Poisonous Roses : l’amour fraternel filmé par Ahmed Fawzi Saleh

Pour son premier long-métrage, le réalisateur égyptien Ahmed Fawzi Saleh décrit au détail près l’amour possessif d’une sœur pour son frère, tout en posant un regard acerbe sur l’Égypte actuelle.

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Poisonous Roses (Ward masmoum), de Ahmed Fawzi Saleh
Poisonous Roses (Ward masmoum) est le premier long-métrage de Ahmed Fawzi Saleh. Crédit: DR

Les relations fusionnelles entre frères et sœurs ont rarement été abordées au cinéma. Encore plus lorsqu’elles proviennent de la plus basse échelle de la société.

Poisonous Roses (Ward masmoum), de Ahmed Fawzi Saleh
Poisonous Roses (Ward masmoum), de Ahmed Fawzi Saleh, est disponible en ligne.

C’est à cet exercice que s’est prêté le réalisateur égyptien Ahmed Fawzy Saleh pour son premier long-métrage si particulier, Poisonous Roses (Ward masmoum). Tiré du roman éponyme de l’écrivain égyptien Ahmed Zaghloul Al Sheety, ce film décrit le quotidien de Taheya, une jeune femme de 28 ans, qui ne vit et ne travaille que pour son frère Saqr.

Celui-ci travaille dans le quartier misérable des tanneurs, situé dans les bas-fonds du Caire. Dépressif, il n’a qu’une seule envie : quitter cette zone “maudite” pour aller clandestinement en Italie et s’assurer un avenir meilleur.

Mécontente de ses projets, Taheya essaie tant bien que mal de le retenir, jusqu’à se montrer possessive à l’excès. Elle va même se laisser aller à des pratiques peu communes pour l’empêcher de mener à bien son projet.

Un quartier comme métaphore de l’étouffement

Même si l’histoire semble simple, l’ingéniosité du réalisateur réside dans les décors qu’il choisit pour l’intrigue de son film.

Par le biais de la tenace Taheya, la caméra nous offre une balade quotidienne dans ce quartier où l’espoir ne fait pas vivre et où les conditions de vie ne sont pas près de changer.

Au cours de son périple, le personnage principal croise des chômeurs assis aux coins des rues, des mères sur le pas de leurs portes essayant de vendre le peu de marchandises qu’elles ont pour pouvoir manger à leur faim.

Et que dire des conditions de travail des tanneurs, qui suent à longueur de journée pour espérer rejoindre leurs maisons, munis d’une modique somme d’argent ?

Le cinéaste, qui a déjà réalisé un documentaire en 2010 traitant de la condition des tanneurs au travail, semble presque utiliser ce drame frère-sœur comme fil conducteur pour nous raconter autre chose : le dur quotidien des oubliés de l’Égypte de l’après-révolution, qui souffrent en silence dans des quartiers glauques où même la lumière du soleil ne pénètre pas.

Les ruelles de ce district, conçues comme un labyrinthe étroit, deviennent une représentation d’une Egypte où tout le monde est étouffé.

Le pouvoir des images

Un point de vue acerbe sur la situation actuelle de son pays, qui est encore plus renforcé par le personnage de Taheya.

Cette jeune femme, qui s’exprime rarement par les mots, ne semble vivre que pour s’occuper de son frère. Elle ne pense ni à son avenir, ni à une relation amoureuse et n’a aucun désir d’émancipation.

Que son frère n’émigre pas et qu’elle rapporte de l’argent au quotidien sont ses seules motivations

Que son frère n’émigre pas et qu’elle rapporte de l’argent au quotidien sont ses seules motivations. Pas le temps de penser à autre chose, dans la mesure où le quotidien est assez dur comme ça.

Et pour remuer encore plus le couteau dans la plaie, Ahmed Fawzy Saleh a doté son film d’un univers visuel impressionnant.

Des images saisissantes qui, à elles seules, témoignent de la condition de vie des personnes issues de ces quartiers : les déchets noircis qui s’écoulent des tuyaux, les eaux polluées qui traversent quasiment tout le quartier, les espaces exigus par lesquels passe Taheya au quotidien, ou encore ces plans sur la machine de tannerie qui tourne en boucle…

Autant d’éléments, filmés toujours en gros plan, pour décrire une Égypte au bord du gouffre.