Ce que le CESE reproche à la gestion déléguée

Investissements, qualité des services, marges... le CESE passe au peigne fin la gestion déléguée et recommande plus de suivi, de contrôle, et de transparence pour les usagers.

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Alors qu’à Tanger, la révolte des bougies contre Amendis a placé la gestion déléguée au cœur de la polémique, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a, le 26 novembre, présenté et discuté son avant projet de rapport sur la gestion déléguée. Le document revient sur la législation en vigueur, fait l’état des lieux chiffrés de la gestion déléguée au Maroc, liste les problèmes qu’elle peut poser et propose des outils pour les éviter.

Le diagnostic du CESE se rapproche de celui de la Cour des comptes, publié dans son rapport consacrée à la gestion déléguée de 2014. Ce pré rapport note que la gestion déléguée a permis de professionnaliser le secteur. En revanche, il critique le non respect du cahier des charges, en matière de qualité de service public rendu ou d’investissements notamment. Le CESE relève également des dysfonctionnements dans la gestion du fonds de travaux : les délégataires ne reversent pas, dans le fonds, certaines recettes collectées revenant à l’autorité délégante et la rémunération du délégant se trouve alors amoindrie, ces fonds ont parfois été utilisés pour payer des arriérés des cotisations ou encore, des prélèvements sur ces comptes sont opérés par le délégataire sans recueillir l’approbation préalable de l’autorité délégante contrairement à ce que prévoit le contrat.

Le Conseil pointe du doigt les problèmes de conflits d’intérêts : les délégataires sous traitent parfois à des entreprises leur appartenant. Aussi, les contrats ne sont pas contrôlés : quand il s’agit d’audit extérieurs, l’entreprise les conteste, et concernant l’instance chargée du suivi, elle n’a pas assez de moyens et n’est pas suffisamment indépendante de l’entreprise.

Le CESE relève la faute des collectivités territoriales : elles n’ont plus ne respectent pas leurs engagements, en matière de dette et de mobilisation du foncier nécessaire pour les investissements notamment.

Quelles solutions propose le CESE ?

De nouveaux textes juridiques : adopter la charte nationale du service public comme le prévoit l’article 157 de la constitution, réaliser une réforme globale des textes juridiques avec un même texte comprenant toute la commande publique (gestion déléguée, partenariats publics privés, marchés publics…), adopter les sept arrêtés manquant toujours à la loi régissant la gestion déléguée.

De nouvelles institutions : création d’un observatoire de la gestion déléguée et d’un centre d’expertise et de compétences de la gestion déléguée, à l’instar de ce qui a été fait au sein du ministère de l’Economie et des Finances pour les partenariats publics privés.

Lire aussi : Le PJD veut créer des agences spécialisées dans la gestion déléguée

Ne pas tout le temps choisir la gestion déléguée : réaliser une étude pour déterminer le choix rationnel du mode de réalisation du service public (et le cas échéant, choisir autre chose que la gestion déléguée)

Des contrats plus précis : passer des contrats fondés sur une logique de flux financiers à une logique d’objectifs (de qualité, de couverture…), renforcer la dimension sociale dans les contrats (nombre d’emplois créés, respect du droit du travail…), définir la répartition des risques entre délégants et délégataires (suite à une analyse approfondie des risques industriels et commerciaux), prévoir le recours au principe de substitution en cas de défaillance de l’opérateur.

Implication des citoyens : soumettre le recours à la gestion déléguée localement à la population, sensibiliser les citoyens à l’utilisation des ressources et les économies qui peuvent être réalisées, clarifier et expliquer aux consommateurs les tarifs et les modes de calcul.

Un meilleur contrôle : encourager le développement de cabinets privés spécialisés dans l’accompagnement de collectivités territoriales pour les aider à la contractualisation et au suivi de la gestion déléguée, respecter les échéances de révision de contrat, assurer une meilleure gouvernance des fonds de travaux.

Mais aussi : Penser à la création des sociétés régionales multi-services (autre genre de régie), inciter le délégataire à recourir à des entreprises locales pour la sous traitance, encourager l’émergence d’acteurs nationaux pour la réalisation de la gestion déléguée.

La gestion déléguée en chiffres

Eau électricité et assainissement liquide : 

• 4 entreprises (et 12 régies) : Lydec, Redal, Amendis Tanger et Amendis Tétouan

• 2 milliards de dirhams de capitaux propres du début jusqu’à 2013

• 32 millions de dirhams d’investissements jusqu’en 2013

• 11 milliards de dirhams de chiffre d’affaires en 2013

• 37 % du volume d’eau total délivré au Maroc

 

Transports publics urbains : 

• 36 entreprises privées

• 260 communes couvertes

• 1,8 milliard de chiffres d’affaires en 2013

 

La collecte des déchets et le nettoyage : 

• 15 entreprises privées

• 2 milliards de dirhams en 2013

• 74 % de la population urbaine concernée

• 80 % de la collecte des déchets assurée par ces entreprises

• 3 milliards de dirhams d’investissements.[/encadre]

La gestion déléguée, c’est quoi ?

La gestion déléguée est réglementée par la loi n°54-05 de 2006 mais existe depuis plusieurs décennies au Maroc. Elle consiste en la délégation d’un service public relevant de la prérogative des collectivités territoriales (le délégant) à une entreprise privée (le délégataire). Cela est différent du partenariat public-privé, qui relève de l’Etat et non des collectivités. La gestion peut comprendre la conception, la construction ou la réhabilitation, l’exploitation commerciale, l’entretien, la maintenance et le financement du service public (peut être assuré conjointement par les habitants et l’Etat), qui est payé par les usagers. Dans le détail, ce contrat peut être de service, de gestion ou d’affermage.

Concernant le financement, il peut émaner du fonds de l’entreprise (capitaux propres, emprunts, autofinancement dégagé par l’exploitation), mais aussi du fonds dits de travaux, qui est tenu par le délégataire et géré pour le compte de l’autorité délégante, alimenté par les participations au premier établissement (PPE) liées au raccordement et par les recettes de la vente du matériel récupéré sur le réseau après renouvellement).

Au Maroc, cette gestion déléguée concerne la distribution de l’eau, celle de l’électricité, l’assainissement liquide, la propreté (collecte des déchets, nettoyage et gestion des décharges) et les transports publics (bus). Tous services confondus, les entreprises délégataires ont réalisé un chiffre d’affaires de 15 milliards de dirhams en 2013. A la même date, elles desservaient 13,5 millions de personnes, employaient 35 000 salariés. Depuis le début (années 1990) et jusqu’en 2013, elles ont investi 42 milliards de dirhams.».[/encadre]

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