Chronique d’un confinement. Jour 53

Confinée dans son appartement parisien, notre chroniqueuse Fatym Layachi nous fait le récit quotidien d’une vie entre quatre murs.

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Jour 53. Il commence à flotter un léger parfum de décontraction dans l’air.

Vendredi 8 mai

Jour 53

La date du déconfinement se rapproche et ça se sent.

Dans les rues, les gens semblent moins angoissés, ils marchent moins vite. Les distances de sécurité dans les files d’attente des commerces semblent plus souples. J’ai vu un couple manger une pizza sur un banc, un type faire du tai-chi sur un parvis d’église et des familles se balader en trottinette. Il commence à flotter un léger parfum de décontraction dans l’air.

Dans ma cour d’immeuble, les enfants ont été déconfinés ce matin. Ces quatre petites têtes craquantes avaient l’habitude de se voir tous les jours. Ils allaient à la crèche ou à l’école ensemble, partageaient leurs déjeuners et leurs goûters, jouaient tous les jours ensemble ne se sont pas vus depuis 53 jours. Ou plutôt ils ne se sont vus que depuis leurs fenêtres tous les soirs à 20 heures. Et ce matin, ils ont été déconfinés. Et depuis ce matin, ils jouent dans la cour. Je les entends jouer. Crier. Rire. Faire tomber leur vélo. Taper dans un ballon. Se chamailler. Parler aux fleurs et chanter. C’est bruyant. C’est joyeux. C’est léger. C’est insouciant. C’est plein de vie.

Bizarrement (ou pas si bizarrement que ça finalement), les entendre m’a fait penser au fait que je n’ai pas d’enfant.

Je n’ai pas d’enfant et je ne sais pas si je veux en avoir.

Je n’y pense pas vraiment. Encore moins en ce moment. Et pourtant, aujourd’hui, les rires de mes petits voisins ont fait tournicoter mon esprit.

Ce confinement, cette concentration en soi et sur soi, nous renvoie aussi à ce genre de grandes interrogations. Seule depuis 53 jours, loin de ma famille, de mes amis, des gens que j’aime, j’en arrive à me poser des questions.

Seule depuis 53 jours, loin de ma famille, de mes amis, des gens que j’aime, j’en arrive à me poser des questions

Est-ce si important que ça de donner la vie ? Est-ce la suite logique ? Quelle est la part de pression sociale ? Et si on essayait de ne pas prendre en considération cette injonction à la maternité ? Est-ce le sens de la vie, la transmission ? Est-ce que transmettre veut forcément dire avoir des enfants ? Est-ce qu’avoir des enfants veut nécessairement dire les porter ? Est-ce complètement irresponsable de vouloir mettre au monde un petit être qui n’a rien demandé sur cette planète que nous avons fait dérailler ? À quel point est-ce un cadeau d’offrir la vie ?

Après avoir tenu la main de mon père jusqu’à son dernier souffle, assise par terre, à fixer son corps sans vie recouvert d’un linceul, je me suis dit que jamais je ne mettrais quelqu’un dans cette position. Que jamais je n’infligerais à personne autant de douleur, de violence, de tristesse !

Et pourtant c’est peut-être ce lien, cette filiation qu’il y a de plus beau, de plus fort. C’est peut-être ça le sens de la vie. Ou pas forcément. Je n’en sais rien.

Ces questions ne m’auront jamais autant sauté à la gueule que pendant cette quarantaine. La fin du confinement n’y répondra absolument pas, mais ce confinement aura eu le mérite de les poser.