"Plus jamais seuls", des activistes LGBT du Maroc et de la région MENA témoignent

Dans un rapport publié le 16 avril par Human Rights Watch, 34 activistes de 16 pays arabophones témoignent des difficultés et des avancées de l'activisme pour la cause LGBT dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Le point sur la situation au Maroc.

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‘audace face à l’adversité« , c’est le titre du nouveau rapport de 75 pages publié par Human Rights Watch (HRW) lundi 16 avril. Dans le document, 34 activistes de la cause LGBT de la région MENA racontent leurs histoires et décrivent comment ils construisent leurs mouvements dans des pays qui ne les acceptent pas.

Dans la plupart des pays de la région, les relations homosexuelles sont traitées comme une infraction pénale. Au Maroc, l’article 489 du Code pénal punit  « les actes licencieux ou contre nature avec un individu du même sexe« .

Aucune loi interdisant de promouvoir l’homosexualité n’existe au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Néanmoins les restrictions sont nombreuses, ce qui rend pratiquement impossible l’enregistrement d’organisations qui travaillent sur les questions d’orientation sexuelle. Le rapport donne l’exemple du collectif marocain Akaliyat, qui avait tenté d’obtenir une reconnaissance légale.

Printemps arabes et faux espoirs

Les printemps arabes de 2011 ont certes favorisé de nouvelles réformes dans certains pays, mais les résultats pour les personnes LGBT ont été mitigés. Néanmoins, les soulèvements ont permis à certaines personnes de cette communauté de s’affirmer au Maroc. C’est le cas de Mala Badi, une activiste transgenre marocaine.

Elle explique à HRW que lorsqu’elle a fait son coming out en tant que trans, des amis lui ont conseillé de garder son identité cachée. Et puis le printemps arabe est arrivé. « Le 20 février 2011, je me suis retrouvée dans la rue aux côtés de milliers d’autres jeunes Marocains qui scandaient ‘Liberté, justice, dignité, égalité!’ à voix haute pour la première fois. C’était comme une deuxième naissance pour moi. Peu à peu, j’ai donc révélé mon orientation sexuelle. Non sans appréhension, j’ai écrit sur des pancartes ‘Non à l’article 489’ et ‘Ne criminalisez pas l’amour’. En mai, j’ai porté un drapeau arc-en-ciel pendant une manifestation, mettant en rage les islamistes qui étaient là. Le corps tremblant, je me suis levée pour dire: ‘Les droits des homosexuels sont des droits humains, il faut accepter le fait que beaucoup de gens qui crient « vive le peuple! » ici avec nous sont homosexuels, et qu’ils font partie du peuple!« .

L’union fait la force

Dans son rapport, HRW explique que la première étape décisive pour développement d’un activisme LGBT est la construction d’une communauté. Des organisations, plateformes en ligne, ateliers, et autres regroupements ont ainsi essaimé dans la région MENA durant la dernière décennie.

En 2001, les mouvements de défense des droits des LGBT étaient absents de la plupart des pays arabophones. En 2017, des dizaines d’organisations LGBT travaillaient dans toute la région.

La création de réseaux régionaux a servi de bouée de sauvetage à de nombreux activistes de la région MENA. Une activiste marocaine raconte que lorsque deux filles de 16 et 17 ans ont été arrêtées pour s’être embrassées à Marrakech en 2016, elle et ses collègues ont réussi à convaincre 22 organisations du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord de signer une déclaration commune condamnant ces arrestations. Les deux filles ont finalement été acquittées. Autre progrès: en 2015, 56 avocats ont pu plaider devant un tribunal pour soutenir une femme transgenre victime d’une brutale agression collective à Fès.

Pour prendre plus d’ampleur, les groupes LGBT cherchent à construire des alliances avec d’autres associations comme des associations féministes, mais aussi en allant chercher le soutiennent d’autres organisations qui luttent pour les droits de l’Homme. Si certaines de ces organisations peuvent effectivement aider les associations LGBT, s’associer à elles est trop risqué.

« Il y en a qui ne peuvent nous soutenir publiquement. Nous le savons et nous le comprenons. Mais ils nous aident. Nous sommes conscients qu’ils sont issus d’une génération plus âgée que la nôtre et que le contexte est différent, mais nous leur disons : ‘Nous essayons de soulever tel ou tel problème, et nous avons besoin de votre aide' », explique une activiste marocaine, qui s’exprime en off.

En partenariat avec la Fondation arabe pour les libertés et l’égalité, HRW publie également une série de vidéos sous le titre « plus jamais seuls« . Dans ces dernières, des activistes LGBT envoient des messages de soutien et d’encouragement aux personnes LGBT du monde arabe.

Sensibiliser à la cause LGBT dans les médias et sur les réseaux sociaux

Les activistes mènent un combat pour que les questions LGBT soient présentées de manière objective dans les médias. Une étude publiée en 2017 par OutRight Action International a révélé que les médias en langue arabe avaient tendance à utiliser des termes dégradants et péjoratifs quand ils évoquaient les personnes LGBT.

L’engagement soutenu des activistes LGBT à l’égard des médias a permis d’améliorer les choses. Un activiste marocain explique en off à HRW que « les journalistes et les sites Internet ne parlent plus de déviance sexuelle, ils disent homosexuels et respectent le terme LGBT. Ils publient des articles sur nos activités« .

Un autre activiste, toujours en off, ajoute: « Dans le cas des filles de Marrakech (arrêtées en 2016 pour s’être embrassées, NDLR), j’ai répondu aux questions d’un grand média arabophone, suite à quoi il a utilisé le mot ‘shoudoud’ (perversion) dans le titre de l’article. J’ai tout de suite appelé quelqu’un au journal et ils ont corrigé« .

Sur les réseaux sociaux aussi les choses bougent. En mars 2016, un couple d’homosexuels a été passé à tabac et trainé à nu dans la rue par un groupe de jeunes hommes. Une vidéo de l’agression s’est retrouvée sur YouTube.

La première réaction des autorités a été d’arrêter les victimes et de les condamner. Le verdict a provoqué un tollé général. Trois jours plus tard, quand le deuxième homme a été jugé, le juge a ordonné la libération des deux accusés et l’arrestation de ceux qui les avaient attaqués.

Selon l’activiste Hajar El Moutaouakil, qui a suivi le dossier, « l’affaire a retenu l’attention de nombreux médias et les gens ont vu la vidéo, qui était vraiment violente. L’opinion a sympathisé avec les victimes, même ceux qui disaient qu’ils n’aimaient pas les gays ».

Méthodologie

Le rapport s’appuie sur des entretiens avec 34 activistes de 16 pays arabophones du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord: Algérie, Bahreïn, Égypte, Irak, Palestine, Jordanie, Koweït, Liban, Mauritanie, Maroc, Oman, Qatar, Arabie-Saoudite, Syrie, Tunisie, Émirats arabes unis et Yémen, réalisés entre juillet 2017 et mars 2018.