était de rentrer, de peur de rester bloqué après.” Elle relate alors la situation d’un étudiant d’origine marocaine, en échange pendant un an, qui avait peur de ne plus pouvoir revenir, quand un autre s’est finalement résolu à quitter son pied à terre parisien pour rentrer au Maroc ce week-end. Avec, derrière, une situation toujours incertaine en ce début de week-end. “Il y a cette impression de panique où tout le monde prend une décision à la dernière minute”, soupire Sarah.

*Le prénom a été modifié