À contre-courant. La mauvaise éducation

Par Omar Saghi

Un rêve court les rues depuis un bon moment. Celui d’une éducation qui comblerait (enfin) les souhaits des parents, les aspirations de la nation, les désirs des enfants et des jeunes. Un rêve biface, comme Janus : il se projette dans le futur mais il rappelle, avec insistance, qu’il a existé dans le passé. Oui, pour ceux qui ne le sauraient pas encore, le Maroc a eu une éducation éclairée dans le passé, disons dans les années 1960-1970, une éducation saccagée par les politiques des années 1980. Les politiques partisanes qui ont arabisé les programmes, et les politiques de Hassan II, qui ont brisé les élans rationnels et réformateurs au profit de l’obscurantisme. Bref, il faut revenir au sillon fondateur, celui de l’après-indépendance, quand le Maroc avait de bons professeurs (il paraît qu’ils sont mauvais aujourd’hui), de bonnes classes de cours, de bons manuels et de bonnes chaises où on posait son derrière d’élève modèle.

Ce mythe (car il s’agit d’un mythe, comme on verra) a prospéré dans la génération qui a à la fois bénéficié de l’éducation des années 1960 et raté la réforme des années 1980, détruisant l’avenir de ses enfants. Par culpabilité et par projection, elle a décidé de gommer la réalité structurelle de l’école des années 1960 et de procéder à une critique psychologique très superficielle de l’école des années 1980-1990.

Si l’école des années 1960 était d’excellente tenue, en tout cas meilleure semble-t-il que l’actuel système scolaire public, c’est qu’elle s’adressait à une minorité. Les scolarisés marocains des deux décennies qui suivirent l’indépendance étaient une goutte d’eau dans l’océan d’analphabétisme de l’époque. Ils nous diront : oui mais… Il y avait de tout à l’école, des enfants de bourgeois et des enfants de concierges. Cette ritournelle est connue : la mixité sociale mythique des années passées est une déformation. Une classe d’école où 90% des élèves sont des enfants de vieilles familles urbaines n’est pas mixte, malgré le faire-valoir des 10% restants. Un système scolaire qui alphabétise 10% ou 20% d’une classe d’âge n’est pas performant, malgré la qualité de l’enseignement, naturel vu le nombre modique d’enfants scolarisés.

La réalité crue, ce n’est pas que l’arabisation, le refus de la philosophie, ou je ne sais quelle mauvaise volonté, ont détruit l’excellence passée de notre système scolaire, la réalité c’est que le Maroc a raté l’épreuve de la massification scolaire. Dans les années 1980-1990, il a fallu, pour la première fois, sérieusement, scolariser le maximum de la cohorte arrivée à l’âge scolaire. Et le pays a coulé sous l’effort. Trop d’élèves, pour peu de classes et peu d’enseignants. Et la chanson commença : avant c’était mieux, parce que les enseignants parlaient français, ou parce que les élèves étaient disciplinés, ou parce que les programmes étaient bons…

La vérité, elle est simple et triste : avant c’était mieux parce que la majorité des Marocains en âge d’aller à l’école trimaient dans les champs, pendant qu’une infime minorité de chanceux allait à l’école, pour ensuite, une génération plus tard, nous enfumer avec des histoires d’école marocaine d’excellence malheureusement détruite par l’obscurantisme, l’arabisation ou la sécheresse. Le Maroc des années 1960-1970 avait un mauvais système éducatif, pour cette simple raison : il ne s’adressait qu’à une minorité. Et cette minorité aveugle à sa chance nous braille sa nostalgie à longueur de journée : avant, quand j’étais seul à l’école, c’était mieux.