Fuite de capitaux: une amnistie financière, et après?

L’opération d’amnistie financière présentée comme une réussite risque de se transformer en grand pardon inutile si d’autres outils ne sont pas mis en place pour dissuader les Marocains de placer leur argent à l’étranger.

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Crédit : Martin Kalfatovic/Flickr.

Hicham El Moussaoui, professeur d’économie à l’Université Moulay Slimane de Beni Mellal est directeur de Libre Afrique, un site d’inspiration libérale en matière d’économie qui traite de la question du développement de l’Afrique francophone. Pour lui, les Marocains paient trop d’impôts et c’est principalement pour cette raison qu’ils placent leurs capitaux à l’étranger.

Il explique que l’amnistie financière réalisée en 2014 n’aura servi à rien si d’autres outils ne sont pas mis en place pour libéraliser progressivement la politique de changes et dissuader les Marocains de placer leur argent à l’étranger. Conscient qu’une libéralisation totale des changes n’est pas possible pour le moment, il évoque des outils à mettre en place permettant, selon lui, de limiter la fuite des capitaux.

Telquel.ma : Comme expliquez-vous la fuite des capitaux du Maroc ?

Hicham El Moussaoui : Si les capitaux fuient à l’étranger c’est qu’il y a trop de contraintes à l’intérieur, en l’occurrence, une pression fiscale trop importante, aussi bien pour les investisseurs que pour les particuliers. Les taux sont très élevés par rapport à la moyenne régionale [lire le rapport du FMI, la page 39 entre autres, pour plus de nuances et précisions, ndlr]. En plus, au Maroc, la fiscalité est inéquitable (avec l’impôt sur les sociétés qui ne frappe que le formel par exemple) et comporte un problème de légitimité. Les contribuables n’ont pas de preuve que l’impôt est utilisé à bon escient et a un impact sur leur vie quotidienne. Puis il y a aussi le pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale, qui conduit à la corruption. Toutes ces raisons nourrissent la tentation et alimentent la fuite des capitaux. Bref, on parle de paradis fiscaux mais quand on parle de paradis, l’enfer n’est jamais très loin…

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Que pensez-vous de l’opération d’amnistie financière menée en 2014 ?

Quand elle a été annoncée je me suis dit que c’était une initiative intéressante, mais on attendait la révolution, alors que ce n’est toujours pas le cas. L’amnistie ne règle pas les problèmes structurels, qui ne peuvent pas être résolus par une opération sporadique. Si le terreau reste, les comportements resteront les mêmes. Bien sûr, la libéralisation totale n’est pas possible, il faut y aller progressivement, mais le rythme est lent. On avait annoncé l’indexation de la dotation touristique sur l’impôt sur le revenu par exemple, mais aujourd’hui, c’est le calme plat. Donc finalement, une opération d’amnistie sans réforme est seulement un aveu d’impuissance de l’administration fiscale. Jaouad Hamri [dernier directeur de l’Office des changes, parti en avril 2015, remplacé pour le moment par un intérimaire, ndlr] avait une vision, dommage qu’il ne soit pas resté.

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D’autres mesures ont été prises pour accompagner cette amnistie. Ce n’est pas suffisant d’après vous ?

Il y a eu une bonne rationalisation de la jungle réglementaire. Le document est passé de 800 pages à 200 par exemple, ce qui prouve bien qu’il y avait des règles superflues. Les opérations courantes sont presque libéralisées aujourd’hui. En revanche, pour les comptes de capitaux, il y a encore beaucoup de restrictions et d’obligations préalables.

Comment éviter la fuite des capitaux de manière plus sereine alors ? Avez-vous des idées d’outils simples à mettre en place en attente de la libéralisation totale que vous préconisez ?

On pourrait arrêter d’assimiler les Marocains résidents à l’étranger (MRE) aux fraudeurs. Normalement, ces personnes n’ont aucune intention de faire de l’évasion fiscale, il faut donc faire une distinction. Les MRE doivent bénéficier d’un régime fiscal différent puisqu’ils ne se trouvent pas dans la même situation et que normalement l’impôt s’impose là où le bénéfice est créé. Il faut même inciter les MRE à investir. 10 % du PIB national est issu de leurs transferts mais cette manne est souvent destinée à la consommation. Il existe des zones franches pour inciter les entreprises étrangères à venir pourquoi ne pas faire la même chose avec les MRE ? Autre idée : les Marocains ont dû rapatrier 75 % de leurs avoirs liquides à l’étranger sur un compte marocain [le reste a du être cédé sur le marché des changes contre des dirhams, ndlr], pourquoi ne pas proposer une rémunération de ces comptes ?

Aussi, nous n’avons pas assez de produits financiers attractifs. Si nous arrivons à offrir des placements plus rentables et moins risqués que l’immobilier, des actions et obligations par exemple, les Marocains en profiteront. Cela va avec une offre de produits bancaires plus concurrents. Ensuite, il faudra penser aux réformes structurelles : refonte du système fiscal et régime de taux de change flexible principalement.

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