“La liberté s’arrache”

Smyet bak ?
Laouni Ben Tahar.

Smyet mok ?
Khaïra Bent Mohamed.

Nimirou d’la carte ?
Je ne le connais pas par cœur. Je ne veux pas être considéré comme un simple numéro.

N’entretenez-vous pas le mythe de l’artiste interdit de télé car c’est vendeur ?
Les gens qui pensent cela n’ont qu’à contacter les responsables des médias publics pour que l’on m’invite. On verra bien quelle réponse leur sera donnée. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à être interdit de télé, certains journalistes ne sont jamais invités à participer aux débats. La télévision publique vend la pensée unique.

Le public vous reconnaît-il toujours dans la rue ?
Je pensais que les gens allaient m’oublier, mais je découvre qu’en fait c’est la télévision qu’ils ont oubliée. Personne ne regarde les chaînes marocaines car, tout comme Gaza, c’est un territoire occupé par le Pouvoir.

Il faut une Intifada pour le libérer ?
Oui, une Intifada menée par les journalistes des chaînes. Les Marocains payent la redevance télé en même temps que leur facture d’électricité. Les médias publics parlent de l’Afghanistan alors qu’une marche à Rabat du 20 février n’est même pas évoquée. Les téléspectateurs se rabattent donc sur les télévisions étrangères pour s’informer : Ils h’rag à leur manière, leur patera c’est le satellite.

Votre jeu de mot célèbre, Sa Majetski, vous est venu comment ?
Comme ça, il n’y a aucune préméditation, aucune recette concernant les jeux de mots. C’est comme une étincelle. Je l’ai trouvé alors que j’étais seul, je l’ai ressorti devant des amis journalistes et des artistes. C’est eux qui ont rendu l’expression populaire.

Malgré vos différends avec Driss Basri, vous partagez au moins un point commun avec lui : vos origines aâroubi. Cela ne vous le rend pas un petit peu sympathique vu son côté paysan dans un establishment fassi ?
Je me sens solidaire des paysans, mais pas d’un ministre de l’Intérieur sous prétexte que nous venons tous deux du monde rural. Cette rivalité entre Fassis et Aâroubis n’est d’ailleurs plus d’actualité. On ne peut pas être opposé à quelqu’un du fait de son origine géographique, c’est du racisme.                                                         

Il y a toute de même une amélioration entre le Maroc de Hassan II et celui de Mohammed VI. Admettez-le.
Il n’y a pas de véritable changement, il y a eu une ouverture mais elle est étroite. Le Pouvoir ne change pas profondément, il donne juste l’impression que nous avons plus de liberté. On a désamorcé des situationsdifficiles, mais tout le monde sait que la liberté ne s’accorde pas, elle s’arrache.

Mounir Majidi est passé entre les gouttes malgré les “Dégage” de la rue. Un mot gentil pour l’encourager dans son travail ?
Je l’ai appelé Majibi. Il ne s’occupe que du Maroc utile à ses poches et aux poches de certains.

Et Fouad Ali El Himma sorti par la porte pour revenir par la fenêtre ?
Ce n’est pas lui le problème, ce n’est pas une question d’homme mais de système. D’autres sont sortis par la porte et n’ont même pas eu la discrétion de revenir par la fenêtre. Non, ils ont choisi la même porte. Le PJD est juste là pour distraire l’attention des gens. Le gouvernement ne se voit accorder aucun pouvoir, on lui donne juste un pourboire.

Un mot sur votre nouveau spectacle, La révolution des chaises ?
Même les chaises sont fatiguées d’accueillir les mêmes culs. A force de côtoyer les mêmes fesses, elles ne font plus qu’un avec leur occupant. C’est comme ça que naît la langue de bois. Les chaises en signe de protestation décident de manifester dans la rue.

Vous avez donné vos premiers spectacles dans un bus scolaire ?
Un bus nous emmenait à l’école. On se racontait entre copains des blagues et on faisait des sketchs. Le bus a rapidement eu des clients fidèles, un public qui le prenait pour nous écouter. On faisait du théâtre de rue sans le savoir.

Qui vous fait rire ?
Les séances au parlement me font rire. Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, eux de l’humour sans en avoir conscience. Abdelilah Benkirane raconte beaucoup d’histoires drôles, c’est bien qu’il ne soit pas d’un sérieux mortel, mais il nous fait de la concurrence.

Mais vous-même leur faites de la concurrence en vous mêlant de politique.
Disons que les hommes politiques ont le droit de faire de l’humour, mais ils doivent accepter que l’on se moque d’eux. Sinon, c’est de la concurrence illégale.

Quel était votre rapport avec l’écrivain Mohamed Khaïr-Eddine ?
Il me disait souvent “tu es une source, vas-y laisse couler, je mettrais le tout en forme”. Je le rencontrais en France où des associations de droits de l’homme ou de MRE me conviaient à donner des spectacles. C’est ainsi, à l’étranger je recevais des invitations et au Maroc des “évitations”.

Et la nature de votre relation avec Dustin Hoffman ?
Je l’ai rencontré à la fin des années 80 alors qu’il tournait Ishtar au Maroc. Il m’a proposé un rôle dans le film, mais j’ai refusé, tellement il se moquait de la réalisatrice et de son incompétence. Je lui ai fait visiter la médina de Casablanca, il était étonné qu’on le connaisse aussi bien au Maroc. On se racontait souvent des blagues, il a vraiment beaucoup d’humour.

Est-ce que le M20, auquel vous avez adhéré, vous a remis le pied à l’étrier ?
Je militais avant le 20 février au sein de l’AMDH, pour les droits de l’homme et la liberté de la presse. Le M20 est l’héritier de tous les combats pour la liberté menés avant lui durant les années de plomb et les décennies suivantes. L’Etat parle d’ailleurs de supprimer le mois de février, un mois rebelle qui ne fait pas 30 jours, mais une fois 28, une autre 29. Et en plus, il annonce le printemps.

Supprimer tout un mois sans que personne ne s’en rende compte ?
Vous pouvez éliminer tout un trimestre sans que les Marocains le remarquent. Les gens sont au chômage, ils ne reçoivent pas de salaire chaque début de mois, alors ils n’ont aucune raison de s’intéresser au calendrier.

Que pensez-vous du TGV ?
Le Maroc est à l’arrêt et on se lance dans un train à grande vitesse. C’est l’accident assuré. Les trains que l’on a vont au moins à la vitesse du pays.

Antécédents

 

1955. Voit le jour à El Jadida.

1978. Entre au conservatoire de Casablanca.

1982. Edite La huppe, journal satirique.

1988. Naissance de sa fille Khaïra.

1995. Interprète Le mariage du loup, son plus grand spectacle.

2005. Mène une grève de la faim contre son interdiction d’antenne.

2012. Jouera son nouveau spectacle La révolution des chaises.

 

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