Un manuel d'éducation islamique pousse les enseignants de philosophie à manifester

Les enseignants de philosophie mèneront des sit-in les 21, 22 et 23 décembre pour protester contre le contenu « diffamatoire » d'un chapitre du manuel d'éducation islamique de la première année du baccalauréat.

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Manuels scolaires d'éducation islamique révisés. (Image d'illustration) Crédit: Kaouthar Oudrhiri/TelQuel

Les manuels scolaires d’éducation islamique réformés font encore couler beaucoup d’encre. Cette fois, ce sont les enseignants de philosophie qui sont montés au créneau. Ces derniers ont décidé d’organiser des sit-in les 21, 22 et 23 décembre afin de protester contre le contenu d’un chapitre, jugé « diffamatoire » à leur matière dans le manuel de la première année du cycle du baccalauréat “Al Manar de l’éducation islamique”« La leçon intitulée “Philosophie et foi’” figurant dans ce manuel révisé présente la philosophie comme une matière d’impies et se positionnant contre l’islam. Le teneur de cette leçon excommunie notre matière, ce qui est à l’encontre de l’objectif de la révision de l’éducation religieuse », nous explique Abdelkarim Safir, secrétaire national de l’Association marocaine des enseignants de philosophie (AMEP). « On ne peut pas prêcher la haine et prétendre promouvoir la tolérance » a-t-il ajouté. Les sit-in nationaux prévus, à travers lesquels les enseignants de philosophie revendiquent le retrait du manuel en question, n’altéreront pas la tenue normale des cours. Ces protestations sont prévues pendant les pauses de récréation du matin et de l’après-midi.

« Ils ont le droit de protester et d’exprimer leur avis, mais la réponse du ministère a été assez claire dans son communiqué » nous explique une source au sein du ministère de l’Éducation nationale. En effet, le 19 décembre, le département de Rachid Belmokhtar a publié un communiqué explicatif. « Le réfèrent officiel de toutes les matières est le guide scolaire qui émane du ministère, dont les documents cadrent le travail éducatif (…) Le guide pour l’éducation islamique se réfère au principe de modération et du juste milieu, à même de répandre les valeurs de tolérance, de paix et d’amour » peut-on lire dans cette annonce. Le ministère de l’éducation nationale est catégorique : « Les documents officiels relatifs au sujet [le cours de “la philosophie et la foi”, NDLR] insistent sur le fait que la pensée philosophique “renforce le savoir et fait évoluer la pensée” et que la philosophie raisonnable et la vraie foi “ne sont pas antinomiques”», explique le document du ministère. Pour Abdelkarim Safir, « la réponse du ministère est une bonne chose en soi, mais n’évoque pas la question du retrait de ce manuel scolaire, qui contient des propos assez graves ». À ce sujet, notre source au ministère indique : « Pour l’instant, aucune décision de retrait n’a été prise.  Nous ne pouvons pas retirer un manuel du programme du jour au lendemain. La commission de révision devrait attester qu’il y a un dysfonctionnement pour pouvoir le faire ».

Ce qui cloche…

Dans le manuel « incriminé », on trouve des phrases pour le moins déroutantes. Dans un chapitre, on explique aux élèves de la 1ère année du cycle du baccalauréat que la philosophie est « une production de la pensée humaine contraire à l’islam » où on cite Ibn Salah Al Shahrazuri, un spécialiste irakien du hadith shafi’i, qui prétend que « la philosophie est l’essence de la dégénérescence. C’est une matière de confusion et d’égarement qui est motivée par la perversion et le blasphème. Celui qui se livre à la philosophie se détourne de la bonté des grands aspects de la charî’a, qui sont corroborés par des preuves ».

Extrait de "Al Manar de l'éducation islamique" de la première année du cycle baccalauréat. © DR
Extrait de “Al Manar de l’éducation islamique”, de la première année du cycle du baccalauréat. © DR
Extrait de "Al Manar de l'éducation islamique" de la première année du cycle baccalauréat. © DR
Extrait de « Al Manar de l’éducation islamique » de la première année du cycle baccalauréat. © DR

Bien que ces propos soient jugés « aberrants » par l’AMEP, son secrétaire national tient à ce qu’« aucune escalade » n’ait lieu entre les enseignants et le ministère. « Nous voulons résoudre ce problème de manière civilisée en ouvrant le débat afin que les élèves et leurs parents ainsi que les professeurs et le ministère soient sensibilisés à ce sujet ». L’association va solliciter une rencontre avec le ministre de l’Éducation nationale Rachid Belmokhtar.

Il est à rappeler que la décision de refonte de l’éducation religieuse dans les manuels scolaires a été impulsée par le roi lors du conseil des ministres qui s’est tenu le 6 février à Laâyoune. Mohammed VI a donné ses instructions aux ministres de l’Éducation nationale et des Habous et affaires islamiques, insistant sur la nécessité de revoir l’enseignement religieux à travers une révision des programmes et des manuels. Une révision qui accordera « une grande importance à l’éducation aux valeurs de l’islam tolérant dans le cadre du rite sunnite malékite qui prône le juste-milieu, la modération, la tolérance et la cohabitation avec les différentes cultures et civilisations humaines » précise un communiqué du cabinet royal. Le ministère de l’Éducation a annoncé de son côté, en juin, une vaste opération de révision de 147 manuels qui devaient être prêts d’ici la rentrée 2016. Ces livres scolaires seront expurgés de références sexistes, rétrogrades ou réductrices, notamment envers les personnes handicapées.

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