A contre-courant. Le grand écart diplomatique du Maroc

Par Omar Saghi

Les États-Unis, par l’intermédiaire de leurs institutions, nous reprochent nos atteintes aux droits de l’homme. La France, si l’on croit le succès de Loubna Abidar à la télévision et dans l’édition, semble considérer le Maroc comme un pays rétrograde et décadent à la fois. Voilà où nous situent nos deux plus grands alliés occidentaux sur l’échelle des valeurs universelles, très bas. Que pensent Washington ou Paris de Téhéran, de Pékin ou, plus proche, d’Alger ? Qu’importe, parce que, s’agissant de pays indépendants, voire hostiles, l’avis de l’adversaire occidental compte peu. Bref, l’Amérique comme l’Europe occidentale tapent, et tapent très fort, sur leurs plus proches alliés. L’allié extra-occidental, aussi proche soit-il, est toujours au bord du précipice diplomatique. Sitôt son utilité politique réduite, son étrangeté culturelle réapparaît.

Je ne sais pas ce que pense la Russie de l’Iran, mais il me semble peu probable qu’une actrice iranienne soit en ce moment en train de jouer sur les plateaux télé russes la Persane libérée du harem oriental. Certes, il s’agit là de pays autoritaires, alors que l’Occident libéral ne châtierait selon l’adage que ceux qu’il aime bien. C’est par amitié pour Rabat que Washington épingle la moindre défaillance, c’est par amitié pour les Marocains que la télévision française expose les marges de leur société. On a beau se convaincre de cet argument souvent avancé, on ne peut que rester sceptique. Le rôle d’un Chalghoumi, crypto-imam ignare, sur la scène médiatique française, en dit long sur la vision du musulman en France. Loubna Abidar, malgré elle sans doute, alimente cette veine. Quant aux rapports américains, ils disent qu’au-delà du cercle très proche (la Grande-Bretagne, et peut-être l’Europe occidentale), il n’y a pour Washington que des tribus sauvages à traiter selon le pragmatisme marchand mâtiné de morale, mélange bien connu des Anglo-saxons.

La Russie, comme la Chine, comme l’Iran, sont des pays où la notion d’État est encore très forte. La diplomatie, pour eux, s’exerce d’État à État, entre États, contre d’autres États. Que pensent les Russes des Iraniens ? Les Chinois de l’islam ? Les Iraniens de la liberté de mœurs des Russes ? Questions écartées du champ diplomatique.

L’Occident mêle la morale et la culture (donc, parfois, le moralisme autoritaire et le racisme colonial) à sa diplomatie. De plus en plus. Les pays extra-occidentaux les plus proches de l’Occident en font les frais. Le Maroc encore plus que d’autres, parce qu’il doit par ailleurs gérer son alliance historique avec l’Arabie Saoudite. On savait que les Saoudiens nous considéraient comme des dépravés demi-païens. Voilà que l’autre extrême de notre éventail diplomatique, Paris et Washington, nous reprochent la pénalisation de l’apostasie ou de l’homosexualité.

Alors que faire ? Changer d’alliés ? Cette solution au paradoxe diplomatique marocain est peu probable. La consolidation des relations avec les Russes ou les Chinois ne va pas suppléer l’alliance occidentale. Il me semble que le pays suit depuis plusieurs années une autre voie, très sinueuse. À l’Occident, il va donner des gages juridiques de plus en plus forts : abolition des lois liberticides, dissociation de la religion et des normes civiles, etc. Quant à l’autre bord de l’alliance, l’Arabie Saoudite, le Maroc lui donne de plus en plus d’espace dans la société. Vers où ira le pays, tiraillé entre deux alliances culturellement invasives, l’occidentale et la saoudienne ?