L'agriculture, niche fiscale justifiée?

Le secteur agricole profite d'un régime fiscal spécifique. Un manque à gagner pour l'Etat d'après certains, une manière de protéger les petits producteurs pour d'autres.

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Aziz Akhannouch, ministre de l'Agriculture. Crédit: Yassine Toumi.

Le Salon international de l’agriculture du Maroc (Siam) s’est achevé le 3 mai. Le ministre a annoncé de très bons chiffres, notamment pour le secteur céréalier, qui devrait afficher un niveau record de récolte pour la saison 2014-2015. Des chiffres a priori positifs pour les exportations et l’emploi. Et pour les caisses de l’Etat?

Le secteur constitue encore une niche fiscale. Les entreprises d’agriculture produisant de l’alimentation humaine ou animale sont en effet exonérées d’impôt sur les sociétés. L’arganier ou d’autres cultures de plantes destinées à la médecine ou à la cosmétique ne sont donc pas exonérées. Côté élevage, les secteurs des bovins, ovins, caprins et camélidés bénéficient de ce cadeau fiscal.

Fin de l’exonération pour les grosses exploitations…

L’exonération totale instaurée en 1984 et reconduite à plusieurs reprises doit prendre fin en 2020. A partir de cette date, les exploitations affichant un chiffre d’affaires de plus de 5 millions de dirhams devront s’acquitter d’un impôt fixé à 17,5 % les cinq premières années puis 30 % ensuite (le taux appliqué aux sociétés des autres secteurs). Cette mesure est mise en place de manière progressive et a donc déjà commencé à être appliquée pour les entreprises réalisant des chiffres d’affaires supérieurs à 35 millions de dirhams.

… qui représentent moins d’1 % du secteur

Mais en réalité cette fin de l’exonération concerne très peu d’exploitations et ne devrait ainsi pas beaucoup rapporter à l’Etat, d’après certains analystes. « Cette mesure est une tromperie. Selon le dernier recensement, seules 2 000 exploitations sur 1,5 million seraient concernées à l’horizon 2020 », relativise l’économiste Najib Akesbi. En plus, d’après lui, ces sociétés vont sans doute sous-déclarer leurs revenus, « parce que ces grandes exploitations disposent de tous les moyens nécessaires à l’évasion fiscale et peuvent ainsi présenter les résultats qu’ils souhaitent ». Bref, selon lui : « La situation est encore plus grave maintenant. Avant 2014, l’exonération était temporaire alors que maintenant, les entreprises à moins de 5 millions de dirhams ne sont définitivement plus concernées par l’impôt ».

D’après les calculs de l’hebdomadaire Challenge, à partir de 2020, l’Etat pourra tout de même récupérer 90 % du montant des subventions allouées au secteur. Le montant des subventions directes (qui s’inscrivent surtout dans le cadre du Fonds de développement agricole) accordées aux agriculteurs au titre de la campagne agricole 2014-2015 s’élève à 2,7 milliards de dirhams, d’après les chiffres annoncés par Aziz Akhannouch, ministre de l’Agriculture.

Un privilège justifié ?

« La majorité des producteurs arrivent à peine à joindre les deux bouts, les petites et moyennes entreprises constituent de vrais gisement d’emploi,  il est donc juste et normal de n’imposer que les plus gros », estime un producteur de tomates interrogé sur la question. D’ailleurs, il nous explique que « l’Etat ponctionne l’agriculture de 36 000 autres manières, comme par exemple avec la TVA, que nous devons payer sur les produits que nous achetons mais que nous ne récupérons pas puisque nous sommes considérés comme des consommateurs finaux et non des intermédiaires ».

Le producteur de tomates contacté par Telquel.ma paiera l’impôt sur les sociétés à partir de l’année prochaine, et trouve cela justifié, mais espère bien en profiter pour réclamer ses droits : « Il y a beaucoup de problèmes à résoudre, comme celui de la facturation. Nous achetons à des agriculteurs communaux, notre fumier par exemple, qui n’ont pas de patente et ne sortent pas de facture. On ne peut donc pas justifier certaines dépenses », déplore-t-il.

Boujemaa Gueghlan, de Terre humanisme Maroc (association prônant l’agro écologie), est en contact quotidien avec de petits agriculteurs. Pour lui aussi l’exonération est justifiée. Il admet qu’il existe des subventions, mais nous explique que les petits producteurs en profitent peu. D’après lui, les concernés n’en font même pas la demande, tellement les procédures leur paraissent longues et compliquées. Dommage, étant donné que toutes les exploitations  de moins de cinq hectares peuvent pourtant se voir financer 100 %  de l’installation d’un système d’irrigation ou de pompage.

Un manque à gagner certain mais difficile à estimer

Il serait intéressant d’imaginer combien le fisc pourrait collecter si toutes les exploitations (ou du moins la majorité d’entre elles) étaient imposées. Mais malheureusement, cette science-fiction est délicate à mener. Difficile en effet de trouver le résultat d’exploitation, la valeur ajoutée ou même le chiffre d’affaires de ces entreprises, étant donné qu’exonérées, elles n’ont encore rien eu à déclarer. D’après les estimations relayées par certains journaux, le manque à gagner avoisinerait les 4,2 milliards de dirhams par an.

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