7 questions à une avocate pénaliste à Paris sur l'affaire Lamjarred

Quelle procédure a conduit à la mise en examen de Saad Lamjarred ? Comment va se dérouler la suite ? Le point avec Safya Akorri, avocate pénaliste au barreau de Paris.

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Crédit: Saâd Lemjerred/Youtube

Safya Akorri est avocate pénaliste au barreau de Paris depuis 2013, au sein du cabinet Akorri & Boutron-Marmion Associés. Pour Telquel.ma, elle détaille la procédure et les points de droit auxquels est soumis Saad Lamjarred, mis en examen pour viol aggravé.

Telquel : Que signifie être mis en examen ?

Safya Akorri : Lorsqu’il y a des indices « graves et concordants » à l’encontre d’une personne, elle est mise en examen. Une instruction judiciaire est ouverte et l’enquête se fait alors à charge et à décharge. C’est-à-dire que le juge répond à la fois aux demandes du procureur et de la défense pour engager des actes d’enquête. Le mis en examen a droit à un avocat, et la défense a accès au dossier d’instruction.

Immédiatement après la mise en examen prononcée par le juge d’instruction, et si le placement en détention provisoire est demandé par le juge d’instruction ou le procureur, le dossier passe devant un autre magistrat que l’on appelle juge des libertés et de la détention (JLD) qui a trois options. Le mis en examen peut être placé sous contrôle judiciaire, ce qui peut également impliquer une interdiction de quitter le territoire ou d’approcher la victime. Il peut également être assigné à résidence avec placement sous bracelet électronique. Enfin, dans l’hypothèse où aucune autre solution ne permet de garantir la représentation ultérieure du mis en examen devant le juge, il peut-être mis en détention provisoire, ce qui a été le cas pour monsieur Lamjarred. Dans le cas de M. Lamjarred, il semble assez logique que l’existence d’une procédure en cours à l’étranger dans laquelle le mis en examen a fui le territoire et refusé de se présenter à la justice ait poussé le JLD à estimer que seule la détention provisoire pourrait garantir le maintien de M. Lamjarred en France.

Ce qui est cependant étonnant est que, la solution du bracelet électronique avec assignation à résidence n’ait pas été retenue par le JLD. Il faut également savoir que dans ces affaires qui impliquent des personnalités étrangères, il arrive qu’il y ait des échanges au cours desquels le pays dont est issu le mis en examen apporte des garanties supplémentaires.

La défense a donc décidé de faire appel de cette ordonnance de placement en détention provisoire. Une audience aura lieu le 2 novembre. Que peut-elle en attendre ?

L’ordonnance de placement en détention provisoire rendue par le JLD peut effectivement être frappée d’appel. La chambre d’appel de l’instruction est alors obligée de se prononcer sous 10 jours. En fonction de ce que la défense va demander, la chambre peut décider d’une nouvelle mesure de restriction de la liberté, parmi lesquelles la détention provisoire, le contrôle judiciaire et l’assignation à résidence. Dans l’immense majorité des cas, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris procède à des confirmations des décisions qu’elle étudie. L’association des avocats pénalistes du barreau de Paris s’est d’ailleurs récemment réunie pour évoquer les problèmes liés à la défense devant cette chambre : s’il est théoriquement possible d’apporter de nouveaux éléments, dans les faits la chambre de l’instruction de la cour d’appel ne fait que confirmer la décision des JLD, étant ainsi souvent surnommée par les avocats la « chambre de la confirmation ».

Pour « viol aggravé avec violence », que risque Saad Lamjarred ?

Cela dépend du nombre de circonstances aggravantes qui sont retenues. 20 ans de réclusion criminelle sous l’emprise de l’alcool et/ou de stupéfiants. En ce qui concerne par ailleurs le délit de violences volontaires aggravées qui semble être retenu pour la mise en examen, la peine encourue dépend également du nombre de circonstances aggravantes retenues et de la gravité des violences. En tout état de cause, cette peine peut aller de 3 à 10 ans.

La thèse d’une « machination algérienne » vous parait-elle une ligne de défense à même de convaincre des juges parisiens ?

J’espère que ça n’a pas été plaidé devant le juge des libertés. Ce serait une énorme bêtise.

En 48 h de garde à vue, avant donc la mise en examen, il n’y a pas eu de confrontation entre l’accusé et la victime. C’est la procédure normale ?

Alors que la garde à vue a été prolongée, et qu’il a fait 48 heures en tout, c’est assez inadmissible. C’est le genre de choses qui font bondir un avocat de la défense. Ça veut dire qu’on met en jeu la liberté de l’accusé, sans avoir eu l’occasion de confronter les versions. La seule raison qui me semblerait valable serait que la partie plaignante n’était pas en mesure physique et psychologique de lui faire face.

À quoi ressemble une confrontation ?

Maintenant qu’il y a eu mise en examen, ça ne se passera plus devant les enquêteurs, mais devant le juge chargé de l’enquête, mais de la même manière. La partie civile et la défense seront convoquées en même temps chez le juge. Ils n’auront pas le droit de s’adresser la parole. Le juge leur fera confirmer à tour de rôle leurs précédentes déclarations et verra si l’une des deux versions est finalement abandonnée ou non.

De quels outils dispose la partie civile pour garantir l’anonymat de la victime ?

Aucun. Certes, la taille du Palais de Justice de Paris fait que par définition les justiciables anonymes entrent et sortent anonymement. De plus, la galerie de l’instruction n’est en théorie pas accessible aux journalistes. L’on sait en revanche qu’une partie des fuites de l’instruction à la presse peuvent venir directement des cabinets d’instruction. Quant aux avocats, il serait tout à fait regrettable que l’un d’eux diffuse le nom de la victime sachant qu’il y a clairement une volonté de cette dernière de préserver son anonymat. Pour répondre à votre question, maintenant que Me Dupond Moretti semble désigné dans ce dossier, je n’exclus cependant pas que cela arrive dans les jours qui viennent, pour exemple, dans le cadre de l’enquête concernant Éric Laurent et Catherine Graciet, il avait fait part de bien des détails d’enquête sur des plateaux de télévision, malgré le secret qui s’impose aux avocats.

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