“Je ne suis pas un petit ministre”

Smyet bak ?
Abdellah Sbihi.

Smyet mok ?
Elbatoul Benkhadra.

Nimirou d’la carte ?
A 17901.

A Salé, on retrouve des rues, des écoles, voire des pharmacies et commerces qui portent votre nom. On dirait que la ville vous appartient…
Il ne faut surtout pas oublier la bibliothèque Sbihi. Nous avons l’honneur d’avoir été les pionniers du mécénat moderne. Car notre famille n’a pas fait que construire des mosquées. Nous avons financé une riche bibliothèque ouverte au public. Elle date de 1967.

Votre grand-père était alem, votre papa ingénieur agronome et vous, vous optez pour les maths. Pourquoi ?
Quand j’ai eu mon bac, il n’y avait pas de HEC au Maroc et j’ai été accepté sur dossier en France. Et puis, il s’agit d’une sorte de défi personnel. Au lycée, on me reprochait toujours de ne pas être bon en maths.

Le département de la Culture, n’est-ce pas un cadeau empoisonné ?
On a toujours cette impression que la culture, c’est un petit ministère, un petit budget, voire un petit ministre. Et on oublie que la culture est au centre de tout le processus de développement, surtout dans un pays comme le nôtre qui n’a d’autres richesses que ses potentialités humaines. La culture est justement un facteur de mobilisation de cette richesse.

Votre prédécesseur, Bensalem Himmich, s’est mis tout le monde à dos pendant son mandat. Qu’allez-vous faire pour y remédier ?
Je ne peux pas évaluer l’action de mon prédécesseur. Ma démarche, en tant que responsable de la gestion de ce département, est basée sur la participation et l’ouverture sur toutes les potentialités culturelles du pays. C’est ainsi, ensemble, qu’on pourra faire avancer les choses.

Et quelles sont vos priorités ?
Il est temps de donner du sens à ce foisonnement culturel que vit le pays depuis près d’une décennie et à tous les niveaux de création. Nous avons besoin d’une économie de la culture et d’une stratégie à l’instar d’autres secteurs. On pourra appeler cela “Le Maroc de la culture” ou “Le Maroc de la création” et on y travaille déjà. La culture apaise et nous avons besoin d’une société qui soit en paix avec elle-même.

Membre d’un gouvernement dominé par les conservateurs, êtes-vous prêt à défendre la cause de la liberté de création et d’expression ?
Sans aucun doute ! Mais laissez-moi vous rappeler qu’on est aussi en présence d’un gouvernement de changement qui s’inscrit dans ce que porte la nouvelle Constitution, en termes de respect des libertés collectives et individuelles. C’est un gouvernement qui ne peut pas être liberticide et il y a une entente là-dessus entre toutes ses composantes.

Pourquoi votre parti, le PPS, n’a proposé aucune femme à un poste de ministre ?
C’est faux ! Nous avons proposé trois femmes. Sauf que, vu le processus suivi pour l’attribution des portefeuilles, il s’est trouvé que les profils ne correspondaient pas aux départements qui nous ont été réservés et ne pouvaient pas apporter de plus-value.

Vous avez côtoyé Hassan II lorsque vous étiez membre de la cellule qui préparait le projet de l’Université Al Akhawayn. Quel souvenir gardez-vous de lui ?
C’était un homme d’une grande culture et d’un esprit ouvert. Hassan II en imposait aussi par ce qu’on appelle la hiba. A son approche, vous vous sentiez en présence d’une très forte personnalité. Pour Al Akhawayn, il nous avait donné carte blanche et voulait que ce soit un pôle de développement régional.

Vice-président de cette même université, vous avez fini par claquer la porte. Pourquoi ?
J’ai quitté mes fonctions quand j’ai vu que ce projet déviait de l’objectif qui lui avait été fixé. On a dérivé vers une gestion conservatrice d’un établissement de haut niveau et seulement pour une petite élite.

Etes-vous d’un tempérament bagarreur comme vous présentent vos camarades au parti ?
Je suis bagarreur, mais aussi volontariste. Je ne me laisse pas faire. Cela dit, dans la vie de tous les jours, je suis quelqu’un de simple et d’ouvert. Certains disent que je suis même charmant ! C’est un trait de caractère, c’est génétique.

Hum… Camarade Sbihi, que reste-t-il du communisme ?
A l’origine, c’était une forte idée d’égalité, de justice et de refus de l’exploitation. Il a dévié pour devenir porteur d’autoritarisme et de dictature, mais l’idée restera à jamais.
Il ne faut pas être fétichiste : si le terme n’a plus de sens, à la poubelle alors, mais gardons-en les valeurs !

Aux funérailles de Mohamed Rouicha, on vous a reproché d’être resté dans la voiture du gouverneur de Khénifra…
C’est archi-faux ! Ceux qui me connaissent savent que ce n’est pas mon style. J’ai l’habitude de me mêler aux foules pour apporter ma part de chaleur et de soutien. A Khénifra, on avait atteint les environs du cimetière, j’ai quitté la voiture et je me suis mêlé à ces centaines de citoyens qui rendaient hommage à un grand homme.

Et si on vous demandait de convaincre Abdelilah Benkirane d’assister à un concert de Mawazine ?
Je suis sûr qu’il y assistera et sans la moindre hésitation.

Mariah Carey, par exemple ?
Je ne suis pas un fan de cette chanteuse. Par contre, j’ai assisté au concert de Stevie Wonder, il y a deux ans, parce que je suis plutôt seventies – eighties. L’un de mes albums préférés est Secret life of plants, magnifique, vraiment.

Vous êtes ministre parce que l’ancien S.G du PPS, Ismaïl Alaoui, est votre beau-frère ?
Ismaïl Alaoui ne m’a jamais facilité la vie au sein des instances du PPS. Depuis que j’ai intégré le parti en 1975, je n’ai pu accéder à la direction qu’en 1995. En plus, s’il était encore numéro 1 du parti, jamais je n’aurais été proposé au poste de ministre.

En fin de compte, vous êtes plus slaoui ou r’bati ?
Avant le ministère, mes obligations professionnelles faisaient que je passais la journée à Salé et dormais à Rabat. Actuellement, je suis obligé de rester à Rabat et toujours dans la même petite maison familiale des Orangers.

Une dernière pour la route. Vous êtes plutôt pastilla ou tajine ?
Là, vous touchez un point très sensible. Si je suis invité chez vous et que vous souhaitez vraiment me faire plaisir, vous me donnez un bol de harira et un tajine marocain avec des frites. C’est mon meilleur dîner et je serai comblé.

 

Antécédents

1954. Voit le jour à Salé

1975. Adhère au Parti du progrès et du socialisme (PPS)

1985. Membre fondateur du centre d’études et de recherches Aziz Belal

1990. Obtient un doctorat en sciences mathématiques de l’Université McGill à Montréal (Canada)

1995. Désigné vice-président de l’Université Al Akhawayn, il démissionne un an plus tard.

2005. Elu membre du bureau politique du PPS

2012. Devient ministre de la Culture

 

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