Portrait. M’hamed Boucetta, une certaine idée de la politique

M’hamed Boucetta est mort le 17 février à l’âge de 92 ans. Portrait d’un homme qui a su allier avec tact la carrière d’un militant politique parfois intransigeant et celle d’un homme d’État unanimement respecté.

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Crédit: Soufiane El Bahri/Facebook

« Plus de 70 % des Istiqlaliens n’ont jamais connu Allal El Fassi. Ils n’ont connu que M’hamed Boucetta ». Adil Benhamza, à l’instar de cette génération de quadra qui ont fait leurs premières armes de militants sous les ailes de M’hamed Boucetta, se sent aujourd’hui orphelin. Pour le jeune porte-parole du parti de l’Istiqlal, la disparition de l’ancien secrétaire général de l’Istiqlal « est une grande perte, non seulement pour le parti, mais pour le Maroc tout entier ». C’est que la vie de M’hamed Boucetta est indissociable de celle du Maroc contemporain. Une vérité également soulignée par le Roi Mohammed VI dans un message adressé à la famille du défunt,  « et à travers elle, sa famille politique et nationale, au sein du parti de L’Istiqlal ». Le roi  a salué « le riche parcours militant et politique » de M’hamed Boucetta.  «Avec cette disparition, le Maroc a perdu l’un de ses grands hommes qui ont dédié leurs vies au service des intérêts supérieurs du pays, que le défunt a placés au-dessus de toute autre considération», souligne le message Royal. Le roi a également rendu hommage à « la sagesse, l’expérience et la compétence » de M’hamed Boucetta, ainsi qu’ à « son intégrité et son humilité lors de ses différentes prises de responsabilités ».

Né en 1925 à Marrakech, dans le Maroc du général Lyautey, le jeune M’hamed rejoint rapidement le mouvement nationaliste marocain. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le parti de l’Istiqlal l’envoie en France faire des études de droit à la Sorbonne. À son retour au Maroc, il ouvre un cabinet d’avocat à Rabat où il forme une myriade d’avocats istiqlaliens, dont l’ex-premier ministre Abbas El Fassi. Militant de la première heure, il succède à Mehdi Ben Barka à la direction du journal du parti de l’Istiqlal, Al Alam, marquant ainsi le virage droitier du journal jusqu’ici tenu par l’aile progressiste du parti. Remarqué pour sa pondération et ses qualités de diplomate, il est nommé à l’âge de 33 ans ministre d’État aux Affaires étrangères dans le gouvernement Balafrej. Un poste qu’il gardera jusqu’en 1963, mais après les élections législatives de mai, les relations entre les partis du mouvement national et le Palais se tendent. Boucetta est alors écarté du gouvernement. À la mort du leader emblématique de l’Istiqlal, Allal El Fassi, en 1974, M’hamed Boucetta lui succède à la tête du parti. Un poste qu’il ne quittera, de son plein gré, qu’en 1998.

boucetta (DR)

Entre temps, les relations entre le palais et l’opposition se réchauffent quelque peu à partir des législatives de 1977, à la suite desquelles M’Hamed Boucetta est nommé au poste de ministre d’État chargé des Affaires étrangères et de la coopération, où il sera conduit sous différents cabinets jusqu’en 1985. Une période particulièrement marquée par le conflit du Sahara. « Lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères et que la situation n’était pas des plus roses pour notre pays, il faisait preuve de beaucoup de sang froid dans ses prises de décisions. Il avait pratiquement un sens de prescience», témoigne à son propos l’ancien secrétaire général du PPS Moulay Ismaïl Alaoui, qui partage un lien de parenté avec le défunt.

Même constat de la part de celui qui lui succédera, plus de deux décennies plus tard, à la tête de ce département, Saâdine El Othmani. « Je l’ai rencontré à plusieurs reprises, que ce soit lorsqu’il était Secrétaire du PI ou membre du conseil de la présidence de son parti. Ce qui m’a le plus marqué chez lui c’est son côté visionnaire. Il avait cette qualité rare chez les hommes politiques de garder une certaine neutralité et une distance dans ses analyses des situations politiques », déclare à son sujet le président du Conseil national du PJD. « Il ne se laissait pas du tout emporter par la réaction épidermique que l’on peut avoir de temps en temps devant des situations qu’elles soient politiques ou non. Cela ne signifie pas qu’il n’avait pas de réactions ou de sentiment, mais il savait moduler ses sentiments et je l’ai vu rarement en colère. Ses colères n’étaient pas exubérantes, mais plutôt froides et réfléchies », ajoute Moulay Ismail Alaoui.

Si M’hamed Boucetta est loué pour sa modération et sa sagesse en politique, personne n’a oublié le célèbre Niet qu’il a opposé à Hassan II lors des tractations pour la formation d’un premier gouvernement d’alternance. « Boucetta a toujours combattu avec fermeté les forces antidémocratiques, comme lorsqu’il a refusé la proposition que lui avait faite Hassan II pour devenir premier ministre, car il refusait le maintien de Driss Basri au gouvernement. C’était un homme de principes, et un homme de valeur », affirme pour sa part Adil Benhamza. Après sa démission de son poste de secrétaire général de l’Istiqlal, M’hamed Boucetta s’éloigne petit à petit de la politique. Il sera néanmoins appelé par Mohammed VI pour prendre les rênes de la commission chargée de réformer la Moudawana au début des années 2000.

Plus récemment, le 20 janvier dernier, le défunt a reçu la visite de Mohammed VI à l’hôpital militaire de Rabat, où il était admis pour traiter une bronchite aiguë. Le roi s’est déplacé pour s’enquérir de l’état de santé du leader de l’Istiqlal. Une quinzaine de jours plus tôt, Mhamed Boucetta avait reçu chez lui une quarantaine de frondeurs du parti de l’Istiqlal qui réclament le départ de Hamid Chabat. Mais aujourd’hui, ce sont tous les Istiqlaliens qui regrettent le départ de leur leader. M’hamed Boucetta est mort dans la nuit du vendredi 17 février à l’âge de 92. Avec sa disparition, c’est une page de l’histoire du Maroc qui se tourne.

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