La classe politique divisée sur l'abaissement du seuil électoral

“Balkanisation” du champ politique, accès des petits partis politiques au parlement, affaiblissement de la majorité gouvernementale... De nombreuses questions se posent suite à la proposition de loi relative à l’abaissement du seuil électoral.

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La Chambre des représentants du Parlement. Crédit : Yassine Toumi.

Dans le cadre du projet de loi relatif à la Chambre des représentants, le ministre de l’Intérieur Mohamed Hassad a procédé à un changement au niveau du seuil électoral pour les prochaines élections législatives du 7 octobre. Le ministère de l’Intérieur prévoit d’abaisser le seuil électoral de 6% à 3%. Cette proposition, qui a reçu l’aval du chef du chef du gouvernement, sera discutée et pourrait être adoptée au Conseil du gouvernement du 14 avril.

«Benkirane nous a expliqué lors d’une réunion du secrétariat général que cette proposition du ministère de l’intérieur a été approuvée par lui afin de répondre à la demande des petits partis politiques et de l’USFP et pour ne pas accuser le PJD de vouloir monopoliser le champ politique et de discréditer les petits partis», nous confie une source au PJD.

Le seuil électoral, c’est tout simplement le nombre minimum de voix qu’un parti doit obtenir dans un scrutin pour aspirer obtenir un siège. Plus il est bas, plus il ouvre la voie à une multiplication de prétendants et, in fine, à un morcellement du parlement dans lequel le nombre de partis représentés devient plus important.

Bien que faisant parti de la majorité gouvernementale, le parti de la lampe est pourtant l’un des plus fervents opposants à ce projet de loi. «Nous ne savons pas ce qui a poussé le ministre de l’Intérieur à faire cette proposition de loi mais, une fois cette proposition arrivée au parlement, nous nous concerterons avec les autres partis de la majorité pour empêcher son adoption» nous révèle Abdellah Bouanou, président du groupe parlementaire du parti de la lampe.

Affaiblir la majorité gouvernementale ?

A en croire un des députés de ce parti, l’adoption de cette loi affaiblira le parti qui sortira vainqueur des prochaines élections législatives. «Le niveau du seuil électoral affecte les alliances entre les partis politiques et la construction d’une majorité à la Chambre des représentants. L’abaissement du seuil réduira les écarts (en nombre de sièges, ndlr) entre les différents partis politiques et les négociations permettant de construire une majorité parlementaire seront plus difficiles. Il sera également plus difficile, pour le parti au pouvoir, d’imposer une ligne directrice à la majorité gouvernementale» constate Abdelaziz Aftati, député du PJD.

Un constat partagé par le deuxième parti le plus important au parlement, l’Istiqlal. «Ce texte peut affecté le jeu des alliances. Si les scores entre les différents partis sont proches, chacun cherchera à imposer sa vision. C’est pour cette raison que nous ferons en sorte de maintenir le seuil électoral à 6%» nous confie Adil Benhamza, porte-parole du parti de la balance. Une déclaration qui signifie que les deux partis les plus représentés au parlement, 167 des 395 sièges de l’hémicycle, sont d’ores et déjà opposés à la proposition de loi.

Équilibre des courants au parlement ?

L’abaissement du seuil électoral semble cependant arranger les affaires de certains partis à la popularité déclinante. C’est notamment le cas de l’USFP, qui souhaitait élever ce seuil à 8% lorsqu’il était dans la majorité et n’a cessé d’appeler à son abaissement depuis qu’il est dans l’opposition. Le parti de la rose, qui occupe 39 des 395 sièges que compte la première chambre, justifie son revirement par la «prédominance d’un seul courant» au parlement «où l’idéologie de la gauche n’a plus son poids.»

«Le champ politique a besoin de plus de formations politiques bénéficiant d’une crédibilité et portant en son sein un projet sociétal clair. Avec l’abaissement du seuil, il y aura une vraie pluralité et cela permettra de rationaliser le paysage politique », soutient Hanane Rihab, membre du bureau politique de l’USFP. Et d’ajouter que cette mesure mettrait fin «à l’hégémonie des grands partis et donnera la chance aux petits partis, qui portent aussi des projets sociétaux importants, d’être présents, de représenter une frange de Marocains et de créer un vrai débat à la Chambre des représentants.» 

Même son de cloche du côté du Parti socialiste unifié (PPS) qui n’est pas présent à l’hémicycle dans la mesure où il avait boycotté les législatives. «La baisse du seuil électoral répond de manière relative à nos revendications. Cette proposition permettra d’avoir plusieurs sensibilités au sein du parlement au lieu que d’avoir que des pôles», indique Nabila Mounib, secrétaire général du PSU à Assabah dans son édition du 13 avril. De même, elle révèle que cette baisse «jouera relativement sur les résultats de la liste nationale qui recueille un grand nombre des voix. Ce qui permettra une meilleure représentativité des listes féminines.» 

Vers la “balkanisation” de la politique ? 

L’abaissement de ce seuil électoral permettra certes l’accès à d’autres partis au parlement mais pourrait bien provoquer une certaine «balkanisation» dans un paysage politique qui compte presque quarante partis. Un risque qui n’est pas envisageable pour le président du groupe progrès et socialisme à la chambre des représentants, Rachid Rokbane, qui ne s’oppose pas à l’abaissement du seuil.

«La balkanisation existe quand un parti ne peut pas constituer une majorité au parlement comme ce fut le cas dernièrement en Belgique et en Espagne. Or, cette option n’est pas envisageable au Maroc dans la mesure où les grands partis arrivent à s’entendre pour construire une majorité», assure le représentant de la huitième formation politique la plus présente à la première chambre.

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