Loi sur le “séparatisme” : les députés français entrent dans le vif dans l’hémicycle

Coup d’envoi de deux semaines de débats hautement sensibles en France : l’Assemblée nationale entame ce 1er février en séance plénière l’examen du projet de loi contre le “séparatisme”, qui doit renforcer l’arsenal contre l’islamisme radical.

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Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur français. Crédit: AFP

Après une cinquantaine d’heures d’auditions, puis autant pour le passage au crible des articles en commission spéciale, les députés français abordent en milieu d’après-midi dans l’hémicycle ce copieux texte “confortant le respect des principes républicains”. Gouvernement et majorité défendent un texte “d’équilibre” sur un sujet délicat dans un pays où tout ce qui touche à la laïcité, au cœur du pacte républicain, est inflammable.

Nous ne voulons pas la fausse naïveté d’une certaine gauche qui considère qu’il n’y a pas de problème” et “de l’autre côté, une certaine droite pousse à l’hystérie”, a attaqué d’emblée Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, sur France Inter : “Ceux qui souhaitent absolument prendre des mesures encore plus dures, encore plus polémiques, simplement pour se refaire la cerise politique, sont les idiots utiles de ces islamistes.

“Nous ne voulons pas la fausse naïveté d’une certaine gauche qui considère qu’il n’y a pas de problème” et “de l’autre côté, une certaine droite pousse à l’hystérie”

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur

Exécutif et responsables de la majorité ont jusqu’ici réussi à désamorcer les polémiques internes ou venues des oppositions de droite comme de gauche, comme par exemple sur la question du voile. “Le texte a été bien mené en amont et ça a créé un climat apaisé dans la forme. On a fait mentir ceux qui prédisaient que ça allait être une boucherie politique”, se félicite un député La République en marche (LREM).

Dans les rangs du groupe majoritaire, l’heure est à un optimisme prudent. Mais “cela va reposer sur des individualités qui peuvent vouloir théâtraliser ou hystériser les débats”, pronostique un parlementaire. En ligne de mire, les élus LFI et Jean-Luc Mélenchon, opposés à un texte accusé de “stigmatiser les musulmans”, mais surtout droite et extrême droite.

Le patron des députés LR Damien Abad déplore que le projet fasse l’impasse sur la “question migratoire, la radicalisation dans nos prisons ou dans nos entreprises privées”. Les LR dévoileront mardi 2 février un contre-projet. Marine Le Pen a déjà présenté vendredi sa contre-proposition pour bannir les “idéologies islamistes” et interdire dans tout l’espace public le port du voile.

Côté gouvernement, outre Gérald Darmanin, Eric Dupond-Moretti (Justice), Jean-Michel Blanquer (Éducation) ou Marlène Schiappa (Citoyenneté) sont également attendus au banc. Au menu, 70 articles examinés selon un “temps législatif programmé” de 40 heures pour cadrer les débats (hors temps d’interventions des ministres et rapporteurs).

Laïcité sécuritaire

Près de 2650 amendements ont été déposés. Le projet de loi prévoit une batterie de mesures souvent “techniques” sur la neutralité du service public, la lutte contre la haine en ligne, l’instruction en famille, le contrôle renforcé des associations, une meilleure transparence des cultes et de leur financement, et encore la lutte contre les certificats de virginité, la polygamie ou les mariages forcés.

Il doit traduire le discours d’Emmanuel Macron le 2 octobre aux Mureaux, où le chef de l’État avait présenté sa stratégie, longtemps attendue, pour lutter contre l’islam radical. Pour le sociologue Bernard Rougier, auteur des Territoires conquis de l’islamisme et largement consulté sur le projet de loi, celui-ci doit permettre de “concurrencer” l’islamisme à défaut de l’éliminer. Il constitue un tournant sécuritaire dans l’histoire de la laïcité en France, estime en revanche le chercheur Philippe Portier, auteur de La religion dans la France contemporaine.

À gauche, on regrette la faiblesse du volet social et des mesures de lutte contre les discriminations. “Au final, le projet de loi est borgne, car il ne traite pas de la ségrégation, du séparatisme social, territorial, de la mixité scolaire”, déplore le communiste Stéphane Peu. “C’est une loi d’injonctions. Elle ne fait vivre en acte aucun des principes de la République”, souligne par ailleurs le socialiste Boris Vallaud.

Ce constat critique trouve un écho jusqu’à l’aile gauche de LREM. Plusieurs députés rappellent que la “lutte contre les discriminations et les inégalités” font également partie de la “promesse républicaine”. Le gouvernement fait valoir un futur plan en faveur de l’égalité des chances. La majorité devra cependant veiller à trouver un équilibre sur les nouvelles modalités de financement des cultes et surtout l’instruction en famille (IEF) objet de 384 amendements, un record sur ce texte.