Abdellatif Zaghnoun: portrait du nouvel homme fort de la CDG

A la surprise générale, Abdellatif Zaghnoun a été désigné à la tête de la Caisse de dépôt et de gestion. Sur le papier, l’ancien patron du fisc présente le profil idéal pour diriger le « bras financier » de l’Etat.

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Abdellatif Zaghnoun.
Abdellatif Zaghnoun. Crédit: MAP

Sa nomination a pris de court tout le landernau politico-économique. Depuis que Anas Houir Alami, éclaboussé par l’affaire dite « Madinat Badès », a été démis de ses fonctions, plusieurs noms circulaient pour lui succéder. Pas celui de Abdellatif Zaghnoun. Dans les couloirs, ceux qui se veulent au fait des tractations et nominations à venir donnaient favoris Ahmed Réda Chami et Karim Ghellab, respectivement anciens ministres de l’Industrie et de l’Equipement. Mais à contre-pied de tous les pronostics, le roi, lors d’un Conseil des ministres tenu à Fès le 29 janvier dernier, a placé sa confiance dans le patron du fisc pour prendre les rênes de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG).

Le communiqué du cabinet royal précise que Abdellatif Zaghnoun a été choisi « sur proposition du Chef du gouvernement et sur initiative du ministre des Finances ». C’est que la CDG est le bras financier de l’Etat, et tout gouvernement compte sur elle pour mener à bien ses politiques publiques. Au sein de l’Exécutif, après plusieurs mois de vacance de poste, la nouvelle a été accueillie favorablement. Aux yeux de plusieurs membres du gouvernement, le nouveau patron présente le profil idéal, parce qu’« il incarne d’abord une sorte de rupture. Avec lui, on renoue avec une vieille tradition qui veut que le patron de la CDG soit un ancien du département des Finances ou un commis de l’Etat. C’était le cas, par exemple, de Khalid Kadiri ou Mfaddel Lahlou », indique Mohamed Chiguer, ancien directeur des études à la CDG et auteur d’un livre sur l’institution, La rescapée, histoire romancée de la Caisse de dépôt et de gestion.

Costume sur-mesure

S’il n’était pas pressenti au poste, Abdellatif Zaghnoun n’est pas pour autant un ovni. Plutôt un outsider. Sa carrière dans le secteur public plaide en effet pour lui. Car, on a tendance à l’oublier, la CDG est d’abord une entreprise publique, une des plus importantes du portefeuille de l’Etat qui coiffe pas moins de 145 filiales. « La mission principale de la CDG est de soutenir et accompagner les politiques publiques de l’Etat en balisant, au passage, le terrain pour le secteur privé. Mais, ces dernières années, sous la houlette des deux derniers patrons qui viennent du monde de la finance, la Caisse a délaissé sa mission de locomotive de l’économie nationale au profit d’activités plus lucratives », constate Mohamed Chiguer.

L’exemple le plus édifiant à ce titre est la prise de participation dans le vacancier français Club Med, opération où la CDG a laissé beaucoup de plumes avec, en prime, une moins-value de plusieurs millions de dirhams.Plus question de se permettre ce genre d’investissements hasardeux. « La Caisse n’a pas pour vocation de se lancer dans une quête du profit. Et celui qui prend ses commandes doit être un fin connaisseur des rouages du secteur public », estime notre interlocuteur. Il fallait donc un profil capable de faire revenir la vieille dame de Rabat sur le droit chemin.

Et, au vu de son parcours, Abdellatif Zaghnoun semble avoir les qualités nécessaires. Lauréat de l’Ecole Mohammedia d’ingénieurs (EMI) en génie minier en 1982, il entame son parcours professionnel au sein de l’Office chérifien des phosphates (OCP), entreprise où il a fait la majeure partie de sa carrière. Sérieux, bosseur et méticuleux, il gravit les échelons rapidement en passant par plusieurs postes à responsabilités : chef de division extraction à Boucraâ, responsable de la division traitement à Laâyoune, directeur des exploitations minières de Gantour (Youssoufia et Benguerir), directeur des exploitations minières de Khouribga… La consécration arrive en 2003, lorsqu’il est nommé patron du pôle mines et membre au comité exécutif de l’OCP.

Dès lors, il compte parmi les hauts fonctionnaires les plus en vue. Un an plus tard, le ministère des Finances, sous la houlette de Fathallah Oualalou, fait appel à lui pour diriger l’administration des douanes.

Homme de dossier

« A l’époque, le gouvernement Jettou faisait de la lutte contre l’informel et la contrebande son cheval de bataille. Engagé dans un processus d’ouverture économique et de libre-échange, le royaume devait mettre à niveau sa douane », explique un cadre de cette administration. Aussitôt au poste, Abdellatif Zaghnoun enchaîne les coups d’éclat pour changer de fond en comble l’image de l’institution. Amélioration des procédures, notamment via le système Badr, lutte contre la sous-facturation et la sous-déclaration… autant de réformes qui l’ont propulsé au-devant de la scène.

Sa nomination à la tête du fisc, en 2010, est le prolongement naturel du travail accompli à la douane et impôts indirects. A l’époque, Abdellatif Zaghnoun est accueilli en sauveur. Principales ressources de l’Etat, les recettes fiscales commencent à battre de l’aile à cause de plusieurs dysfonctionnements. Un coup de pied dans la fourmilière serait donc le bienvenu. Elargissement de l’assiette fiscale, traque des fraudeurs en multipliant les redressements fiscaux,  réforme de la TVA, facilitation des procédures à travers notamment la catégorisation des entreprises… à coups de plusieurs réformes, il réussit à mettre fin à quelques anomalies.« Pour passer certaines réformes, la manière compte parfois plus que le fond. Grâce à son indépendance, son sens de l’écoute et l’implication de tous les protagonistes, il a réussi à faire passer plusieurs pilules amères sans faire de fracas », indique un collaborateur de Driss Azami Al Idrissi, ministre du Budget, dont le département travaille avec le fisc pour la préparation des Lois de Finances.

Cela dit, si le nouveau patron de l’institution rbatie compte à son actif plusieurs faits d’armes, sa nouvelle mission est loin d’être de tout repos. Abdellatif Zaghnoun arrive à la tête d’une entreprise publique qui traverse une zone de fortes turbulences avec, en prime, un procès judiciaire qui menace ses anciens dirigeants, suite aux abus présumés dans le projet immobilier Madinat Badès à Al Hoceïma. Ses premiers pas à la tête de la CDG seront scrutés de très près. Reste à savoir quelle sera sa marge de manœuvre à ce poste hautement stratégique.

Tarik Hari 

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