Code pénal: une réforme conjuguée au passé?

Articles inapplicables, textes équivoques, lois passéistes… Les réseaux sociaux et la société civile critiquent l’avant-projet de réforme du Code pénal, publié le 1er avril.

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« Dans sa danse de complaisance avec le Makhzen, le PJD estime que l’heure est venue pour troquer ses bons et loyaux services par une politique d’islamisation », annonce d’emblée Driss sur Facebook, comparant le projet de réforme du Code pénal à une « loi inspirée des théories des Mollah et des Wahabites ». Sur les réseaux sociaux, une vague de protestation contre l’avant-projet de réforme du Code pénal, rendu public le 1er avril sur le site du ministère de la Justice, prend de plus en plus d’ampleur.

Car si l’avant-projet comprend de nouvelles mesures pénalisant le harcèlement sexuel, et introduit des peines alternatives (amendes journalières, travaux d’intérêt général, etc.) pour désengorger les centres pénitentiaires, rien n’a changé (ou presque) en matières de libertés civiles et individuelles. La rupture du jeûne en public, le prosélytisme, mais aussi les relations sexuelles hors mariage (la peine de cette infraction ayant néanmoins été réduite) sont toujours passibles d’emprisonnement et les amendes ont même été augmentées.

Des articles « passéistes »

En réaction, une page Facebookun hashtag et même une pétition ont vu le jour sur Internet. Sur le hashtag #Code_Penal_No_Pasaran et son équivalent en arabe, les critiques fusent. La page Facebook à elle seule réunit, à l’heure où nous publions cet article, près de 8 000 personnes qui épinglent des articles de loi « passéistes » qui ne sont pas « en concordance avec l’évolution de la société ». « A l’heure ou Ghennouchi (le chef du parti d’Ennahda en Tunisie, ndlr) annonce sa volonté à défendre les droits des homosexuels, Ramid nous balance dans la face un projet de loi qui criminalise encore des relations entre adultes consentants », s’insurge Hamza, un militant pour les droits humains sur Facebook.

« Cher citoyen marocain, tu es juste en liberté provisoire. Profite des miettes de liberté que tu vis encore », ironise Khaoula sur le fil du hashtag. Un chroniqueur sur le portail d’information Goud a même estimé que cet avant-projet de réforme s’inscrit dans l’esprit des doctrines de Daech.

Sur le réseau de partage d’images Pinterest, un graphiste tourne en dérision « les différents moyens qui peuvent vous mener à Oukacha », comparant les articles de l’actuel Code pénal avec les nouveautés du nouvel avant-projet de réforme. Si certaines peines de prison ont été revues à la baisse, l’infographie montre que les amendes ont augmenté. Si une personne arrêtée en état d’ébriété publique peut actuellement écoper d’une amende « de 150 à 500 dirhams », pouvant être doublée en cas de tapage, le texte de Mustapa Ramid prévoit « entre 2 000 et 10 000 dirhams » d’amende. Il en est de même pour la consommation de substances illicites (drogues) qui expose le « coupable » à une amende de « 5 000 à 10 000 dirhams ».

La société civile monte au créneau : « C’est de l’amateurisme »

Même son de cloche auprès des spécialistes et des associations. « C’est de l’amateurisme », s’insurge Mounir Bensalah, président de l’Association Anfass, qui a été l’une des premières à publier un communiqué dénonçant ce projet de loi. Pour le militant, si ce projet de réforme « apporte de petites choses, comme les peines alternatives et l’amélioration des articles sur le mariage forcé ou le viol », sur d’autres points « il n’est pas en harmonie avec l’évolution de la société marocaine ».  

Mounir Bensalah, comme de nombreux internautes, dénonce aussi l’utilisation « d’expressions bateau ». « Que veut dire sérieusement l’ébranlement de la foi du musulman ? », demande le président de l’association.

Une loi sur le harcèlement « inapplicable » ?

Pour Michèle Zirari-Devif, juriste, spécialiste du système pénal marocain et secrétaire-générale adjointe de Transparency Maroc, ces formulations « équivoques » peuvent mener à plusieurs interprétations et donc à des jugements aléatoires. « Avant de sortir une loi, il faut penser à la possibilité de son application », explique-t-elle en évoquant notamment les nouvelles dispositions concernant le harcèlement sexuel.

L’article 503 considère coupable de harcèlement sexuel « toute personne qui a harcelé autrui dans les lieux publics, avec des comportements, paroles et gestuelles de nature sexuelle à des fins sexuelles ». Pour la juriste, « cette loi est inapplicable ». « Comment une femme harcelée dans la rue pourra porter plainte contre un inconnu qui l’a dérangée sur la voie publique ? », s’interroge Michèle Zirari-Devif, qui estime que ce type de lois, en plus d’être difficilement applicables, peuvent ouvrir la voie à plusieurs détournements et interprétations.

Un « petit dépoussiérage »

Parmi les articles qui ont suscité le plus de réactions sur la toile, figure aussi l’article 420, qui n’a pas été supprimé du projet de réforme. Ce dernier excuse « le crime d’honneur ou passionnel ». Il stipule qu’un « membre de la famille » (homme ou femme) qui a surpris son conjoint en train de le tromper au sein du domicile conjugal peut être excusé pour des coups « portés sans intention de donner la mort, même s’ils l’ont occasionnée ». « C’est une loi qui aurait pu passer en 1962, mais ce n’est pas excusable en 2015 », commente Michèle Zirari, pour qui ce projet de réforme est un « petit dépoussiérage » et non une réelle refonte du Code pénal.

L’article 420 existe déjà dans l’actuel législation, mais évoque « le chef de famille » suite à une précédente réforme de 2003 (auparavant, seul le mari était excusé). Cette mouture étend donc l’excuse du crime d’honneur à l’ensemble du foyer.

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La peine de mort en contradiction avec la Constitution ?

Si les délits punis par la peine de mort ont été réduits au nombre de 11, pour Mounir Bensalah, ce n’est pas suffisant. « La peine de mort ne représente en rien l’esprit de justice, c’est un esprit de vengeance qu’elle cautionne », explique le président d’Anfass, qui appelle à l’abolition complète de la peine de mort du Code pénal marocain. L’acteur associatif estime que cette loi « est contradictoire avec le texte de la Constitution de 2011 qui garantit le droit à la vie » mais aussi avec les conventions internationales signées par le Maroc en matière de droits humains.

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Enfin, Mounir Bensalah dénonce le peu d’avancées du côté des libertés individuelles. Si la Constitution de 2011 garantit la liberté de culte, l’avant-projet de réforme du Code pénal introduit « l’offense aux religions » (article 219) passible de cinq ans de prison. « Ce qui me dérange, c’est la possibilité d’interprétation large de ces articles », analyse le président d’Anfass. Pour lui, les dispositions relatives aux  libertés publiques « ne devraient pas être incluses dans le Code pénal » mais plutôt dans un texte incluant « les articles portant sur les libertés ». Idem pour les textes régissant les associations ainsi que leur financement, qui gagneraient à être séparés dans un texte régissant les droits de ces organismes.

Lire aussi:  Vers un Code pénal plus sévère en matière de harcèlement sexuel ?

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