Samia Hassan, première présidente de l’histoire de la Tanzanie

Après le décès de John Magufuli, la vice-présidente tanzanienne Samia Suluhu Hassan, âgée de 61 ans, va devenir la première cheffe d’État de ce pays d’Afrique de l’Est et l’une des rares femmes au pouvoir sur le continent.

Par

Dans cette photo d'archive prise le 24 juillet 2019, la vice-présidente tanzanienne Samia Hassan Suluhu (à gauche) et le président tanzanien John Magufuli (C) alors qu'ils s'entretiennent avec le président kényan Uhuru Kenyatta au téléphone à la State House à Dar es Salaam, Tanzanie. Crédit: Ericky BONIPHACE/AFP

Mettant un terme à trois semaines d’absence inexpliquée et à de multiples rumeurs, Mme Hassan a annoncé mercredi soir — d’une voix lente et mesurée, le visage voilé de noir — le décès du président Magufuli, réélu pour un deuxième mandat en octobre dernier.

Originaire de l’archipel semi-autonome de Zanzibar, dont les relations avec la Tanzanie continentale sont historiquement houleuses, Mme Hassan occupera la présidence “pour la période restante du mandat de cinq ans”, soit jusqu’en 2025, selon la Constitution tanzanienne.

Première vice-présidente de l’histoire de la Tanzanie

Connue pour encourager les femmes à poursuivre leurs rêves, cette mère de quatre enfants était déjà la première vice-présidente de l’histoire de son pays, depuis l’arrivée au pouvoir en 2015 de M. Magufuli, dont elle était la colistière. “J’ai peut-être l’air polie et je ne crie pas quand je parle, mais la chose la plus importante c’est que tout le monde comprenne ce que je dis et que les choses soient faites comme je le dis”, avait-elle déclaré l’année dernière.

Née le 27 janvier 1960 à Zanzibar, au sein d’une famille modeste — père instituteur et mère au foyer —, Mme Hassan est diplômée d’un master en “développement économique communautaire” de l’Université libre de Tanzanie, à Dar es Salaam, et de l’Université du Sud du New Hampshire, aux États-Unis.

Elle a commencé sa carrière au sein du gouvernement de Zanzibar, où elle travaille entre 1977 et 1987, occupant dans un premier temps des fonctions administratives puis un poste de responsable du développement. Toujours à Zanzibar, elle rejoint de 1988 à 1997 le Programme alimentaire mondial en tant que cheffe de projet, puis dirige pendant deux ans l’association des ONG de l’archipel, Angoza.

Sa carrière politique démarre en 2000, lorsqu’elle est nommée membre du Parlement de Zanzibar par le parti présidentiel tanzanien Chama Cha Mapinduzi (CCM), toujours au pouvoir aujourd’hui. Elle fut plus tard élue à l’Assemblée nationale tanzanienne.

Plusieurs fois ministre

Mme Hassan a été plusieurs fois ministre : à Zanzibar (Femmes et Jeunesse, puis Tourisme et Commerce) entre 2000 et 2010, et au niveau national à partir de 2014 comme ministre des Affaires de l’Union, auprès de l’ancien président Jakaya Kikwete.

En tant que vice-présidente, un rôle de l’ombre, elle fut pourtant le visage de la Tanzanie à l’étranger, où elle représentait régulièrement M. Magufuli. En 2019, sous sa tutelle, le ministère de l’Environnement a interdit l’usage des sacs plastiques.

En 2016, des rumeurs voulaient qu’elle ait démissionné en raison de divergences avec le chef de l’État. L’information avait été démentie par un communiqué officiel. Mais l’année dernière, dans un discours tenu en présence de M. Magufuli, elle avait évoqué une certaine incompréhension de son action à l’époque. “Lorsque vous avez commencé à travailler en tant que président, beaucoup d’entre nous ne comprenaient pas ce que vous vouliez réellement. Nous ne savions pas où vous vouliez aller. Mais aujourd’hui, nous connaissons tous vos ambitions pour le développement de la Tanzanie”, avait-elle déclaré.

Mme Hassan va diriger un pays marqué par un virage autoritaire depuis l’arrivée de M. Magufuli au pouvoir. Attaché à combattre la corruption, le “bulldozer” a lancé de grands projets d’infrastructures, mais a aussi muselé l’opposition et mené une répression contre les défenseurs des droits et les médias. En octobre, sa réélection avait été rejetée par l’opposition, qui criait à la fraude.

“À ceux qui s’attendaient à une rupture avec le style Magufuli je dirais : “retenez votre souffle pour le moment””, a déclaré jeudi l’analyste tanzanien Thabit Jacob, chercheur à l’Université de Roskilde, au Danemark. Pour lui, la première femme présidente de la Tanzanie gouvernera “avec une base beaucoup plus faible, qui sera contrôlée par le clan Magufuli et les renseignements”. “Elle aura du mal à construire sa propre base et des rivalités entre factions vont émerger”, prédit-il.

Mme Hassan sera l’une des deux femmes au pouvoir en Afrique, avec l’Éthiopienne Sahle-Work Zewde, dont les fonctions sont honorifiques.