“Internet relie les révoltés solitaires”

Smyet bak ?

Abderrahman Bensalah.

 

 

Smyet mok ?

Jamila Makhtoum.

 

 

Nimirou d’la carte ?

G 334198.

 

 

Votre jeune épouse n’est pas un peu jalouse de Twitter ?

C’est le mauvais côté d’Internet : on a l’impression de vivre des évènements qui se déroulent de l’autre côté de la planète et, du coup, on s’éloigne de ce qui nous est proche. Ma femme me rappelle avec gentillesse cette réalité.

 

 

Vous avez écrit un ouvrage à propos des révolutions arabes et d’Internet. Les deux sont à ce point liés ?

Internet n’a pas fait les révolutions mais a été un levier. Cet outil permet de diffuser l’information à une grande vitesse. Quand dans les années 1980, Hafez Al Assad bombardait des villes entières, on l’apprenait très tard. Quand son fils réitère en 2013, on est au courant dans la minute. Et Internet permet de relier ce que j’appelle des “révoltés solitaires”, qui partagent informations et points de vue tout en étant loin les uns des autres.

 

 

La politique, c’est de famille chez les Bensalah ?

Non, mais quelque part mon engagement est familial. Tout est né de mon regard sur mon milieu, où se côtoient des gens très riches et d’autres bien plus pauvres. Je me suis très tôt demandé comment rééquilibrer la

balance. Et je me souviens qu’encore enfant, j’ai été marqué par les funérailles

de Abderrahim Bouabid, que je suivais dans les journaux que lisait mon père.

 

 

Récemment, vous avez claqué la porte de l’USFP. Pourquoi ?

L’USFP ne représente plus un espoir pour un jeune entre 20 et 30 ans. C’est un parti irréformable.

 

 

Nous croyons savoir que vous réfléchissez déjà à de nouveaux modes d’action ?

Nous réfléchissions en groupe à une alternative progressiste. Surtout qu’un nouvel ordre régional est né, celui de l’après-Printemps arabe, qui marche sur le tombeau des anciennes légitimités. Les nouvelles légitimités seront “post- Printemps” et peu de forces politiques l’ont compris.

 

 

Vous parlez souvent de “modernité” sur votre blog. C’est quoi la modernité ?

J’ai ma définition : c’est l’utilisation de tout ce que l’humanité a accumulé comme expériences positives en vue de créer une rupture et de placer l’individu et la raison au centre de tout. 

 

 

Cela implique-t-il un Etat laïc ?

Un Etat séculier surtout.

 

 

Utiliser le mot séculier plutôt que laïc n’est pas un hasard…

Le mot laïc renvoyant un peu trop au modèle français, je lui préfère séculier. En arabe, je parle de “daoula madania” qu’on pourrait traduire par “Etat civil” plutôt que de “3ilmaniya”, ce mot ayant été trop longtemps diabolisé.

 

 

Pourquoi la gauche a tant de mal à parler de religion ?

La gauche a perdu son poids dans le champ religieux en même temps qu’elle perdait ses moyens d’expression dans tous les domaines. Souvenez-vous, il n’y a pas si longtemps, la gauche comprenait dans ses rangs des chioukh et des alems reconnus.

 

 

Comment se prémunir de la soif de pouvoir ?

Il n’y a pas de recette magique, il suffit de privilégier l’ambition collective plutôt que l’ambition individuelle.

 

 

Vous ne pensez pas que le “droit-de-l’hommisme” a tué le politique ?

Les politiques ayant cédé sur tous les terrains, il fallait bien en investir d’autres.

 

 

En fait, vous êtes clairement réformiste et non révolutionnaire ?

A mon sens, un révolutionnaire est un réformiste désespéré. Moi, je suis très optimiste.

 

 

Pourtant, le nom de votre blog, “Des maux à dire”, est un peu triste.

ça colle à mon idéologie : je constate et je m’indigne. Puis je formule des alternatives et des solutions.

 

 

Comment expliquez-vous que les réunions de gauche restent très “masculines” ?

C’est à moitié vrai. D’un côté, les femmes portent plus haut que les hommes l’étendard du progressisme. D’un autre, effectivement, dans notre société beaucoup de femmes sont absorbées par des tâches qui ne leur

laissent pas de temps pour l’engagement politique. 

 

 

A propos de temps, nombreux sont les travailleurs à ne toujours pas avoir de temps de loisir. Comment y remédier ?

La société marocaine ne ressemble pas aux sociétés occidentales très industrialisées. Ici cohabitent des modes de production primaires et post-modernes. Un système équivalent aux “35 heures” françaises n’est donc pas forcément facile à appliquer. Mais il est urgent d’assurer à chacun le droit à un travail et à un salaire convenables pour jouir de la vie.

 

 

Qui est le pape de la gauche ?

Je dirais Abderrahim Bouabid.

 

 

Et le livre de référence ?

Option révolutionnaire de Mehdi Ben Barka.

 

 

Vous n’avez pas l’impression d’en faire trop avec cette figure ?  

Nous avons tous besoins de repères. Et je ne peux qu’être touché par sa disparition tragique ainsi que par le rôle important qu’il a joué dès son plus jeune âge.

 

 

Ne pensez-vous pas que de nouvelles préoccupations, comme le concubinage, devraient trouver leur place dans les programmes de la gauche ?

Il est malheureux de constater que la gauche n’a pas réussi à imposer l’idée d’un Etat civil dans la Constitution de 2011. Sans cela, il est impossible de tenir de tels débats d’actualité.

 

 

A qui incombe la faute ?

La gauche se réfugie derrière l’idée qu’elle sera réprimandée électoralement avec un tel discours, alors même que, de toute manière, son électorat est faible. Moi je crois que face à deux courants imposants, le makhzénien et le fondamentaliste, les deux voulant nous faire revenir en arrière, une troisième voie peut peser. Si on s’y met maintenant, elle se fera entendre d’ici dix ans.

 

 

Vous croyez qu’il faut augmenter les impôts ?

Je pense qu’il faut élargir l’assiette : ramener les travailleurs informels versle formel, combattre l’évasion fiscale et réformer la politique fiscale dans le milieu agricole.

 

 

Autre dada que vous avez : l’éducation. ça vous semble primordial ?

Je vais dire des paroles qui vont choquer, mais tant pis : je serais prêt à accepter une dictature de vingt ans si elle me garantissait une école publique de qualité. Aujourd’hui, si on veut un enseignement de qualité, il faut mettre la main à la poche en plus de payer ses impôts ! Quant au secteur public, on y tue la créativité et l’esprit d’initiative. On ne peut rêver de développement avec un tel système scolaire.

 

Antécédents

1979. Naissance à Rabat

1997.  Adhère aux jeunesses de l’USFP

2004. Lance son premier blog2011. Se marie

2012. Publie son ouvrage Réseaux sociaux et révolutions arabes ?

 

 

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