“Je n’ai jamais voté de ma vie”

 

Smyet bak ?

Abdelhak ben Miloud.

 

Smyet mok ?

Aïcha bent Ali.

 

Nimirou d’la carte ?

BE 668 149.

 

Haoussa a été fondé en 2002. Pourtant, vous n’avez toujours pas sorti d’album. Vous ne pensez pas que vous êtes un peu “le groupe maudit” de la nouvelle scène ?

C’est ce que je me dis parfois. On est passés par des périodes difficiles, durant lesquelles il y a eu des différends entre les membres du groupe. Aujourd’hui, c’est réglé. L’album est prêt, et il sort le mois prochain, si tout va bien.

 

Momo Merhari, le fondateur du festival l’Boulevard, a dit que vous êtes les Sex Pistols marocains…

C’est très flatteur d’être comparé à une telle légende de l’histoire du rock. Mais si on a un esprit punk, on n’est pas aussi “destroy” qu’eux ! On a plus de retenue, surtout en public (rires).

 

Vous avez souvent été décrits comme des chefs de file de la Nayda. Avec du recul, pensez-vous que ce mouvement a été survendu ?

Le terme “Nayda” a été inventé par des chercheurs et des journalistes, avant d’être récupéré par les marques qui en ont fait un concept marketing. Mais en réalité, à l’époque, il n’y a eu qu’une minuscule étincelle contestataire qui a traversé la scène, portée par des groupes comme Haoussa ou Bigg. C’est tout.

 

Vous êtes connus pour vos textes subversifs et votre sens de l’ironie. Avez-vous déjà eu des problèmes à cause de vos paroles ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître, jamais. Notre premier concert, nous l’avons donné à El Jadida, devant le ministre de la Culture de l’époque, Mohamed Achaâri. On nous avait conseillés de changer les paroles du titre Al Wada3, où l’on évoque les “ministres qui se sont remplis les poches”. Je n’ai pas changé un seul mot, et il a adoré notre musique. Il y a même eu des moments où il était mort de rire.

 

La vague de rap patriotique qui existe actuellement, ça vous énerve ?

Oui, bien sûr, mais je suis persuadé que ça va passer. C’est une mode. Dans quelques années, nous aurons sûrement droit au rap écologiste (rires).

 

Êtes–vous dérangés par l’arrivée au pouvoir du PJD, qui prône la mise en place d’un “art propre” ?

Honnêtement, pas du tout. Au contraire, je pense que la culture au Maroc avait besoin d’une polémique autour de ce sujet pour se réveiller. Cela va permettre de lancer un véritable débat sur l’art libre. Alors que, depuis quelques années, on patauge dans des considérations ridicules et superficielles. Il est temps de passer au niveau supérieur. 

 

Vous pensez qu’il y a un manque de créativité au Maroc ?

Chez nous, ce mot a quasiment été effacé du dictionnaire. Il suffit de voir ce qui se fait en musique ou dans le cinéma pour comprendre qu’on tourne en rond. Il y a presque toujours une impression de déjà vu. Il faut revoir les programmes de l’Éducation nationale, notamment la manière dont l’art est enseigné, parce qu’il y a de véritables lacunes dans ce domaine.

 

Vous avez toujours été un fervent défenseur de la darija. Avec l’arrivée des nouveaux cahiers des charges, ne craignez-vous pas que sa place dans les médias publics ne soit réduite ?

Sincèrement, je ne pense pas que ça puisse être pire que la situation actuelle. Ouvrons les yeux : il n’y a jamais vraiment eu de darija sur nos chaînes TV ou sur les radios publiques. Ils utilisent ce que j’appelle “lwesstia”, une sorte d’arabe agrémenté de quelques mots de darija. C’est dommage, parce que cela prouve qu’ils n’ont pas compris ce que veut vraiment le public.

 

L’année dernière, vous n’étiez pas convaincu par le Mouvement du 20 février et ses revendications. Vous pensez toujours la même chose ?

Oui. Il faut regarder les choses en face : un mouvement dirigé par des jeunes n’avait aucune chance de changer le régime. Ils n’avaient pas les armes ni les bagages nécessaires pour affronter un système qui est en place depuis des décennies.

 

Vos déclarations sont étonnantes pour un groupe “punk”. On aurait plutôt pensé que vous militiez pour un changement du système…

Nous militons sur scène, avec nos armes. Mais soyons clairs, pour le moment, au Maroc, personne n’a proposé d’alternative claire, ni aucune garantie. ça ne sert à rien d’appeler à la destruction d’un système, si nous ne sommes pas certains que le changement sera positif.

 

Vous êtes allé voter durant les dernières élections législatives ?

Pas du tout. Je n’ai jamais voté de ma vie et j’assume ce boycott. Pour moi, tous les partis politiques se ressemblent. Mais je pense qu’il faut laisser une chance au PJD de faire ses preuves. C’est la première fois qu’ils sont au pouvoir, les Marocains doivent leur laisser un peu de temps avant de les juger.

 

Vous avez l’air d’apprécier le PJD. Et Abdelilah Benkirane, vous l’aimez bien ?

Franchement, je le trouve “bikhir” ! De toute ma vie, c’est la première fois que nous avons un Premier ministre aussi drôle, actif et communicatif. C’est un travailleur, mais il n’a pas hérité d’une situation facile…

 

Si vous étiez invité à jouer devant Mohammed VI, vous troqueriez vos perruques et vos costumes pour des tenues plus sobres ?

Sûrement pas ! Sincèrement, j’aimerais énormément jouer devant lui, pour qu’il puisse entendre ce qu’on a dire. Et je ne changerai pas un seul de mes textes. Je suis persuadé qu’il comprendrait notre point de vue.

 

Vous semblez plutôt confiant. Vous n’êtes pas aussi un peu fan du roi ?

Oui, j’ai beaucoup d’admiration pour lui. Il se balade souvent tout seul en voiture à Casablanca, sans gardes du corps. Je l’ai croisé durant le ramadan, l’été dernier, alors que j’étais à vélo. Rares sont les chefs d’états à faire ça. C’est bien la preuve qu’il a confiance en son peuple. On devrait faire pareil.

 

Vous êtes un grand supporter du Raja. Vous allez encore au stade avec cette vague de hooliganisme qui déferle sur le football marocain ?

Cela fait des années que je n’ai pas mis les pieds dans un stade. C’est trop dangereux, surtout qu’en ce moment j’ai l’impression que les jeunes y vont pour se défouler et se taper dessus, et non pas pour regarder le match. On dirait vraiment qu’ils débarquent d’une autre planète.

 

Antécédents :

 

  • 1975.  Voit le jour à Casablanca
  • 1997. Obtient sa licence en économétrie à l’université Hassan II
  • 2002. Donne son 1er concert à El Jadida
  • 2008. Se rend à Paris pour la 1ère fois
  • 2009. Se marie
  • 2012. Prépare la sortie du premier album de son groupe, Haoussa

 

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