Abou Hafs : « L’ijtihad en matière d’héritage est une nécessité »

Abdelwahab Rafiki, alias Abou Hafs, ancien détenu salafiste, appelle aujourd’hui à l’ouverture du débat sur l’égalité en matière d’héritage car « les sociétés qui n’innovent pas en proposant des solutions ne peuvent pas évoluer. »

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Abou Hafs Crédit: Yassine Toumi

Est-ce que les dispositions religieuses permettent l’égalité dans l’héritage ?

Avant de parler des dispositions détaillées sur l’héritage, il est important de revenir aux visées et aux fins de la chariâa (Maqasid chariâa). Ces derniers font autorité contrairement aux détails des dispositions et ne sont pas modulables. Les détails des dispositions peuvent être influencés par les contextes politique, social et économique et, dans ce cas, la règle originale fait que les femmes sont égales aux hommes dans les dispositions comme le souligne le hadith. Donc le principe de base est l’égalité, tandis que pour les détails des dispositions, il est important d’ouvrir le débat, car il faut tenir compte de ces variables mais aussi des contextes. Ce débat devrait s’étendre au système entier (Mandouma), en prenant en compte des changements du statut de la femme dans la famille, et aussi l’évolution du concept de la tribu et de la ligue. En marge de cela, il faut garder en tête le passif de la femme en termes d’oppression et d’injustice au cours des derniers siècles.

Le verset 180 de sourate Al Baqara* prescrit l’usage de la wasiya (legs testamentaire). Certains ouléma estiment que cette sourate prime en matière d’héritage et que c’est seulement en cas d’absence de testament qu’on peut recourir aux dispositions de sourate Nisâa. Qu’en pensez-vous ?

La wasiya est une disposition coranique qui, contrairement à ce qu’avancent certains ouléma, n’a pas été abrogée (naskh). La wasiya est l’une des solutions à laquelle on peut avoir recours pour résoudre certaines problématiques liées à l’héritage. À titre d’exemple, en cas de décès d’un homme ayant une fille, je ne peux pas accepter qu’un cousin lointain partage l’héritage avec cette fille qui a veillé sur lui et l’a pris en charge de son vivant. Ce type de cas me pousse à appeler à l’ouverture d’un débat public autour de la question de l’héritage, auquel participeront toutes les composantes religieuses, juridiques et intellectuelles concernées.

On peut donc dire que vous êtes pour l’égalité dans l’héritage?

L’égalité en héritage est effective dans plusieurs cas, je dirais même que, dans certains cas, la femme hérite plus que l’homme. Maintenant pour ce qui est du cas où l’homme hérite le double de la femme, cela nécessite l’ouverture du débat approfondi. L’héritage était subordonné à la pension (nafaqa) et on ne peut pas le discuter aujourd’hui sans discuter la pension.

Pourquoi pensez-vous que les ouléma n’appellent pas à l’ijtihad dans l’interprétation religieuse ?

Ceux qui ne le font pas ont intérêt à ce que la situation ne change pas. L’ijtihad en matière d’héritage est une nécessité. Les sociétés qui n’innovent pas en proposant des solutions ne peuvent pas évoluer.

* « On vous a prescrit, quand la mort est proche de l’un de vous et s’il laisse des biens, de faire un testament en règle en faveur de ses père et mère et de ses plus proches. C’est un devoir pour les pieux »

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