Zakaria Boughrara, le propagandiste marocain du salafisme radical

C'est une figure du salafisme dans sa version radicale. Zakaria Boughrara refuse les compromis et bien qu'il ne soit pas un cheikh, il se fait un nom de leader. Un parcours en butte à la politique de main tendue de l'État.

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Pour le grand public, c’est un quasi inconnu. Dans le mouvement salafiste marocain en revanche, c’est une figure. Zakaria Boughrara incarne, pour l’aile dure du mouvement d’obédience djihadiste, l’intransigeance face à l’État et ses écrits circulent activement chez les partisans de l’organisation terroriste Daesh.

Une première fois, il est arrêté en 2003, dans la foulée des attentats du 16 mai pour incitation à commettre des crimes et délits au moyen d’écrits, de collecte et de gestion de fonds. « Boughrara était déjà un partisan du jihad identifié » confie Abdellah Rami, chercheur. Selon ce dernier, il suivait déjà l’évolution de la guerre d’Algérie depuis sa ville d’Oujda, se sentant proche des Groupes islamiques armés (GIA) algériens. Il passe dix ans en réclusion alors que le jihadisme ne cesse de muer. « C’est un ancien sympathisant de la Chabiba islamiya, un ex-qotbiste (en référence à Sayed Qotb, théoricien du jihadisme issu des Frères musulmans) converti aux idées du jihad globalisé » croit savoir Mohamed Masbah, chercheur au Carnegie Middle East Center.

Pas de rédemption

Mais à sa sortie en 2013, le quadra Boughrara n’est pas de ceux qui décident de faire leur morajaa —aggiornamento, NDLR— pour se réintégrer. Et lorsque le groupe État islamique annonce le califat auto-proclamé, il décide de les soutenir. Il rejoint la frange la plus radicale du mouvement, alors que dans les prisons, beaucoup préfèrent s’en tenir à la fidélité à Al-Qaïda et à dénoncer Daesh, se garantissant par là même un moyen de négocier. Sur les réseaux sociaux, il célèbre le groupe terroriste EI. Ses propos lui valent d’être de nouveau arrêté et de repartir en prison, en octobre 2014, entre Salé et Tiflet. « C’est quelqu’un d’un peu têtu », glisse pudiquement un ancien prisonnier qui l’a croisé.

Sa « popularité » est palpable. Lorsqu’il entame une longue grève de la faim depuis son cachot en 2015, les clichés de son corps amaigri ont été partagés sur les réseaux sociaux et son nom devient un hashtag, relayé par de nombreux comptes de jihadistes marocains en Syrie. Boughrara, qui parvient à diluer de ses nouvelles et publier depuis la prison, devient pour eux le visage de l’intransigeance. À peu près un an plus tard, il est de nouveau libéré. Son corps est marqué par sa violente grève de la faim.

Un blogueur, pas un cheikh

Boughrara n’est pas un théologien. Il se perçoit plutôt comme un « journaliste » ou un « blogueur », hyperactif, plus prompt à la dénonciation qu’à l’argutie théologique. Il réagit par exemple à l’arrestation du salafiste libanais Ahmed Al Assir, diffuse des informations sur l’Iran chiite, critique la mondialisation. Un « propagandiste » pour Masbah. « Il écrit bien, il sait s’adresser à la base militante », affirme Abderrahim Mouhtad, ancien leader de la lutte de défense des prisonniers islamistes.

Un ancien prisonnier précise à quel point les relations entre lui et les grands chioukhs qui tâchent de pacifier leur relation avec l’État sont exécrables. « On ne peut pas trop dialoguer avec lui, il s’entête », affirme-t-il, sans vouloir s’attarder sur son cas. Boughrara critique vertement les repentis sur la base de réels différends mais aussi, selon plusieurs personnes, pour récupérer leurs ouailles. « Il y a un manque de leadership aujourd’hui, la plupart des chioukhs ayant peu ou prou quitté le jihadisme » remarque Masbah. Et d’ajouter : « Il y a donc des places à prendre ». Et Boughrara, par son activisme en ligne, joue des coudes. La politique de main tendue vers les figures du salafisme atteint là ses limites : il se trouve toujours une base dans le besoin de figures.

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